lundi 22 mai 2006

Des bouffons sur le trône

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°11] 
Angel Dust - Faith No More (1992)

Voilà un disque important.

Pour la musique "populaire", pour son époque – et pour moi surtout.

Ce n’est pas le premier disque que j’ai eu. Mais j’ai été très tôt atteint de collectionnite aiguë et la première fois que j’ai été acheté moi-même avec ma tirelire des disques, celui-ci était dans le lot. Je ne connaissais alors rien de Faith No More. Contrairement à d’autres plus âgés je ne me suis donc pas dit alors que le groupe avait « trahi » et s’était (dit-on) mis à la musique commerciale…


Comment définir Faith No More ? C’est impossible. Ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas deux albums qui soient pareils. Pour moi, Angel Dust est la référence absolue du groupe. Un bloc de granit, d’une densité incroyable. Un édifice très particulier qui perd toute sa cohérence si on en extrait une seule chanson… le groupe a essayé bien sûr, en 92 il était déjà au sommet, mais à quoi bon ? « Midlife Crisis » a été un tube sympa et groovy mais à quoi bon l’écouter tout seul, s’il n’est pas coincé entre l’ultra heavy « Caffeine » et l’intro de fête foraine de « R.V. » ?

Du coup, pour le single suivant, le groupe a préféré enregistrer une autre chanson, et non des moindres : « I’m Easy », reprise de je ne sais plus qui qu’on attribue (à tort) à Lionel Ritchie. Le succès fut tel que l’année suivante, on a ressorti Angel Dust agrémenté de cette chanson en quatorzième plage. Bof. Ca a le mérite de montrer l’extrême richesse de la palette du groupe, capable de passer du metal le plus violent à une chanson pop-soul poignante. Mais ça n’apporte pas grand chose au disque initial, déjà conclu par une reprise (excellente) du « Theme from Midnight Cowboy » de John Barry. Un harmonica, des arrangements luxuriants autour et hop, on enregistre un joli classique qui clôturera à l’avenir tous les concerts de FNM.

L’essentiel est ailleurs, dans la bizarrerie de « A Small Victory » (rencontre contre-nature du rap, du rock et de la musique surf), dans la déjante du plus grand morceau du groupe (que paradoxalement la plupart des gens ont oublié), « Be Agressive » - pas du tout agressif mais hilarant. Dans la rage de « Smaller & Smaller », les loops étranges et la basse slappée de « Crack Hitler ». Dans le synthé baroque qui introduit « Everythin’s Ruined » et dans l’ouverture explosive que constitue « Land of Sunshine ».

Car j’ai oublié un détail : Faith No More était un groupe d’allumés, de gentils psychopathes qui ne se prenaient pas au sérieux et réussissaient à produire des disques totalement originaux et novateurs sans jamais se la raconter… enfin c’était le cas en 1992, sur Angel Dust. Pour la dernière fois, puisqu’après le groupe a lentement mais sûrement été avalé par les querelles d’egos et le music-business. Comme d’autres avant et après eux. Exactement ce qui a failli arriver à leurs amis et rivaux les Red Hot Chili Peppers à la même époque (sauf que les Red Hot avaient un Flea pour tenir la barre pendant que les autres plongeaient dans la dope et les excès en tout genre).

Triste, évidemment.

Encore plus quand on réécoute aujourd’hui Angel Dust, qui n’est pas leur dernier album mais qui est leur ultime chef d’œuvre. « I’m easy like a sunday morning », chantaient-ils joyeusement dans le clip, déguisés en travelos pour faire rire le chaland et hurler l’Amérique Puritaine. J’ai l’impression que c’était il y a un siècle. Aujourd’hui, à quelques exceptions près, tous les groupes se ressemblent. Ils sont lisses, aseptisés. Ils ont le charisme d’huîtres.

Dans un paysage pareil, la folie de Faith No More ne peut que manquer à tous ceux qui ont eu la chance de la connaître à l’époque.


Trois autres disques pour découvrir Faith No More :

The Real Thing (1989)
Live at the Brixton Academy (live / 1991)
King for a Day… fool for a Lifetime ! (1995)