[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°21]
Celebrity Skin - Hole (1998)
Pourquoi les gens adorent-ils détester Courtney Love ?
Parce que c’est très facile. Par inconscience plus que par réelle bêtise, elle a prêté le flanc à une masse assez impressionnante de critiques, diatribes, pamphlets…
Celebrity Skin, troisième et ultime album de Hole, est un disque qui s’inscrira je pense assez rapidement dans la catégorie « les fans vont me tuer ». Les fans, et même certaines personnes qui ne sont pas fans, savent bien que l’album mythique de Hole, c’est le précédent, Live Through this. C’est un grand disque, qui est devenu en creux et de manière assez involontaire le testament de l’épopée grunge – et pour cause : petit rappel des faits, cet album est sorti quatre jours seulement après la mort de Kurt Cobain. Fatalement, son titre prend un sens nouveau. Et dès lors, Courtney Love aura tout les torts. On lui reprochera d’abord de ne pas avoir reculé la parution de son disque. Quelle horreur. C’est vrai, ça change tout. Le disque aurait dû sortir dix ans après, au moins. Ensuite, on va nous expliquer qu’en fait, Love se sert de la mort de son époux comme outil promotionnel. Ce qui coule de source bien sûr : on a tous vu au moins une fois à l’époque les images de cette longue soirée qu’elle organisa au lendemain de la mort de Cobain, où, devant des milliers de fans, elle lut en larmes les extraits de la lettre de suicide qui leur étaient adressés. Une femme ravagée et démolie. Pas vraiment les images de quelqu’un qui a envie de se faire de la pub (en tout cas le maquillage est raté). Puis on va lui reprocher de ne pas avoir annulé la tournée de Hole, entamée deux semaines plus tard. Là encore, on se demande bien ce que ça peut foutre. Si la musique lui permettait d’exorciser, pourquoi aurait-on dû se priver de voir en concert l’un des meilleurs groupes de l’époque ?
Après, la mort de Kristen Pfaff, la bassiste. On reproche à Courtney Love de lui avoir fourni la drogue (mais pas aux autres membres du groupe, pourtant tout aussi junks), puis on lui reproche d’avoir repris la tournée trois semaines plus tard, avec Melissa Auf der Maur à la place. So what ? Et ainsi de suite. Quatre années durant, ce sera la valse aux rumeurs, aux extrapolations, aux calomnies. Courtney Love aurait assassiné son mari et père de sa fille. Enfin : l’aurait fait assassiné. On ne voit pas trop quel intérêt elle aurait pu en tirer. C’est un peu facile, là encore, car les journalistes (enfin il paraît qu’ils ont une carte de presse) ont la mémoire courte : Courtney Love était déjà connue avant d’épouser Kurt Cobain, Hole avait déjà un excellent disque à son actif, elle était en pleine ascension. S’il est certain que c’était elle qui portait la proverbiale culotte dans le couple (la Yoko Ono du grunge, si ça vous chante), s’il est probable qu’elle était finalement beaucoup plus imposante et charismatique que lui, ça ne la rend pas meurtrière pour autant. Et au fait, rappelez-moi, qui était en train d’accoucher toute seule, tandis que dans la chambre voisine un pauvre couillon musicalement doué mais humainement assez pathétique faisait une crise de manque ?
Mais il y eut pire encore : on prétendit que Live Through this le trop bien nommé avait carrément été écrit en sous main par Kurt Cobain lui-même ! Une blague misogyne, pas possible… il paraît que certains morceaux, comme « Asking for It », ressemblent à du Nirvana. En fait ça ressemble juste à du grunge, et quand bien même : ils vivaient ensemble, ils avaient les mêmes goûts, écoutaient les mêmes choses…
Pour échapper à tout ça, Coutrney Love va se terrer durant quatre années. Elle surgira là où personne ne l’attend : au cinéma. Dans Larry Flynt de Milos Forman (qui la rappellera d’ailleurs plus tard pour Man on the Moon). Elle y est incroyable.
Et enfin, Hole revient. En 1998. La pochette dit déjà tout. Noir et blanc sobre. Un Back in Black ? Peut-être bien, oui. Pourquoi pas ? L’album est excellent et extirpe définitivement Hole des sentiers en jachère du grunge, voire même du rock pur et dur. Mais la presse s’en fout, elle préfère goiser sur la nouvelle paire de seins (charmante au demeurant) de la chanteuse. Combien de critiques ont écouté sérieusement Celebrity skin ? Aucun, à en juger par son bide total et les commentaires acerbes qu’il attira : « L’album jet-set de Courtney Love ». Deux contre-vérités dans la même phrase !
