...
C’était un vrai chouette moment. Je crois.
Mercredi en effet, la municipalité décidait d’organiser une grande soirée en l’honneur de notre équipe nationale qui allait, disait-on, torcher les Portugais. Ouais, ouais, je parle bien sûr de foot, de l’équipe nationale, vous vous souvenez ? Celle sur laquelle tout le monde crachait il y a encore deux semaines ? La preuve est faite que le footeux français est con comme un bol. Car je vais vous révéler un scoop, un truc qu’aucun journaliste ne vous dira jamais : l'Équipe de France n’est pire ni meilleure qu’avant. Elle est exactement pareille, avec des attaquants qui ne marquent pas et une défense en béton. Simplement la compétition est montée d’un cran, et les joueurs aussi, normal. Au fil des semaines ils ont de plus en plus donné, et cela a fini par payer. Seulement voilà : le footeux français, en général, est un mec qui ne connaît absolument rien au foot. D’ailleurs, il est incapable de citer plus de dix nations sur les 32 qui participent au Mondial. Il connaît la France, le Brésil, l’Allemagne, l’Argentine, l’Espagne et plus généralement les équipes européennes puisque la Coupe du Monde, au cas vous ne le sauriez pas encore, c’est un peu la Coupe d’Europe avec les Brésiliens et les Argentins en guest-stars. Ni plus, ni moins. C’est dur à admettre, mais c’est la vérité : les autres équipes ne sont là que pour faire de la figuration. A chaque Mondial, il y a toujours une équipe valeureuse qui est « la révélation » et se tire douloureusement jusqu’aux quart de finale, voire aux demis. Sauf que ce n’est qu’un feu de paille : à la fin, finalement, c’est toujours une victoire brésilienne, argentine, ou européenne. Et bien sûr cette équipe « révélation » de la Coupe du Monde ne fait jamais rien lors de la suivante. C’est systématique : en 94, c’était la Bulgarie. En 98 la Croatie, en 2002 la Corée (qui avait surtout révélé sa capacité à démonter la gueule de ses adversaire et à profiter de la générosité des arbitres, les Italiens s'en souviennent) et cette année, l’Ukraine. Généralement, ce sont des « petits » qui s’en sortent plus grâce aux hasards des tirages au sort que grâce à des performances réelles (le plus bel exemple c’est l’Ukraine cette année, équipe d’une médiocrité assez sidérante en dehors du grand Chevie). La plupart des gens qui s’intéressent sérieusement au football se sont fatalement posés une fois la question de savoir pourquoi on appelait ça Coupe du Monde.
Mais je m’égare : revenons au footeux français qui vénère ceux qu’il brûlait encore il y a deux semaines, au gré d'un match il est vrai splendide contre le Brésil, à défaut d'être spectaculaire (mais les amateurs de football tactique auront eu de quoi se lécher les babines). C’est quand même marrant. On dirait que ces gens réunis dans une grande salle rouennaise ignorent totalement le concept de préparation physique inhérente à tout sport de haut niveau. Les mecs, ils tombent des nus : ils viennent de découvrir que l'Équipe de France jouait bien. Comme si les Zidane, Henry et autres Vieira étaient des biquettes toute l’année en club. Diantre ! Thuram est le meilleur défenseur central du monde depuis pas loin d’une décennie, ça ne vient pas de sortir. Henry règne en maître sur le Championnat d’Angleterre depuis 1999, je crois que depuis qu’il est là-bas il n’y a pas beaucoup de saisons où il n’a pas fini meilleur buteur de l’exercice… alors pourquoi ces supers joueurs se mettraient-ils à devenir des quiches sous le maillot bleu ? J’avoue que ça me laisse perplexe… c’est un scepticisme bien français. Dans les autres pays, les équipes sont soutenues. En France, à moins d’atteindre les quart de finale, l’équipe est composée de blaireaux. Pourtant y a pas de quoi s’enorgueillir ! La France, c’est pas le Brésil, c’est pas l’Allemagne. Niveau nombre de titres, on est loin derrière ! Une Coupe du Monde et deux Euros, c’est quand même pas la mer à boire. Y a pas de quoi se prendre pour une grande nation du football qui doit faire un grand truc à chaque compétition, a fortiori quand on en est réduit à compter les Coupes des Confédérations dans le palmarès.
Et pourtant je suis quand même allé à la grande retransmission. Pourquoi ? Bah, il y avait deux raisons : la première c’est que je voulais faire plaisir à mon pote, Pierre. On avait déjà fait ça pour Angleterre – Suède et c’était vraiment sympa, on avait passé la soirée avec un groupe d’anglais qui étaient en vacances dans la région, ils nous avaient payé la tournée, on avait payé la nôtre, ç’avait été un vrai bon moment comme seule la Coupe du Monde de football peut en offrir (car elle a quand même quelques qualités). Vous savez, ces moments où les gens oublient leurs différences de cultures ou autres et se concentrent sur un seul et même truc. Les quatre Anglais étaient vraiment adorables ; il est probable aussi qu’on ne les aurait pas fréquenté dans d’autres conditions. C’est un des avantages du Mondial et de ses qualifications par zone, surtout dans des villes comme Rouen où vous avez dix nationalités au kilomètre carré. C’est forcément sympathique et chaleureux. Mon voisin d’en face est ivoirien, on a discuté de l'Équipe de Côté d’Ivoire ensemble, de son match vraiment énorme face à l’Argentine, c’était cool.
La seconde raison à ma présence là-bas l’autre soir, vous la connaissez bien évidemment. Je voulais le voir. Qui ça ? Allez, je vous laisse le dire… non ? Bon alors on va le dire tous ensemble. Un, deux…trois ! : JEAN-PIERRE JEAN ! Ah ah. Je peux vous dire que je l’ai bien chambré. Bah ouais : Jean-Pierre Jean, malgré toutes ses connaissances en matière de football, était forcément surpris de retrouver l'Équipe de France en demi-finale. Moi aussi, vous me direz, comme tout le monde. Mais moi bon… je m’en sortais bien : j’avais pronostiqué les quarts, donc j’avais l'air moins con que ceux qui avaient prédit qu’ils ne passeraient pas le premier tour, comme, au hasard : Jean-Pierre Jean. Là pour le coup, Jean-Pierre Jean, il ne nous a pas étalé sa grande culture toute la soirée. Tout d’un coup il trouvait que Fabien Barthez était un super gardien, et que Zidane était formidable. Il y a quinze jours encore Jean-Pierre Jean pensait que l’équipe était meilleure sans lui. Ce soir-là face au Portugal, il n’a pas tari d’éloges à son sujet. C’est presque comique, si on considère que Dieu n’a pas fait un grand match contre les Portugais.
