[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°23]
Cité des étoiles - Magyd Cherfi (2004)
L’interview était étrange. Lui, moi, autour d’un verre. Je lui offre une cigarette, il fait « Beurk, une roulée », un sourire… et voilà le début de l’histoire.
Je m’étais dit qu’on allait faire un truc un peu différent de d’habitude. « Est-ce que ça t’es déjà arrivé dans ta vie de répondre à une interview sans jamais prononcer le mot Zebda ? » « Non ». « Eh bien c’est ce qu’on faire va ce soir ! le premier qui prononce le mot Zebda a perdu ».
Au final, on a fait match nul – j’ai failli le coincer mais c’est un balaise. Et j’ai l’immense bonheur de pouvoir dire que je suis la seule personne au monde à avoir interviewé Magyd Cherfi sans jamais lui parler de Zebda.
D’un autre côté, nos avons parlé de tas de choses tellement plus intéressantes. De cette étiquette de « Chanteur Citoyen » qu’un journaliste, probablement très inspiré ce jour-là, lui a collé et qui depuis ne le quitte plus. Désormais, Magyd est un chanteur engagé, même si ce n’est pas totalement le cas, ce n’est pas grave, la presse aime ce genre de raccourci. Nous avons parlé aussi de lui, et donc de moi, de ce que c’était, d’être enfant d’immigré en France à l’époque de Sarkozy. Il y a quelques mois, je l’ai vu à la télé dans un débat sur les émeutes en banlieues où la journaliste lui a coupé la parole sans cesse et a eu cette phrase magnifique : « Vous, en tant qu’immigré… » « Ah mais, je suis français Madame. » Le sourire, bien sûr, car Magyd sourit toujours. C’était dans cette émission que la journaliste, encore très forte sur ce coup là, avait qualifié les émeutes des banlieues de djihad. Rien que ça ! Ca vous donne une bonne idée du débat, d’ailleurs il y avait Eric Raoux.
Nous avons parlé pendant si longtemps que je n’ai jamais pu passer cette première interview dans son intégralité. On a parlé de sa famille, on a parlé de la mienne. Il a été très touché d’apprendre que mon grand père, qui a finalement eu à peu près la même histoire que lui à quelques décennies de décalage, appréciait énormément son travail.
Mais parlons plutôt du disque…
Un disque solo ? Avec Magyd, tout est question de famille, de tribu, de bande... à ses côtés donc, on retrouve Jojo, déjà compositeur chez Zebda, ainsi qu'Imothep d'IAM à la prod, M sur un titre, Loo & Placido... tout le monde se mettant au service de textes magnifiques, faisant totalement corps avec la musique (une rareté dans notre pays sclérosé par le double héritage de la chanson rive gauche et du rock dur).
Que dire ? Ce disque résonne de mille émotions, dans le coeur de chacun d'entre nous... bien sûr, là, c'est le fils, petit-fils, arrière petit-fils d'immigré(s) qui s'exprime, celui qui a senti monté ses larmes en entendant "Latine est ma racine", qui lui aussi s'est toujours demandé où se trouvait sa "Place"... qui ne peut qu’avoir les larmes aux yeux en entendant que :
Sur les murs du bled y avait la fatwa
Sur ceux de ma cité y avait marqué « rentre chez-toi »
Ou ailleurs :
On nous disait : « Petit, fais pas le kid
On te respectera lorsque t’auras des rides »
Et c’est depuis que je peux plus saquer les grands
Qui m’ont fait croire que c’est par les coups qu’on apprend
Au moment de la sortie, Magyd m'avait confié lors de cet entretien à bâtons rompus qu'il avait eu l'impression de faire un truc totalement différent de ce qu'il avait pu joué durant quinze ans avec Zebda (sans dire le mot bien sûr !), et que finalement, avec un peu de recul, il constatait à regret qu'il gravitait toujours autour des mêmes thèmes : souvenirs d'enfance, quête identitaire, vacuité du terme "intégration" (souvenez-vous déjà, en 1998, il scandait : Intégré je le suis / Où est la solution ?)... mais non Magyd, voyons, c'est la marque des grands.
Alors oui, on vibre. On vibre car ce disque ne touche pas uniquement par ses arrangements remarquables (la production est nickelle, mais c'est bien connu : personne n'attache d'importance au son d'un disque dès lors qu'il est estampillé « chanson française »), par des textes d'une simplicité et d'une force sans égale (Magyd est sans conteste l'un dee plus grands paroliers français de ces dernières années)... il touche aussi car la moindre de ses notes suinte l'humanité et la poésie. Logique, me direz-vous, puisque avant d'être un chanteur brillant Magyd est surtout un être humain exceptionnel. Et aussi peut-être parce qu’il est venu aux mots, à la poésie et à la littérature bien avant de devenir chanteur, de manière quasiment accidentelle.
Anecdote amusante : sa chanson préférée, parmi toutes celles qu'il a écrites, s’intitule « Le Petit Robert ». Une chanson méconnue et totalement autobiographie : quand il était ado, sa mère, qui voulait absolument qu’il décroche son bac, l’a réellement contraint à apprendre par cœur le dictionnaire !
Un disque beau, donc. Ok, vous vous dites que dans le genre, je me suis déjà montré plus critique, plus imagé, plus drôle... désolé, mais je sais m'incliner devant une oeuvre lorsqu'elle est simplement belle.
Mais attention cependant : je ne voudrais surtout pas donner l’impression que ces chansons ne sont que tristesse… au contraire, des morceaux comme « Les Grandes », « Qu’est-ce que ça change ? » ne peuvent que faire sourire. Les mélodies sont remuantes, guillerettes, les paroles très drôles… mais c’est vrai que quelque part, il y a toujours un petit quelque chose de mélancolique niché au creux des passages en apparence les plus joyeux. Quelques larmes, même au cœur des rires. Simplement, Magyd Cherfi n'est pas ici le chanteur de Zebda, mais un homme de 40 ans révolus qui jette un coup d'oeil dans le rétro - coup d'oeil acide parfois et mordant toujours.
Il suffit d'écouter le morceau final, « Classée sans suite », pour s'en convaincre : noire, très noire rengaine évoquant pourtant avec douceur et pudeur l'horrible banalité de la violence conjugale.
La chanson est une merveille. Sample de piano qui revient sans cesse, martelé et répétitif. Comme les coups, comme les pleurs....
C’est glacial à la première écoute, mais d’une humanité incroyable.