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Qui d’autre que Nicolas Ungemuth pouvait mieux écrire la biographie des Sex Pistols ? Les Pistols n’aimaient personnes, lui non plus. Bien sûr dans les faits les Pistols aimaient beaucoup d’artistes, et Ungemuth aussi bien sûr. Mais les lecteurs de Rock & Folk connaissent bien le bonhomme : spécialiste de la rubrique rééditions, encyclopédie vivante, Nicolas Ungemuth a la plume rageuse, acerbe, explosive. Comme le verbe de Johnny Rotten en son temps. J’ai souvenir d’un Que sont-ils devenus ? (son ancienne rubrique) consacré à Yes totalement hilarant. Et bien sûr, il y eut ce classement des 40 pires groupes de tous les temps, dont le but évident était de provoquer un tollé chez les lecteurs les moins pourvus d’humour et une émeute au service courrier du journal – mission totalement accomplie.
Ungemuth, donc, n’est pas un tendre. Y compris avec les artistes qu’il apprécie (je vous renvoie à ses mini-bios décapantes de Bowie ou d’Iggy Pop dispos pour 1 euro chez Librio). Son humour est corrosif et son stylo n’écrit pas : il cogne – en général là où ça fait mal. Chacun voit dans ses chroniques ou dans ses bouquins ce qu’il veut y voir ; en ce qui me concerne je ne peux que me tordre de rire car j’ai de l’humour, ce même lorsqu’il taille des gens que j’adore… ce qu’il fait précisément avec Rancid dès l’avant propos de ce livre. Un avant-propos qui vaut son pesant de cacahuètes, même si (à la différence du reste du livre) il peut sembler légèrement périmé.
Remettons les choses dans leur contexte précis : 1996. Le grunge est mort et le revival punk bat son plein ; on y trouve à boire et à manger : pour un Green Day ou un Rancid, groupes qui ont prouvé qu’ils pouvaient perdurer, combien d’Offspring, Dawn By Law, Smash Mouth et autres horreurs les amateurs de rock ont-ils dû souffrir ? Trop, beaucoup trop. En quelques lignes, Ungemuth règle le problème :
"Les pires groupes de troisième génération font aujourd’hui figure de vétérans. Ceux-là même qui faisaient rire tout le monde à l’époque […] sont aujourd’hui vénérés […] On écrit des thèses sur eux, on dissèque leurs paroles […] Et pendant ce temps là, ces quadras cloutés en profitent pour faire tous les ans leur tournée d’adieux… Tout cela aurait paru franchement comique il y a seulement dix ans [1986, donc] […] A l’époque, franchement, le mot Punk faisait un tantinet désuet. […] Phénomène antique dont les rejetons s’étaient montrés particulièrement navrants. Et on avait raison. Car, en vérité, le Punk s’est arrêté avec le premier single de Sham 69, la première Doc Marten’s, le premier iroquois. La fête était finie. On avait bien ri mais là, ça n’était plus drôle. […] Et là, toc ! on nous refait le coup, « Punk pas mort, deuxième partie » […] Ça, pour le coup, c’était drôle, ces types qui voulaient déclencher une révolution californienne en samplant deux trois riffs des Jam ou des Clash. On riait à nouveau […] Jusqu’à ce que le Sex Pistols décident de se reformer…"
Ainsi s’ouvre sinon la biographie ultime sur les Sex Pistols l’une des bios (musicales ou autres) les plus passionnantes et hilarantes que j’aie lues. Avec les Sex Pistols de 1996, bedonnants, pathétiques mais finalement loin d’être ridicules – grâce à Johnny Rotten bien sûr. A la question de savoir pourquoi il a accepté une reformation après avoir refusé pendant 18 ans, il répond du tac au tac : « Nous nous sommes découverts une cause commune, et c’est votre argent. » Clair, net, précis : les Pistols sont revenus pour le fric, et ils en sont fiers. Le cynisme d’une telle phrase pourrait choquer mais non, même pas. Parce que ce sont les Sex Pistols, évidemment, mais aussi parce qu’il vaut peut-être mieux que l’hypocrisie de tous ces vieux groupes qui se reforment régulièrement soi disant « pour se rappeler le bon vieux temps », bah tiens ! Et encore : en 1996, les Pistols étaient parmi les premiers à faire ça. Depuis, ils ont été des dizaines à nous faire le coup, de manière certainement moins honnête et efficace que le groupe de Johnny Pourri.