Ceci dit, l’ambiance était moins sympa que quand on était allé voir Angleterre – Suède. C’est la réflexion qui nous est venue immédiatement avec Pierre. Là, c’était ce que les commentateurs appellent la liesse populaire, c’est à dire chauvinisme à tous les étages et allez que je vais t’enculer les Portugais, moi. Et dès que Cristiano Ronaldo touchait le ballon « hooooooou ! tapette !!! ». Charmant. Nous, on est moyennement friand de ce genre d’ambiance. Certains aiment l'Équipe de France, d’autres aiment le football. Personnellement, je n’ai pas eu l’impression d’assister à un grand match. Je me suis même un peu fait chier par moments. J’ai toujours détesté les équipes qui passent leur temps à mettre un bus devant le but, je ne vais pas me mettre à adorer ça juste parce que c’est l'Équipe de France. Mais la ferveur populaire l’emportait sur tout le reste. Zidane était ovationné dès qu’il touchait le ballon, incroyable. A un moment Pierre s’est penché vers moi d’un air interrogateur. J’ai souri, parce qu’on avait encore eu à peu près la même pensée : Zidane touche le ballon, c’est normal, il est footballeur. Pas de quoi l’ovationner. Il a fait un ou deux jolis passements de jambes, c’est toujours plus impressionnant que les dribles de Cristiano Ronaldo mais y a quand même pas de quoi pleurer de joie. Ben si pourtant, les gens autour de nous, ils pleuraient de joie. Ça m’échappait. Il y avait quelque chose de quasi irrationnel. Pourtant j’adore le foot, depuis toujours, mais je n’aime pas le nationalisme crétin : les Français ont fait un match très moyen, je ne vois pas pourquoi on pleurerait de bonheur. Ils ont gagné, ok, ils vont en finale, c’est super, d’un autre côté les Portugais ont été particulièrement mauvais. Gagner sur un penalty marqué au bout d’une demi-heure et défendre tout le reste du match, ce n’est quand même pas la gloire absolue.
Il faut bien dire que les spectateurs étaient totalement conditionnés par les commentaires galvanisants de Thierry Gilardi, qui semble proche de l’orgasme à chaque fois que Zidane fait une passe. Il est là : « Ziiiiiiiiiiiidane », « Ziiiiiiiiiizou » et bien sûr le fameux « El Maestro ». « El Maestro » est le surnom que les Espagnols ont donné à Zidane. 80 % des français l’ignoraient jusqu’à ces dernières semaines, mais là, depuis trois matchs, je peux vous dire que plus personne ne peut ne pas être au courant. Zidane, c’est « El Maestro ». Ça veut pas dire grand chose mais on s’en fout, ça fait bien. Il y a aussi Thuram, dont a on appris (à six reprises, j’ai compté) qu’il était un Grand Monsieur. Ah et puis, côté portugais, il y avait Figo. Gilardi aime beacoup Figo, ça s’entend dans sa voix. Si vous faites attention, vous noterez que les joueurs qui ont l’estime de Thierry Gilardi ont droit à une prononciation particulière de leur nom de famille. On a donc eu ce soir là un peu de « Fiiiiiigo », beaucoup de « Figggggggo » et même quelques « Figooooooooooo »… mais en nombre raisonnable tout de même, c’est pas comme si les commentateurs de TF1 étaient subjectifs. Ils sont très professionnels et ne prennent jamais parti. Même quand ils disent « Oh, Deco n’est pas en forme c’est dommage, mais c’est bien pour nous. » Oui, ils disent pour nous, comme s’ils étaient sur le terrain.
Il y a des trucs assez inexplicables dans leurs commentaires, je dirais même des codes. Par exemple il y a à l’intérieur de Gilardi un radar qui se déclenche et le force à hurler tout son souffle dès qu’un joueur s’approche vaguement de la surface de réparation. Dans la plupart des cas il ne se passe rien. Au mieux, le mec balance le ballon au-dessus du but, mais c’est pas grave, Gilardi aura tout donné. Il vit le match à fond. Il est là, aux côtés des joueurs. C'est aussi ce qui le rend attachant, d'une certaine manière. Comment fait-il pour encore avoir de la voix après un mois de compétition, on se le demande. A mon avis il doit suivre des stages de récupération avec les préparateurs physiques de l'Équipe de France, comme les joueurs. A côté de lui, le pauvre Jean-Michel Larqué fait de la peine : du temps de Thierry Roland il arrivait encore à placer quelques trucs, parce que comme l’autre vieux beauf sénile ne disait que des conneries, il passait pour un cultivé. Là, Gilardi en sait autant que lui, et du coup il en est réduit à des choses aussi navrantes que celle-ci : « Tiens, Serge à la régie viens de nous montrer Jean-Paul Bidule, le président du Stade Brestois, que nous saluons au passage ». Bon, le mec s’appelle pas vraiment Bidule et je ne suis plus trop certain de son club, mais sinon je vous assure que Larqué a vraiment salué le président du (supposé) Stade Brestois, club de très très haut niveau en France, dont tout le monde se fout du président, et plus encore du nom de son président, et encore un petit plus de sa présence dans le stade. Et le pire, c’est que le commentaire est totalement con : pourquoi il le salue ? le mec il est dans les tribunes, il ne l’entend pas ! Donc Larqué nous a fait ça toute la soirée : et voici Christian Karembeu, qui a fait le déplacement… bon ok, Karembeu, on situait. Après on a vu la tribune dite des « femmes des joueurs » et là il nous as fait une triplette : « mesdames Henry-Trézéguet-Ribéry ». Il a oublié de dire « de gauche à droite », mais c’était implicite. N’empêche, il est balaise Jean-Mimi. Il connaît toutes les femmes des joueurs. Moi, Madame Henry, je l’avais jamais vue de ma vie (cela dit j’aurais aimé la voir plus longtemps). Lui, il les connaît et il les repère de loin. On sent qu’il a « du métier ».
« Il a du métier » est en effet un autre gimmick de Jean-Michel Larqué : « oh, quelle belle défense, il a du métier ce Thuram »… c’est clair qu’à 33 ans ce serait con qu’il ait pas de métier. Et généralement derrière Gilardi ajoute : « Oh, c’est vraiment un Grrrrrand Monsieur du football ». Bah tiens. Parfois même Larqué précise pour ceux qui n’auraient pas suivi : « Attention surtout, ce Simao, c’est un bon joueur de ballon »… ah merde alors. Remarquez ça vaut mieux, parce que si ç’avait été un bon joueur de pétanque on aurait pu s’interroger sur sa présence en sélection nationale.
