[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°17]
Blood Sugar Sex & Magik - Red Hot Chili Peppers (1991)
Imagine un peu : tu es jeune. Mais si lecteur, tu as été jeune un jour, tu as même été bien pire que jeune : adolescent. Tu n’as pas envie de t’en souvenir, mais allons donc, ce n’était tout de même pas si mal ?
Il se trouve que moi aussi, j’ai été adolescent. Oh, je te vois sourire. Oui, oui, oui. J’ai bel et bien roulé ma première galoche sur « Under the Bridge » des Red Hot et très honnêtement, je préfère l’avoir fait là-dessus que sur « Still Loving You » des Scorpions (qui c’est vrai ne m’avaient rien demandé). Il faut dire qu’à peu prêt n’importe quel adolescent depuis 1991 a eu l’occasion au moins une fois de danser un slow sur « Under the Bridge ». Certes, tous n’ont pas eu la chance de rouler une galoche dessus, que veux-tu ? le roulage de galoche est loin d’être une science exacte. Si c’était le cas on le saurait depuis longtemps !
La musique en revanche en est une, et les Red Hot Chili Peppers l’ont très bien compris. Depuis 1984 ils règnent sans partage sur les charts, et il n’y aucune raison pour que cela s’arrête puisque c’est probablement le seul groupe encore en activité à avoir su concilier succès à grande (énorme ?) échelle et créativité.
Blood Sugar Sex & Magik (BSSM pour les intimes, soit une poignée de millions de personnes) n’est pas seulement l’un des disques les plus vendus des années 90. C’est aussi l’un des plus inventifs. On ne parlait pas encore de fusion, seulement de funk-rock, ce qui ne voulait pas dire grand-chose mais au moins on comprenait à peu prêt qu’il y allait y avoir :
- du funk
- du rock
… et que ça allait fusionner.
Il y avait aussi une bonne dose de hip hop, parce que les Red Hot ont bouffé du Beastie Boys tous petits, mais en 1991 il ne fallait surtout pas le dire parce que mélanger le rap et le rock, c’était vraiment très mal. De toute façon, les Red Hot ça les arrangeait bien puisque leur principal objectif était de faire exploser les étiquettes.
De ma mère qui n’écoute quasiment pas de musique au fan de black-metal le plus enragé, il n’existe tout simplement quasiment personne sur cette planète qui n’ait jamais roulé son popotin sur la basse slappée de « Give it Away ». Pas plus qu’il n’y a de gens qui n’aient pas entendus une seule fois « Under the Bridge » à la radio en se disant « ouah, c’est vachement joli ». A propos de cette chanson, une petite précision tout de même parce que les idées reçues ont la peau dure : ce n’est pas du tout une chanson d’amour ! C’est une histoire d’amitié brisée, un dernier hommage du groupe à son ancien guitariste Hillel Slovak, décédé d’une overdose en 1988. Cela mérite d’être souligné par c’est quand même la seule fois de sa vie qu’Anthony Kieidis a écrit une chanson subtile. Rendons lui donc hommage, même si à ce jour personne n’est en mesure de prouver que c’est volontairement que le texte d’ « Under the Bridge » a des airs de love-song ultime.
De toute façon, la love-song qui tue elle est aussi sur ce disque, on la connaît moins mais elle se nomme « I Could Have Lied » et je peux vous dire que niveau explosion hormonale elle n’est pas mal non plus. Il faut dire que la voix de Kieidis y est terriblement sexy. Beaucoup plus que quand il chante « Naked in the Rain », alors que je connais pas mal de filles qui aimeraient le voir nu sous la pluie ; cela dit en passant elles sont nées trop tard parce qu’à leurs débuts les Red Hot étaient plus connus pour jouer à poil sur scène que pour la qualité assez approximative de leur musique.
A quoi doit-on donc ce retournement de situation subite ? Comment un groupe de branques (parce que c’est qu’ils étaient jusqu’à la fin des années 80) a-t-il pu devenir l’un des meilleurs de son temps ? La réponse a un nom, et ce nom c’est John Frusciante .
Frusciante n’est pas tout à fait le prototype du guitar-hero. Il est incapable de claquer un solo à la « regarde comme il est beau mon manche », il connaît trois accords et il ressemble plus à une épave qu’à une rockstar. Pourtant ce bout d’homme à peine vingtenaire à l’époque de l’album est un génie. C’est aussi inexplicable qu’indiscutable. Avant son arrivée en 89, les Red Hot Chili Peppers étaient des guignols et seul Flea (le bassiste) pouvait être considéré comme un musicien. Après, ils ont été l’un des plus grands groupes du monde et cela ne s’est démenti qu’une seule fois, en 1994-97, à savoir quand Frusciante est parti en désintoxe et que les trois autres ont eu la mauvaise idée de continuer sans lui. Bien évidemment on parle sans cesse de Flea et de son jeu de basse prodigieux. Mon frère, bassiste, serait prêt à tuer pour jouer comme ça. Sauf que mon frère a un avantage sur Flea : il sait composer. Flea est totalement incapable de composer une chanson digne de ce nom là où son collègue Frusciante en écrit 50 par an minimum. Dès son arrivée dans le groupe, les choses sont rentrées dans un ordre quasi naturel : Frusciante est le diamant et Flea l’écrin. Ensemble, ils balancent de tous les côtés : le riff dingue de « Blood Sugar Sex Magik » (mais si vous le connaissez), le rap-rock délirant de « The Power of Equality », les funks langoureux de « Funky Monks » et « If You Have to Ask », l’acoustique sensuelle de « I Could Have Lied » (encore) et « Breakin’ the Girl », l’explosion sur le refrain de « Suck My Kiss »… tout ça, c’est le résultat de l’addition d’un bassiste virtuose et d’un guitariste dont la vision artistique ne s’est quasiment jamais plantée (la preuve, quel est le single en tête des charts du monde entier cet an-ci ? félicitations à ceux qui ont répondu « Dani California », le dernier Red Hot, en même temps c’était facile).
Frusciante étant d’un naturel timide et introverti, il sera donc le gouvernail du groupe et Flea contrôlera le gouvernail. C’est aussi bête qu’une métaphore marine, quoi. Evidemment, Kieidis et sa voix hallucinante, son charisme, la batterie de Chad Smith (« The Greeting Song » mes enfants !) et la production de Rick Rubin ont joué dans la naissance de ce chef-d’œuvre. Mais ceux qui doutent de moi quand je dis que le génie du groupe se nomme John Frusciante seront condamnés au purgatoire, à moins qu’ils n’aillent immédiatement réviser leurs classiques en réécoutant le solo déchirant de « I Could Have Lied » et le riff cristallin d’ « Under the Bridge ». Cela vaut aussi pour Philippe Manœuvre, qui a réussi à mettre dans son prétentieux Top 100 des meilleurs disques de tous les temps One Hot Minute, à savoir le seul disque des Red Hot post-88 à avoir été fait sans Frusciante (très bon disque, certes, mais tout de même). Ce qui me permet par la même occasion de l’écrire ici : Philippe Manœuvre est gentil, sympa, il aime bien mettre des disques qu’on attend pas dans ses bouquins, mais bon, de temps en temps aussi, il faut savoir admettre qu’en musique comme en littérature certains classiques sont des chefs-d’œuvre.
Trois autres disques pour découvrir les Red Hot Chili Peppers (juste au cas où vous auriez hiberné ces 15 dernières années) :
Mother’s Milk (1989)
One Hot Minute (1995)
By the Way (2002)