D’abord, ce n’est pas l’album de Courtney Love, mais celui de Hole. Ça change tout. La popularité de la chanteuse a totalement éclipsé et sa musique et son groupe, qui est un vrai groupe… au line-up certes vacillant puisque qu’il n’a pas enregistré deux disques de suite avec les mêmes membres, mais l’honneur est sauf puisqu’Eric Erlandson, guitariste doué et inventif, meilleur ami et alter-ego de toujours est encore là. On ne parle jamais d’Erlandson, alors que c’est le principal moteur du groupe. C’est tout de même lui qui a composé 90 % des trois albums ! Mais on ne parle jamais de lui. Qui est derrière Courtney Love depuis le tout début, c’est à dire depuis 1989. Et qui y restera jusqu’au split du groupe en 2001.
L’autre contre-vérité : « jet set ». On rigole. Il faut vraiment être idiot et ne s’arrêter qu’au titre du disque et de la chanson éponyme (par ailleurs excellente et punchy) pour écrire une connerie pareille. Il suffit d’écouter le texte pour se rendre compte qu’on est loin de la « jet set » et que ce morceau est au contraire une charge violente contre un showbiz que Courtney Love abhorre au moins autant qu’il l’aspire.
On attaque là la seconde face de son talent : certes, Love n’a jamais été foutue de composer une chanson juste toute seule. C'est un fait indéniable. En revache, elle est probablement l’une des plus grandes parolières en activité. Ses textes sont riches, complexes, aussi affûtés que la guitare d’Erlandson sur le riff de cette première chanson. La Dame connaît Keats sur le bout des doigts, elle en est folle amoureuse. Beaucoup l’imaginent dans sa villa en train de sniffer de la coke alors qu’elle passe le plus clair de son temps à lire de la poésie quand elle n’arrive pas à dormir (peut-être à cause de la coke, vous me direz). C'est ainsi à mots couverts, avec une infinie pudeur, qu'elle évoque son défunt mari. "Dying". "Northern Star". Chansons sublimes aux textes cryptés.
Ce disque a un inconvénient majeur qui explique aussi son flop : il ne ressemble pas aux deux premiers. Vraiment pas du tout. Ceux-ci versaient dans rock/punk qui tâche et gueule. Celebrity Skin est pop, hyper mélodique, très produit, riche en arrangements de cordes. Le son est clean, trop sans doute pour les anciens grungers qui, tels les keupons crétins dans la rue en dessous de chez moi, aiment bien que les chosent ne changent pas trop. Le renfort de Billy Corgan, génie des Smashing Pumpkins déjà évoqué dans un précédent article de cette rubrique, y est bien sûr pour beaucoup. Il a co-produit l’album et composé (ou co-composé) six chansons sur douze – et sa touche est tellement évidente qu’à la première écoute n’importe qui connaissant son œuvre trouvera lesquelles sans même jeter un œil aux notes de pochette. Viré comme un malpropre aussitôt après, il a pourtant offert à Hole tout ce qui lui avait manqué jusqu’alors : une puissance mélodique (« Malibu »), une concision pop (« Celebrity skin », « Awful ») et une richesse incroyable au niveau des arrangements (« Petals », « Dying », « Boys on the Radio »… et à peu près toutes les autres chansons). Avec lui, « Dying », qui aurait pu n’être qu’une ballade insipide, devient une sublime élégie avec chœurs et cordes, mettant en valeur un texte poignant.
Pour faire bonne figure, le groupe envoie tout de même quelques saillies un peu rock n’roll, le « Celebrity Skin » sautillant d’ouverture, mais aussi et surtout le féroce « Reasons to Be Beautiful » (et sa fin a capella, superbe) ainsi que « Playing Your Song », seul reste de la hargne d’antan. Une hargne qui me plaisait beaucoup, quand j’étais plus jeune. Mais en 1998, j’étais déjà devenu, plus ou moins par la force des choses, un adulte. Ce n’est pas le cas de tous les fans du groupe et c’est bien le problème, car finalement ce disque, qui a tout de même mis quatre ans à être réalisé, est celui d’une mue.
Ou comment une jeune femme en guerre contre la terre entière finit par mûrir à force de coups bas envoyés par le sort ou les autres.
Comment elle devient adulte, elle aussi, à son tour, après tant de douleurs, de blessures enfouies sous le verni d’une Celibrity Skin.
Trois autres disques pour découvrir Hole :
Pretty on the Inside (1991)
Live Through this (1994)
MTV Unplugged (1995)