Bon, à leur décharge, ils sont très bêtes mais il faut bien avouer qu’il fallait meubler tellement le match était soporifique. Du coup ils ont dû nous sortir tout leur arsenal, toutes leurs expressions toutes faites qu’on doit leur apprendre tout jeune à l’école des commentateurs de foot. Avec bien sûr la TF1’s touch, c’est à dire plein de précisions que vous n’aurez jamais ailleurs, des statistiques particulièrement enrichissantes. A sa sortie nous avons appris que Miguel, le joueur portugais qui s’est blessé en fin de match, avait donné 36 ballons. C’est sûr que sa sortie méritait un gros plan. Surtout qu’il fallait bien voir qu’il avait « toute la tristesse du monde sur son visage ». Au moins. Le mec aurait pu avoir toute la tristesse du Portugal mais non, tant qu’à faire, autant avoir carrément le poids du monde sur ses épaules. En plus ils nous avaient fait le même commentaire à propos de Djibril Cissé avant le Mondial. Ce qui signifie qu'il y au moins deux joueurs qui portent le poids du monde sur leurs épaules. Vous vous demandiez l'explication de leurs salaires mirobolants ? Pas de problème, vous l'avez désormais, grâce à TF1.
Heureusement, il y Arsène. Arsène Wenger, le manager d’Arsenal. Arsène qui lui connaît le football pour de vrai. En plus il est intelligent, cultivé et classe. Là vous vous demandez ce qu’il fout sur TF1. Je vous rassure : les deux autres ne le laissent pas en placer une. Mais alors quand il en place une, je peux vous dire que ça fait son petit effet : Arsène il vous prononce que six phrases en 90 minutes, soit donc une tous les quarts d’heure, mais chacune résume à la perfection le quart d’heure qui vient de s’écouler. Moi, je serais assez partisan d’un type de commentaire nouveau : Arsène Wenger tout seul, qui se contente d’envoyer sa phrase du quart d’heure, et le reste du temps on regarde le match. Le revers de la médaille, c’est qu’Arsène tout seul ne peut pas devenir le réceptacle de toute la liesse populaire qui s’est emparée du pays. Avec ses six phrases de mec qui s’y connaît il foutrait tout en l’air, faut quand même pas faire trop pointu, parce qu’il y a 23 millions de personnes qui nous regardent, précise Gilardi. 23 MILLIONS ? Quand on a entendu ça, Pierre et moi, on a eu limite honte de regarder le match sur TF1 et pas sur Eurosport. On était devant TF1 (ce qui déjà nous arrive rarement), dans une salle municipale avec au moins 500 allumés, plus Jean-Pierre Jean plus le dignitaire local venu voir le match avec nous. Comme je le connais un peu, à titre privé je veux dire, j’ai rigolé : ce mec ne s’intéresse absolument pas au sport, il a horreur de ça et il y connaît que dalle. Là, il paradait avec son écharpe bleu blanc rouge, c’était pathétique. En plus il n’a même pas payé sa tournée.
Mais revenons à ce match palpitant. Les dix premières minutes ont été fulgurantes et totalement portugaises. C’était le festival Figo, et je peux vous dire que le festival Figo ça a une sacrée gueule. Même les commentateurs n’ont pas réussi à nous le gâcher ! Le hic, c’est que les 500 personnes (enfin 497) autour de nous y sont parvenu assez facilement puisqu’elles sifflaient le pauvre joueur… le grand joueur portugais sifflé par une bande de blaireaux. Déjà dans un stade c’est limite, mais devant un écran on peut se demander l’intérêt de la chose. De toute façon après dix minutes les Français se sont réveillés et ont monopolisé le ballon. Il fallait en profiter, parce qu'ils n'ont pas été éveillés bien longtemps. Là ça y est, Gilardi était déchaîné, oh le joli passement de jambes de Zidane, qui décale Ribéry, Sagnol, Sagnol qui centre (oui alors ne soyez pas étonnez Sagnol qui centre est en fait une phrase toute faite, Sagnol est le seul joueur de l’équipe qui sait centrer) et « Oooooh…la demi-volée de Malouda légèrement trop enroulée ». Ah ouais. Donc pour Gilardi un truc qui passe deux mètres au-dessus c’est « légèrement trop enroulé ». On ose à peine imaginer ce que c’est qu’un
truc « carrément déroulé ».
Vous l’aurez compris, que ce soit au niveau du commentaire ou au niveau de la salle tout le monde avait décidé d’être très indulgent avec l'Équipe de France. L’heure de la grande union nationale a sonné. C’est à peine si on se souvient qu’il y a encore un an Raymond Domenech se faisait insulter dans la rue et recevait des lettres de menaces. Certes, depuis il a ramené Dieu dans son équipe. Bah justement, Dieu, parlons-en. Depuis Portugal – France, c’est officiel : Dieu n’existe pas. Parce que Dieu, il n’a quand même pas été ni très percutant ni très décisif… ou alors Dieu est en fait Thuram ou Makélélé, mais un dieu black ça pourrait poser des problèmes à certains. Tiens puisqu’on en parle, c’était très marrant de voir Villepin dans les tribunes. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur notre futur-ex premier ministre, pour une fois. C’est un sportif, et son commentaire à la fin du match était tout ce qu’il y a de plus sérieux, témoignant d’une réelle connaissance du football. Après Chirac qui voulait voir la finale France – Brésil (forcément au tour d'avant il était euphorique, lui il croyait qu’on venait d’être sacrés champions du monde), ça faisait du bien. Mais Sarkozy, il est où ? Sarkozy c’est quand même un super fan de foot ! Un supporter de toujours… ah mais c’est vrai, Sarkozy, évidemment, il est un peu grillé depuis que Le Grand Monsieur du Football Français l’a remis à sa place. Du coup il ose plus se montrer et ne s’est pas déplacé à la Coupe du Monde. Depuis quatre ans qu’il est aux affaires, c’est la première fois que Sarkozy ne va pas là où sont les caméras. Ça soulage non ? Franchement ? Si, si, ça soulage. Un événement médiatique sans Sarkozy, ça fait du bien. En plus la Coupe du Monde c’est long, hé hé. Un mois ! Comme des petites vacances !… évidemment ceux qui ont moins de bols, c’est les mecs du Tour de France, parce qu’ils l’ont récupéré. C’est pas très glamour évidemment, Sarkozy qui suit le Tour de France, mais au moins là il est tranquille, il sait qu’il ne croisera pas un seul coureur noir qui viendra lui parler des effets positifs de la colonisation…
Finalement, il s’est passé un truc à la trentième minute environ : le pauvre Ricardo Carvalho a taclé Henry au moment où il armait sa frappe, mais il l’a très mal taclé puisqu’il l’a « cisaillé ». Du coup Henry s’est cassé la gueule. D’autant plus frustrant que c’est la seule fois du match où il a fait un truc. Alors pour compenser, Monsieur l’Arbitre Uruguayen (j’ai oublié son nom, mais c’est vraiment un excellent arbitre, c’était même peut-être lui le meilleur sur le terrain ce soir là) a accordé le penalty. Là, on ne rigolait plus dans la salle. Tout le monde était sous tension. Silence tout autour. Un mec a osé un « VAS-Y MON ZIZOU ! » qui s’est heurté à un mur d’indifférence. Dieu était là, dans la surface, il a posé le ballon sur le gros point blanc prévu à cet effet. Il y a eu un gros plan de Dieu qui transpirait du nez (ce qui n’est pas très élégant pour un dieu). Le gros plan nous montrait le regard hyper concentré de Dieu (qui en fait a toujours un peu le même regard – de là à dire qu’il est toujours concentré...) A ma droite, Jean-Pierre Jean avait posé sa bière et ôté ses lunettes (drôle d'idée pour assister au climax du match). Et soudain, sans prévenir (enfin si, un peu, puisque l’arbitre avait sifflé), Dieu a frappé. Ou plutôt : il a poussé le ballon, presque avec désinvolture. Sans élan, comme l’ont souligné les commentateurs. Le but est arrivé. Dieu a couru vers ses disciples, sans sourire.