La suite, c’est le côté biographique de l’affaire. Evidemment, la bio d’un groupe qui n’a réellement eu d’existence que pendant trois ans et un album ne peut pas être bien longue, mais Ungemuth s’y atèle avec un talent et un mordant remarquable. Petits portraits au vitriol des principaux protagonistes de l’affaire, récit de la soit disant épopée torché en un chapitre (qu’aurait-on pu ajouter ?)… ça peut sembler léger, mais c’est remarquable. Car Nicolas Ungemuth, en dehors du fait qu’il est un portraitiste truculent et souvent acide, au-delà d’un statut de musicologue avéré auquel il n’a jamais prétendu (Rotten lui fera remarquer qu’il est le premier journaliste depuis 1977 à avoir noté que contrairement à quasiment tous leurs collègues les Pistols ne jouaient pas des morceaux hyper speed mais essentiellement des mid-tempos), Ungemuth donc réussit là où beaucoup de biographes se sont cassés les dents : il remet les choses en perspectives, démontre à quel point ce groupe de branleurs a marqué son temps, développe une analyse sociétale du Punk (qu’il écrit toujours avec majuscule) sans jamais se montrer emmerdant ou didactique. Exactement à la manière des Sex Pistols, finalement : sous le côté sarcastique et désinvolte, derrière le verni du mec qui aime tailler des costards, il y a quelqu’un d’extrêmement cultivé, intelligent et conscient. De même, les Sex Pistols ont fait croire à des générations entières qu’on pouvait être un grand groupe sans savoir jouer – ce qui est faux : leur génie à été de faire de leurs maigres qualités instrumentales un concept, une marque de fabrique… sacrée nuance.
Le livre se clôt sur un récit tragi-comique d’une prestation de ces fameux Pistols enfin de retour. Pas vraiment emballé le Ungemuth, au point qu’il termine par ces mots : "… en tout cas, c’est fini." On n'ose imaginer la tête du pauvre rock-critic lorsque ces mêmes Pistols, encore plus vieux et encore plus cyniques, ont remis le couvert en 2002.
Sinon les paris sont ouverts : moi je mise sur un nouveau come-back cette où l’année prochaine, pour commémorer l’anniversaire du London Punk.
Qui d’autre que Nicolas Ungemuth pouvait mieux écrire la biographie des Sex Pistols ? Les Pistols n’aimaient personnes, lui non plus. Bien sûr dans les faits les Pistols aimaient beaucoup d’artistes, et Ungemuth aussi bien sûr. Mais les lecteurs de Rock & Folk connaissent bien le bonhomme : spécialiste de la rubrique rééditions, encyclopédie vivante, Nicolas Ungemuth a la plume rageuse, acerbe, explosive. Comme le verbe de Johnny Rotten en son temps. J’ai souvenir d’un Que sont-ils devenus ? (son ancienne rubrique) consacré à Yes totalement hilarant. Et bien sûr, il y eut ce classement des 40 pires groupes de tous les temps, dont le but évident était de provoquer un tollé chez les lecteurs les moins pourvus d’humour et une émeute au service courrier du journal – mission totalement accomplie.
Ungemuth, donc, n’est pas un tendre. Y compris avec les artistes qu’il apprécie (je vous renvoie à ses mini-bios décapantes de Bowie ou d’Iggy Pop dispos pour 1 euro chez Librio). Son humour est corrosif et son stylo n’écrit pas : il cogne – en général là où ça fait mal. Chacun voit dans ses chroniques ou dans ses bouquins ce qu’il veut y voir ; en ce qui me concerne je ne peux que me tordre de rire car j’ai de l’humour, ce même lorsqu’il taille des gens que j’adore… ce qu’il fait précisément avec Rancid dès l’avant propos de ce livre. Un avant-propos qui vaut son pesant de cacahuètes, même si (à la différence du reste du livre) il peut sembler légèrement périmé.
