[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°15]
Blank Generation - Richard Hell& The Voidods (1977)
Jeune punk, il est temps d'oublier tout ce que tu as appris. Non, ton courant favori n'est pas né à Londres mais à New York. Et son icône ultime ne s'appelait pas Johnny Rotten mais Richard Hell.
Aujourd'hui, rares sont ceux qui se souviennent encore de Richard Hell. Pourtant, le look punk, les épingles à nourrice et tout le bazar, c'est lui. Un génie aussi nombriliste que nihiliste, champion toutes catégories pour se faire éjecter des groupes qu'il forme... Jugez plutôt : 1973, il fonde les Neon Boys avec Tom Verlaine et Richard Lloyd - soit donc Television. Dont il se fait saquer au bout de quelques mois. Pas content du tout, il retrouve les ex-New York Dolls Johnny Thunders et Jerry Nolan, avec lesquels ils montent les Heartbreakers... et se fait remercier après avoir écrit 90 % de leur album mythique : L.A.M.F. Du coup, lorsque le punk passe du statut de petit mouvement underground new yorkais à celui de phénomène mondial, Richard Hell est seul et sans le sou. Comble du ratage, la chanson qui aurait pu le faire décoller, "Chinese Rocks", il l'a offerte aux Ramones ! Bref, à la différence de la plupart de ses collègues, pseudos rebelles doublés de vrais business-men, Richard Myers (de son vrai nom) est totalement perméable à la moindre notion de commerce ou de libre entreprise. Quitte à devenir la risée de tout le NYC punk de l'époque...
Alors, dans un sursaut d'orgueil, Richard fonde les Voidoids, groupe de branquignols punks et intellos avec lequel il enregistrera cet unique album devenu mythique (on oubliera le gentillet Destiny Streets, publié en 1982 sous le nom des Voidois – en réalité une bande de seconds couteaux sans intérêt).
"I belong to the blank generation"... en une phrase, tout est dit. Cet album, c'est la quintessence du punk. Le vrai. Pas celui des Anglais, maniant la provocation à outrance. Mais un rock pur et primitif, désespérément romantique, doublé d'une véritable vision artistique et sociétale.
Fan de Godard et des Dolls, réel esthète, Richard Hell plaque quelques accords devenus archi cultes ("Love Comes in Spurts", "I'm Your Man") et déclame des textes aussi venimeux qu'exquis ("Liars Beware", "Betrayal Takes Two") ; reprend John Fogerty et Creedence Clearwater Revival ("Walking on the Water") avec simplicité et élégance. Et impose une démarche artistique héritée du CBGB (le vrai, encore une fois, celui de Warhol, de la Factory et du Velvet Underground).
Il déniche aussi, par la même occasion, un maestro de la guitare, rapidement surnommé par la presse le Hendrix du punk, en la personne de Richard Quine : un punk obsédé par le jazz, qu'on verra plus tard aux côtés (excusez du peu) de Lydia Lunch, Lou Reed (de 82 à 85), Marianne Faithfull, Tom Wait, Marc Ribot... j'en oublie sûrement.
Surtout, il puise dans les tréfonds de la musique populaire américaine (Fogerty et le Velvet, évidemment, mais aussi Buddy Holly ou Link Wray) et recrache tout cela à la sauce punk/hardcore/new wave.
Au final, bien plus qu'un album culte : une légende ambulante. Une œuvre parfaite et magistrale, d'autant plus fameuse qu'elle est la seule de Hell et de ses complices.
Et l'on se prend, finalement, à trembler, en imaginant le grand projet qui faillit signifier son retour il y a un peu plus d'une dizaine d'années : Hell avait prévu de monter un supergroupe réunissant Stiv Bators (Dead Boys, Lords Of The New Church), Johnny Thunders, Arthur Kane (The New York Dolls) et Dee Dee Ramone... rien que ça ! Un projet avorté pour cause de mort de la plupart des protagonistes. A l'exception d'un seul : Hell.
Qui, à l'instar des cafards et de Keith Richards, survivra probablement longtemps après l'Apocalypse Nucléaire.
Quand je pense que j’ai eu l’occasion de serrer la main à ce dieu vivant et que je l’ai loupée… j’ai encore honte…