TF1 nous a montré dix fois la frappe dans les minutes qui ont suivi. Vous même avez probablement vu cette frappe à la télé au moins quinze fois depuis. Vous avez donc pu juger qu’en réalité, Dieu a tiré son penalty comme une quiche, pas de force, pas d’effet. Vous avez noté que Ricardo, le goal portugais, était parti du bon côté et était à deux doigts de l’arrêter. C’est une évidence. Sauf que non : pour Thierry Gilardi et Jean-Michel Larqué, Dieu a fait tout ça exprès, c’était voulu, prévu, millimétré. Dieu n’est pas du genre à laisser les choses au hasard.
Dans la salle, c’était l’euphorie complète ! les gens sautaient, s’embrassaient, limite c’était eux qu’avaient marqué. D'ailleurs, pas limite : oui, NOUS avions marqué. Un penalty pourri, soit, mais NOUS avions marqué. Cela s'appelle la Communion, et de la part d'un Dieu c'est le minimum syndical. Mais tout de suite, Thierry Gilardi a su remettre les évènements en perspective : « Attention Jean-Michel et Arsène, ce sont les cinq minutes à venir qui vont être les plus importantes ». C’est à dire la réplique portugaise, pour le moins pathétique puisqu’en gros ça consistait dans un premier à faire dribler Cristiano Ronaldo (je rappelle que c’est à peu près la seule chose qu’il sait faire, ça et s’admirer dans le grand écran au dessus du terrain) puis à lancer Figo dans le couloir droit, ce qui est nettement plus convaincant. Figo centre (superbe le centre) et là Pauleta reprend le ballon… …comme une nouille, mais d’un autre côté on ne peut lui en vouloir : il joue au PSG. Après, Scolari, l’entraîneur brésilien des Portugais (oui alors moi non plus j’ai jamais compris pourquoi les joueurs devaient avoir la même nationalité mais pas l’entraîneur) a adopté une autre tactique, en faisant appel au second don de Cristiano Ronaldo, déjà évoqué dans les commentaires de la précédente chronique : le jetage par terre. Sur une action tout ce qu’il y a de plus banale, on voit le gamin s’effondrer dans la surface française, et tout le banc portugais se lever, réclamer le penalty, faire pression sur l’arbitre… C’est bien parce que c’est le Mondial. Dans un championnat, ou dans n’importe quelle autre compétition, l’entraîneur aurait été expulsé pour avoir autant insulté l’arbitre – et Ronaldo pour avoir simulé. Car bien sûr, il n’y avait pas du tout de faute, Sagnol ne l’a même pas touché, enfin si, il a dû lui effleurer l’épaule mais Ronaldo était déjà en train de s’effondrer (si ça se trouve Sagnol voulait lui donner un coup de main pour se relever vu que les problèmes moteurs du jeune Portugais sont connus du monde entier). Ensuite, mi-temps. Avec Pierre on a failli partir, les gens dans la salle commençaient pour certains à être très imbibés, et franchement autant le regarder chez moi ce match. Mais Jean-Pierre Jean, on ne pouvait pas le laisser tout seul. Ça n’aurait pas été sympa. Nous sommes donc restés pour assister à une seconde période impressionnante. Là on a bien vu la fameuse « bataille technique » évoquée par Gilardi (qui en fait voulait dire tactique, nous sommes d'accord) : une bataille technique c’est en fait une équipe qui défend (la France) et une autre qui attaque (le Portugal). Rien de spectaculaire là-dedans, ni de très technique d’ailleurs.
Franchement la deuxième mi-temps, c’était mieux de la garder dans la salle, chez moi on se serait assoupi. Les Français n’ont mené qu’une seule attaque qui n’a pas été concrétisée, quant aux Portugais ils ont passé leur temps à essayer de rentrer dans la défense mais leur médiocrité était telle qu’il n’ont même pas réussi à égaliser alors qu’ils ont eu le ballon quasiment tout le temps. En même temps on savait déjà que les portugais n’étaient pas brillants : au match d’avant ils avaient joué à 11 contre 10 face aux Anglais, pendant plus de 60 minutes, sans jamais réussir à marquer. Contre les Pays-Bas, il avait fallu deux expulsions pour qu’ils parviennent à s’en tirer de manière à peine honorable. Bref c’était vraiment un match chiant, d’une nullité inversement proportionnelle aux effusions de bonheur des gens dans la salle au coup de sifflet final. Je me suis vraiment demandé si c’était une demi-finale de Coupe du Monde. Les Portugais ont été totalement transparents, les Français, épuisés, ont assuré le minimum syndical – rien à voir avec la virtuosité affichée plus tôt face au Brésil et à l’Espagne. Le pire étant quand même d’imaginer une finale France – Italie, c’est à dire deux équipes dont la principale caractéristique est de défendre (avec un indéniable talent). J’espère que ça va être grandiose, mais honnêtement ça ne me semble pas gagné d’avance. Les Italiens ont eu beau livrer un match d'anthologie contre les Allemands, je ne suis pas complètement sûr de pouvoir expliquer comment ils sont arrivés en finale, eux non plus. On appelle ça le facteur chance, paraît-il. C’est en effet une raison acceptable. Avoir la baraka plus une défense en béton, un sens de l'à propos tactique et au moins un joueur génial, c’est le meilleur moyen d’être champion du monde. Les Italiens ont tout cela, les Français aussi. Mais pour gagner ce match là, il faudra du talent et pas seulement une veine de cocu et des défenseurs en acier trempé.
Pierre voulait partir mais pas moi. Pas parce que je voulais voir une interview de quarante secondes où Zidane enquillait les lieux communs, ni parce que je voulais me taper Villepin faisant le mariole. Je voulais voir l’image de fin. Mais d’abord, avec L’Apinou, on s’est esclaffé en voyant Platini, un verre de vin à la main, sortir : « Qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon » (oui, il a bien dit ça et non l'inverse). Il a dit ça en riant, le journaliste a rigolé aussi, visiblement ce dernier n’avait pas compris le sens réel de la phrase à savoir « Qu’importe le match de merde pourvu qu’il y ait la qualification ». On aura beau dire ce qu’on voudra, Platini n’est pas Dieu mais il a plus de répartie.