Remettons les choses dans leur contexte précis : 1996. Le grunge est mort et le revival punk bat son plein ; on y trouve à boire et à manger : pour un Green Day ou un Rancid, groupes qui ont prouvé qu’ils pouvaient perdurer, combien d’Offspring, Dawn By Law, Smash Mouth et autres horreurs les amateurs de rock ont-ils dû souffrir ? Trop, beaucoup trop. En quelques lignes, Ungemuth règle le problème :
"Les pires groupes de troisième génération font aujourd’hui figure de vétérans. Ceux-là même qui faisaient rire tout le monde à l’époque […] sont aujourd’hui vénérés […] On écrit des thèses sur eux, on dissèque leurs paroles […] Et pendant ce temps là, ces quadras cloutés en profitent pour faire tous les ans leur tournée d’adieux… Tout cela aurait paru franchement comique il y a seulement dix ans [1986, donc] […] A l’époque, franchement, le mot Punk faisait un tantinet désuet. […] Phénomène antique dont les rejetons s’étaient montrés particulièrement navrants. Et on avait raison. Car, en vérité, le Punk s’est arrêté avec le premier single de Sham 69, la première Doc Marten’s, le premier iroquois. La fête était finie. On avait bien ri mais là, ça n’était plus drôle. […] Et là, toc ! on nous refait le coup, « Punk pas mort, deuxième partie » […] Ça, pour le coup, c’était drôle, ces types qui voulaient déclencher une révolution californienne en samplant deux trois riffs des Jam ou des Clash. On riait à nouveau […] Jusqu’à ce que le Sex Pistols décident de se reformer…"
Ainsi s’ouvre sinon la biographie ultime sur les Sex Pistols l’une des bios (musicales ou autres) les plus passionnantes et hilarantes que j’aie lues. Avec les Sex Pistols de 1996, bedonnants, pathétiques mais finalement loin d’être ridicules – grâce à Johnny Rotten bien sûr. A la question de savoir pourquoi il a accepté une reformation après avoir refusé pendant 18 ans, il répond du tac au tac : « Nous nous sommes découverts une cause commune, et c’est votre argent. » Clair, net, précis : les Pistols sont revenus pour le fric, et ils en sont fiers. Le cynisme d’une telle phrase pourrait choquer mais non, même pas. Parce que ce sont les Sex Pistols, évidemment, mais aussi parce qu’il vaut peut-être mieux que l’hypocrisie de tous ces vieux groupes qui se reforment régulièrement soi disant « pour se rappeler le bon vieux temps », bah tiens ! Et encore : en 1996, les Pistols étaient parmi les premiers à faire ça. Depuis, ils ont été des dizaines à nous faire le coup, de manière certainement moins honnête et efficace que le groupe de Johnny Pourri.
La suite, c’est le côté biographique de l’affaire. Evidemment, la bio d’un groupe qui n’a réellement eu d’existence que pendant trois ans et un album ne peut pas être bien longue, mais Ungemuth s’y atèle avec un talent et un mordant remarquable. Petits portraits au vitriol des principaux protagonistes de l’affaire, récit de la soit disant épopée torché en un chapitre (qu’aurait-on pu ajouter ?)… ça peut sembler léger, mais c’est remarquable. Car Nicolas Ungemuth, en dehors du fait qu’il est un portraitiste truculent et souvent acide, au-delà d’un statut de musicologue avéré auquel il n’a jamais prétendu (Rotten lui fera remarquer qu’il est le premier journaliste depuis 1977 à avoir noté que contrairement à quasiment tous leurs collègues les Pistols ne jouaient pas des morceaux hyper speed mais essentiellement des mid-tempos), Ungemuth donc réussit là où beaucoup de biographes se sont cassés les dents : il remet les choses en perspectives, démontre à quel point ce groupe de branleurs a marqué son temps, développe une analyse sociétale du Punk (qu’il écrit toujours avec majuscule) sans jamais se montrer emmerdant ou didactique. Exactement à la manière des Sex Pistols, finalement : sous le côté sarcastique et désinvolte, derrière le verni du mec qui aime tailler des costards, il y a quelqu’un d’extrêmement cultivé, intelligent et conscient. De même, les Sex Pistols ont fait croire à des générations entières qu’on pouvait être un grand groupe sans savoir jouer – ce qui est faux : leur génie à été de faire de leurs maigres qualités instrumentales un concept, une marque de fabrique… sacrée nuance.
Le livre se clôt sur un récit tragi-comique d’une prestation de ces fameux Pistols enfin de retour. Pas vraiment emballé le Ungemuth, au point qu’il termine par ces mots : "… en tout cas, c’est fini." On n'ose imaginer la tête du pauvre rock-critic lorsque ces mêmes Pistols, encore plus vieux et encore plus cyniques, ont remis le couvert en 2002.
Sinon les paris sont ouverts : moi je mise sur un nouveau come-back cette où l’année prochaine, pour commémorer l’anniversaire du London Punk.
👍👍 The Sex Pistols
Nicolas Ungemuth | Albin Michel/Rock & Folk, 1996