Enfin l’image finale est arrivée. L’image finale des matchs sur TF1, c’est en fait les trois commentateurs enfin réunis et à l’écran. Larqué à gauche, Gilardi à droite et Arsène au milieu (ils sont un peu comme Domenech, ils ne changent jamais de dispositif). La vision en elle-même est assez marrante, parce que Wenger est en retrait, en plus il passe pour un géant pacifiste à côté des deux autres excités. A ce moment là, à tous les coups, Gilardi balance : « ON SE DONNE RENDEZ-VOUS [date] A 21h00 POUR [match], SUUUUR TF1 BIEN SÛR !!!!!!!!!!!! BONSOIR ! », Larqué fait « BONSOIR A TOUS, BONSOIR THIERRY, BONSOIR ARSÈNE ». Le réalisateur balance le jingle et systématiquement, pile au moment au moment où le jingle commence, à la dernière seconde, Arsène lève les yeux vers la caméra (enfin les baisse plutôt) et lâche : « Bonsoir. » Tout simplement. Avec un sourire. Sobriété, efficacité. Naturel et classe. C’est un moment magique, j’espère qu’on y aura droit dimanche soir.
Nous sommes sortis de la salle avec Pierre et Jean-Pierre Jean. Dans la rue les scènes d’allégresse se poursuivaient. L’ambiance déteignait un peu sur nous : après tout, nous aussi on était content que la France soit en finale. Même si on aurait préféré voir un grand match et ne pas avoir l’impression que ces mecs étaient des résistants, des guerriers, mais des joueurs qui… jouaient. C’est très con, mais quand on écoute les commentateurs on note que l’expression « déjouer » revient tout le temps. « La France a fait déjouer ses adversaires ». Mouais. Entre « déjouer » et « ne pas jouer », il y a une marge que la France a franchi au moins contre le Portugal. De fait, on a commencé à évoquer la finale sur le chemin du retour, et Jean-Pierre Jean a parfaitement résumé la situation : « A mon avis, ça va être une vraie bataille technique. »
C’était un vrai chouette moment. Je crois.
Mercredi en effet, la municipalité décidait d’organiser une grande soirée en l’honneur de notre équipe nationale qui allait, disait-on, torcher les Portugais. Ouais, ouais, je parle bien sûr de foot, de l’équipe nationale, vous vous souvenez ? Celle sur laquelle tout le monde crachait il y a encore deux semaines ? La preuve est faite que le footeux français est con comme un bol. Car je vais vous révéler un scoop, un truc qu’aucun journaliste ne vous dira jamais : l'Équipe de France n’est pire ni meilleure qu’avant. Elle est exactement pareille, avec des attaquants qui ne marquent pas et une défense en béton. Simplement la compétition est montée d’un cran, et les joueurs aussi, normal. Au fil des semaines ils ont de plus en plus donné, et cela a fini par payer. Seulement voilà : le footeux français, en général, est un mec qui ne connaît absolument rien au foot. D’ailleurs, il est incapable de citer plus de dix nations sur les 32 qui participent au Mondial. Il connaît la France, le Brésil, l’Allemagne, l’Argentine, l’Espagne et plus généralement les équipes européennes puisque la Coupe du Monde, au cas vous ne le sauriez pas encore, c’est un peu la Coupe d’Europe avec les Brésiliens et les Argentins en guest-stars. Ni plus, ni moins. C’est dur à admettre, mais c’est la vérité : les autres équipes ne sont là que pour faire de la figuration. A chaque Mondial, il y a toujours une équipe valeureuse qui est « la révélation » et se tire douloureusement jusqu’aux quart de finale, voire aux demis. Sauf que ce n’est qu’un feu de paille : à la fin, finalement, c’est toujours une victoire brésilienne, argentine, ou européenne. Et bien sûr cette équipe « révélation » de la Coupe du Monde ne fait jamais rien lors de la suivante. C’est systématique : en 94, c’était la Bulgarie. En 98 la Croatie, en 2002 la Corée (qui avait surtout révélé sa capacité à démonter la gueule de ses adversaire et à profiter de la générosité des arbitres, les Italiens s'en souviennent) et cette année, l’Ukraine. Généralement, ce sont des « petits » qui s’en sortent plus grâce aux hasards des tirages au sort que grâce à des performances réelles (le plus bel exemple c’est l’Ukraine cette année, équipe d’une médiocrité assez sidérante en dehors du grand Chevie). La plupart des gens qui s’intéressent sérieusement au football se sont fatalement posés une fois la question de savoir pourquoi on appelait ça Coupe du Monde.
Mais je m’égare : revenons au footeux français qui vénère ceux qu’il brûlait encore il y a deux semaines, au gré d'un match il est vrai splendide contre le Brésil, à défaut d'être spectaculaire (mais les amateurs de football tactique auront eu de quoi se lécher les babines). C’est quand même marrant. On dirait que ces gens réunis dans une grande salle rouennaise ignorent totalement le concept de préparation physique inhérente à tout sport de haut niveau. Les mecs, ils tombent des nus : ils viennent de découvrir que l'Équipe de France jouait bien. Comme si les Zidane, Henry et autres Vieira étaient des biquettes toute l’année en club. Diantre ! Thuram est le meilleur défenseur central du monde depuis pas loin d’une décennie, ça ne vient pas de sortir. Henry règne en maître sur le Championnat d’Angleterre depuis 1999, je crois que depuis qu’il est là-bas il n’y a pas beaucoup de saisons où il n’a pas fini meilleur buteur de l’exercice… alors pourquoi ces supers joueurs se mettraient-ils à devenir des quiches sous le maillot bleu ? J’avoue que ça me laisse perplexe… c’est un scepticisme bien français. Dans les autres pays, les équipes sont soutenues. En France, à moins d’atteindre les quart de finale, l’équipe est composée de blaireaux. Pourtant y a pas de quoi s’enorgueillir ! La France, c’est pas le Brésil, c’est pas l’Allemagne. Niveau nombre de titres, on est loin derrière ! Une Coupe du Monde et deux Euros, c’est quand même pas la mer à boire. Y a pas de quoi se prendre pour une grande nation du football qui doit faire un grand truc à chaque compétition, a fortiori quand on en est réduit à compter les Coupes des Confédérations dans le palmarès.
Et pourtant je suis quand même allé à la grande retransmission. Pourquoi ? Bah, il y avait deux raisons : la première c’est que je voulais faire plaisir à mon pote, Pierre. On avait déjà fait ça pour Angleterre – Suède et c’était vraiment sympa, on avait passé la soirée avec un groupe d’anglais qui étaient en vacances dans la région, ils nous avaient payé la tournée, on avait payé la nôtre, ç’avait été un vrai bon moment comme seule la Coupe du Monde de football peut en offrir (car elle a quand même quelques qualités). Vous savez, ces moments où les gens oublient leurs différences de cultures ou autres et se concentrent sur un seul et même truc. Les quatre Anglais étaient vraiment adorables ; il est probable aussi qu’on ne les aurait pas fréquenté dans d’autres conditions. C’est un des avantages du Mondial et de ses qualifications par zone, surtout dans des villes comme Rouen où vous avez dix nationalités au kilomètre carré. C’est forcément sympathique et chaleureux. Mon voisin d’en face est ivoirien, on a discuté de l'Équipe de Côté d’Ivoire ensemble, de son match vraiment énorme face à l’Argentine, c’était cool.
La seconde raison à ma présence là-bas l’autre soir, vous la connaissez bien évidemment. Je voulais le voir. Qui ça ? Allez, je vous laisse le dire… non ? Bon alors on va le dire tous ensemble. Un, deux…trois ! : JEAN-PIERRE JEAN ! Ah ah. Je peux vous dire que je l’ai bien chambré. Bah ouais : Jean-Pierre Jean, malgré toutes ses connaissances en matière de football, était forcément surpris de retrouver l'Équipe de France en demi-finale. Moi aussi, vous me direz, comme tout le monde. Mais moi bon… je m’en sortais bien : j’avais pronostiqué les quarts, donc j’avais l'air moins con que ceux qui avaient prédit qu’ils ne passeraient pas le premier tour, comme, au hasard : Jean-Pierre Jean. Là pour le coup, Jean-Pierre Jean, il ne nous a pas étalé sa grande culture toute la soirée. Tout d’un coup il trouvait que Fabien Barthez était un super gardien, et que Zidane était formidable. Il y a quinze jours encore Jean-Pierre Jean pensait que l’équipe était meilleure sans lui. Ce soir-là face au Portugal, il n’a pas tari d’éloges à son sujet. C’est presque comique, si on considère que Dieu n’a pas fait un grand match contre les Portugais.
Ceci dit, l’ambiance était moins sympa que quand on était allé voir Angleterre – Suède. C’est la réflexion qui nous est venue immédiatement avec Pierre. Là, c’était ce que les commentateurs appellent la liesse populaire, c’est à dire chauvinisme à tous les étages et allez que je vais t’enculer les Portugais, moi. Et dès que Cristiano Ronaldo touchait le ballon « hooooooou ! tapette !!! ». Charmant. Nous, on est moyennement friand de ce genre d’ambiance. Certains aiment l'Équipe de France, d’autres aiment le football. Personnellement, je n’ai pas eu l’impression d’assister à un grand match. Je me suis même un peu fait chier par moments. J’ai toujours détesté les équipes qui passent leur temps à mettre un bus devant le but, je ne vais pas me mettre à adorer ça juste parce que c’est l'Équipe de France. Mais la ferveur populaire l’emportait sur tout le reste. Zidane était ovationné dès qu’il touchait le ballon, incroyable. A un moment Pierre s’est penché vers moi d’un air interrogateur. J’ai souri, parce qu’on avait encore eu à peu près la même pensée : Zidane touche le ballon, c’est normal, il est footballeur. Pas de quoi l’ovationner. Il a fait un ou deux jolis passements de jambes, c’est toujours plus impressionnant que les dribles de Cristiano Ronaldo mais y a quand même pas de quoi pleurer de joie. Ben si pourtant, les gens autour de nous, ils pleuraient de joie. Ça m’échappait. Il y avait quelque chose de quasi irrationnel. Pourtant j’adore le foot, depuis toujours, mais je n’aime pas le nationalisme crétin : les Français ont fait un match très moyen, je ne vois pas pourquoi on pleurerait de bonheur. Ils ont gagné, ok, ils vont en finale, c’est super, d’un autre côté les Portugais ont été particulièrement mauvais. Gagner sur un penalty marqué au bout d’une demi-heure et défendre tout le reste du match, ce n’est quand même pas la gloire absolue.
Il faut bien dire que les spectateurs étaient totalement conditionnés par les commentaires galvanisants de Thierry Gilardi, qui semble proche de l’orgasme à chaque fois que Zidane fait une passe. Il est là : « Ziiiiiiiiiiiidane », « Ziiiiiiiiiizou » et bien sûr le fameux « El Maestro ». « El Maestro » est le surnom que les Espagnols ont donné à Zidane. 80 % des français l’ignoraient jusqu’à ces dernières semaines, mais là, depuis trois matchs, je peux vous dire que plus personne ne peut ne pas être au courant. Zidane, c’est « El Maestro ». Ça veut pas dire grand chose mais on s’en fout, ça fait bien. Il y a aussi Thuram, dont a on appris (à six reprises, j’ai compté) qu’il était un Grand Monsieur. Ah et puis, côté portugais, il y avait Figo. Gilardi aime beacoup Figo, ça s’entend dans sa voix. Si vous faites attention, vous noterez que les joueurs qui ont l’estime de Thierry Gilardi ont droit à une prononciation particulière de leur nom de famille. On a donc eu ce soir là un peu de « Fiiiiiigo », beaucoup de « Figggggggo » et même quelques « Figooooooooooo »… mais en nombre raisonnable tout de même, c’est pas comme si les commentateurs de TF1 étaient subjectifs. Ils sont très professionnels et ne prennent jamais parti. Même quand ils disent « Oh, Deco n’est pas en forme c’est dommage, mais c’est bien pour nous. » Oui, ils disent pour nous, comme s’ils étaient sur le terrain.
Thuram, quand il était un petit monsieur.
« Il a du métier » est en effet un autre gimmick de Jean-Michel Larqué : « oh, quelle belle défense, il a du métier ce Thuram »… c’est clair qu’à 33 ans ce serait con qu’il ait pas de métier. Et généralement derrière Gilardi ajoute : « Oh, c’est vraiment un Grrrrrand Monsieur du football ». Bah tiens. Parfois même Larqué précise pour ceux qui n’auraient pas suivi : « Attention surtout, ce Simao, c’est un bon joueur de ballon »… ah merde alors. Remarquez ça vaut mieux, parce que si ç’avait été un bon joueur de pétanque on aurait pu s’interroger sur sa présence en sélection nationale.
Bon, à leur décharge, ils sont très bêtes mais il faut bien avouer qu’il fallait meubler tellement le match était soporifique. Du coup ils ont dû nous sortir tout leur arsenal, toutes leurs expressions toutes faites qu’on doit leur apprendre tout jeune à l’école des commentateurs de foot. Avec bien sûr la TF1’s touch, c’est à dire plein de précisions que vous n’aurez jamais ailleurs, des statistiques particulièrement enrichissantes. A sa sortie nous avons appris que Miguel, le joueur portugais qui s’est blessé en fin de match, avait donné 36 ballons. C’est sûr que sa sortie méritait un gros plan. Surtout qu’il fallait bien voir qu’il avait « toute la tristesse du monde sur son visage ». Au moins. Le mec aurait pu avoir toute la tristesse du Portugal mais non, tant qu’à faire, autant avoir carrément le poids du monde sur ses épaules. En plus ils nous avaient fait le même commentaire à propos de Djibril Cissé avant le Mondial. Ce qui signifie qu'il y au moins deux joueurs qui portent le poids du monde sur leurs épaules. Vous vous demandiez l'explication de leurs salaires mirobolants ? Pas de problème, vous l'avez désormais, grâce à TF1.
Heureusement, il y Arsène. Arsène Wenger, le manager d’Arsenal. Arsène qui lui connaît le football pour de vrai. En plus il est intelligent, cultivé et classe. Là vous vous demandez ce qu’il fout sur TF1. Je vous rassure : les deux autres ne le laissent pas en placer une. Mais alors quand il en place une, je peux vous dire que ça fait son petit effet : Arsène il vous prononce que six phrases en 90 minutes, soit donc une tous les quarts d’heure, mais chacune résume à la perfection le quart d’heure qui vient de s’écouler. Moi, je serais assez partisan d’un type de commentaire nouveau : Arsène Wenger tout seul, qui se contente d’envoyer sa phrase du quart d’heure, et le reste du temps on regarde le match. Le revers de la médaille, c’est qu’Arsène tout seul ne peut pas devenir le réceptacle de toute la liesse populaire qui s’est emparée du pays. Avec ses six phrases de mec qui s’y connaît il foutrait tout en l’air, faut quand même pas faire trop pointu, parce qu’il y a 23 millions de personnes qui nous regardent, précise Gilardi. 23 MILLIONS ? Quand on a entendu ça, Pierre et moi, on a eu limite honte de regarder le match sur TF1 et pas sur Eurosport. On était devant TF1 (ce qui déjà nous arrive rarement), dans une salle municipale avec au moins 500 allumés, plus Jean-Pierre Jean plus le dignitaire local venu voir le match avec nous. Comme je le connais un peu, à titre privé je veux dire, j’ai rigolé : ce mec ne s’intéresse absolument pas au sport, il a horreur de ça et il y connaît que dalle. Là, il paradait avec son écharpe bleu blanc rouge, c’était pathétique. En plus il n’a même pas payé sa tournée.
Mais revenons à ce match palpitant. Les dix premières minutes ont été fulgurantes et totalement portugaises. C’était le festival Figo, et je peux vous dire que le festival Figo ça a une sacrée gueule. Même les commentateurs n’ont pas réussi à nous le gâcher ! Le hic, c’est que les 500 personnes (enfin 497) autour de nous y sont parvenu assez facilement puisqu’elles sifflaient le pauvre joueur… le grand joueur portugais sifflé par une bande de blaireaux. Déjà dans un stade c’est limite, mais devant un écran on peut se demander l’intérêt de la chose. De toute façon après dix minutes les Français se sont réveillés et ont monopolisé le ballon. Il fallait en profiter, parce qu'ils n'ont pas été éveillés bien longtemps. Là ça y est, Gilardi était déchaîné, oh le joli passement de jambes de Zidane, qui décale Ribéry, Sagnol, Sagnol qui centre (oui alors ne soyez pas étonnez Sagnol qui centre est en fait une phrase toute faite, Sagnol est le seul joueur de l’équipe qui sait centrer) et « Oooooh…la demi-volée de Malouda légèrement trop enroulée ». Ah ouais. Donc pour Gilardi un truc qui passe deux mètres au-dessus c’est « légèrement trop enroulé ». On ose à peine imaginer ce que c’est qu’un
truc « carrément déroulé ».
Vous l’aurez compris, que ce soit au niveau du commentaire ou au niveau de la salle tout le monde avait décidé d’être très indulgent avec l'Équipe de France. L’heure de la grande union nationale a sonné. C’est à peine si on se souvient qu’il y a encore un an Raymond Domenech se faisait insulter dans la rue et recevait des lettres de menaces. Certes, depuis il a ramené Dieu dans son équipe. Bah justement, Dieu, parlons-en. Depuis Portugal – France, c’est officiel : Dieu n’existe pas. Parce que Dieu, il n’a quand même pas été ni très percutant ni très décisif… ou alors Dieu est en fait Thuram ou Makélélé, mais un dieu black ça pourrait poser des problèmes à certains. Tiens puisqu’on en parle, c’était très marrant de voir Villepin dans les tribunes. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur notre futur-ex premier ministre, pour une fois. C’est un sportif, et son commentaire à la fin du match était tout ce qu’il y a de plus sérieux, témoignant d’une réelle connaissance du football. Après Chirac qui voulait voir la finale France – Brésil (forcément au tour d'avant il était euphorique, lui il croyait qu’on venait d’être sacrés champions du monde), ça faisait du bien. Mais Sarkozy, il est où ? Sarkozy c’est quand même un super fan de foot ! Un supporter de toujours… ah mais c’est vrai, Sarkozy, évidemment, il est un peu grillé depuis que Le Grand Monsieur du Football Français l’a remis à sa place. Du coup il ose plus se montrer et ne s’est pas déplacé à la Coupe du Monde. Depuis quatre ans qu’il est aux affaires, c’est la première fois que Sarkozy ne va pas là où sont les caméras. Ça soulage non ? Franchement ? Si, si, ça soulage. Un événement médiatique sans Sarkozy, ça fait du bien. En plus la Coupe du Monde c’est long, hé hé. Un mois ! Comme des petites vacances !… évidemment ceux qui ont moins de bols, c’est les mecs du Tour de France, parce qu’ils l’ont récupéré. C’est pas très glamour évidemment, Sarkozy qui suit le Tour de France, mais au moins là il est tranquille, il sait qu’il ne croisera pas un seul coureur noir qui viendra lui parler des effets positifs de la colonisation…
Finalement, il s’est passé un truc à la trentième minute environ : le pauvre Ricardo Carvalho a taclé Henry au moment où il armait sa frappe, mais il l’a très mal taclé puisqu’il l’a « cisaillé ». Du coup Henry s’est cassé la gueule. D’autant plus frustrant que c’est la seule fois du match où il a fait un truc. Alors pour compenser, Monsieur l’Arbitre Uruguayen (j’ai oublié son nom, mais c’est vraiment un excellent arbitre, c’était même peut-être lui le meilleur sur le terrain ce soir là) a accordé le penalty. Là, on ne rigolait plus dans la salle. Tout le monde était sous tension. Silence tout autour. Un mec a osé un « VAS-Y MON ZIZOU ! » qui s’est heurté à un mur d’indifférence. Dieu était là, dans la surface, il a posé le ballon sur le gros point blanc prévu à cet effet. Il y a eu un gros plan de Dieu qui transpirait du nez (ce qui n’est pas très élégant pour un dieu). Le gros plan nous montrait le regard hyper concentré de Dieu (qui en fait a toujours un peu le même regard – de là à dire qu’il est toujours concentré...) A ma droite, Jean-Pierre Jean avait posé sa bière et ôté ses lunettes (drôle d'idée pour assister au climax du match). Et soudain, sans prévenir (enfin si, un peu, puisque l’arbitre avait sifflé), Dieu a frappé. Ou plutôt : il a poussé le ballon, presque avec désinvolture. Sans élan, comme l’ont souligné les commentateurs. Le but est arrivé. Dieu a couru vers ses disciples, sans sourire.
TF1 nous a montré dix fois la frappe dans les minutes qui ont suivi. Vous même avez probablement vu cette frappe à la télé au moins quinze fois depuis. Vous avez donc pu juger qu’en réalité, Dieu a tiré son penalty comme une quiche, pas de force, pas d’effet. Vous avez noté que Ricardo, le goal portugais, était parti du bon côté et était à deux doigts de l’arrêter. C’est une évidence. Sauf que non : pour Thierry Gilardi et Jean-Michel Larqué, Dieu a fait tout ça exprès, c’était voulu, prévu, millimétré. Dieu n’est pas du genre à laisser les choses au hasard.
Dans la salle, c’était l’euphorie complète ! les gens sautaient, s’embrassaient, limite c’était eux qu’avaient marqué. D'ailleurs, pas limite : oui, NOUS avions marqué. Un penalty pourri, soit, mais NOUS avions marqué. Cela s'appelle la Communion, et de la part d'un Dieu c'est le minimum syndical. Mais tout de suite, Thierry Gilardi a su remettre les évènements en perspective : « Attention Jean-Michel et Arsène, ce sont les cinq minutes à venir qui vont être les plus importantes ». C’est à dire la réplique portugaise, pour le moins pathétique puisqu’en gros ça consistait dans un premier à faire dribler Cristiano Ronaldo (je rappelle que c’est à peu près la seule chose qu’il sait faire, ça et s’admirer dans le grand écran au dessus du terrain) puis à lancer Figo dans le couloir droit, ce qui est nettement plus convaincant. Figo centre (superbe le centre) et là Pauleta reprend le ballon… …comme une nouille, mais d’un autre côté on ne peut lui en vouloir : il joue au PSG. Après, Scolari, l’entraîneur brésilien des Portugais (oui alors moi non plus j’ai jamais compris pourquoi les joueurs devaient avoir la même nationalité mais pas l’entraîneur) a adopté une autre tactique, en faisant appel au second don de Cristiano Ronaldo, déjà évoqué dans les commentaires de la précédente chronique : le jetage par terre. Sur une action tout ce qu’il y a de plus banale, on voit le gamin s’effondrer dans la surface française, et tout le banc portugais se lever, réclamer le penalty, faire pression sur l’arbitre… C’est bien parce que c’est le Mondial. Dans un championnat, ou dans n’importe quelle autre compétition, l’entraîneur aurait été expulsé pour avoir autant insulté l’arbitre – et Ronaldo pour avoir simulé. Car bien sûr, il n’y avait pas du tout de faute, Sagnol ne l’a même pas touché, enfin si, il a dû lui effleurer l’épaule mais Ronaldo était déjà en train de s’effondrer (si ça se trouve Sagnol voulait lui donner un coup de main pour se relever vu que les problèmes moteurs du jeune Portugais sont connus du monde entier). Ensuite, mi-temps. Avec Pierre on a failli partir, les gens dans la salle commençaient pour certains à être très imbibés, et franchement autant le regarder chez moi ce match. Mais Jean-Pierre Jean, on ne pouvait pas le laisser tout seul. Ça n’aurait pas été sympa. Nous sommes donc restés pour assister à une seconde période impressionnante. Là on a bien vu la fameuse « bataille technique » évoquée par Gilardi (qui en fait voulait dire tactique, nous sommes d'accord) : une bataille technique c’est en fait une équipe qui défend (la France) et une autre qui attaque (le Portugal). Rien de spectaculaire là-dedans, ni de très technique d’ailleurs.
Franchement la deuxième mi-temps, c’était mieux de la garder dans la salle, chez moi on se serait assoupi. Les Français n’ont mené qu’une seule attaque qui n’a pas été concrétisée, quant aux Portugais ils ont passé leur temps à essayer de rentrer dans la défense mais leur médiocrité était telle qu’il n’ont même pas réussi à égaliser alors qu’ils ont eu le ballon quasiment tout le temps. En même temps on savait déjà que les portugais n’étaient pas brillants : au match d’avant ils avaient joué à 11 contre 10 face aux Anglais, pendant plus de 60 minutes, sans jamais réussir à marquer. Contre les Pays-Bas, il avait fallu deux expulsions pour qu’ils parviennent à s’en tirer de manière à peine honorable. Bref c’était vraiment un match chiant, d’une nullité inversement proportionnelle aux effusions de bonheur des gens dans la salle au coup de sifflet final. Je me suis vraiment demandé si c’était une demi-finale de Coupe du Monde. Les Portugais ont été totalement transparents, les Français, épuisés, ont assuré le minimum syndical – rien à voir avec la virtuosité affichée plus tôt face au Brésil et à l’Espagne. Le pire étant quand même d’imaginer une finale France – Italie, c’est à dire deux équipes dont la principale caractéristique est de défendre (avec un indéniable talent). J’espère que ça va être grandiose, mais honnêtement ça ne me semble pas gagné d’avance. Les Italiens ont eu beau livrer un match d'anthologie contre les Allemands, je ne suis pas complètement sûr de pouvoir expliquer comment ils sont arrivés en finale, eux non plus. On appelle ça le facteur chance, paraît-il. C’est en effet une raison acceptable. Avoir la baraka plus une défense en béton, un sens de l'à propos tactique et au moins un joueur génial, c’est le meilleur moyen d’être champion du monde. Les Italiens ont tout cela, les Français aussi. Mais pour gagner ce match là, il faudra du talent et pas seulement une veine de cocu et des défenseurs en acier trempé.
Pierre voulait partir mais pas moi. Pas parce que je voulais voir une interview de quarante secondes où Zidane enquillait les lieux communs, ni parce que je voulais me taper Villepin faisant le mariole. Je voulais voir l’image de fin. Mais d’abord, avec L’Apinou, on s’est esclaffé en voyant Platini, un verre de vin à la main, sortir : « Qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon » (oui, il a bien dit ça et non l'inverse). Il a dit ça en riant, le journaliste a rigolé aussi, visiblement ce dernier n’avait pas compris le sens réel de la phrase à savoir « Qu’importe le match de merde pourvu qu’il y ait la qualification ». On aura beau dire ce qu’on voudra, Platini n’est pas Dieu mais il a plus de répartie.
Enfin l’image finale est arrivée. L’image finale des matchs sur TF1, c’est en fait les trois commentateurs enfin réunis et à l’écran. Larqué à gauche, Gilardi à droite et Arsène au milieu (ils sont un peu comme Domenech, ils ne changent jamais de dispositif). La vision en elle-même est assez marrante, parce que Wenger est en retrait, en plus il passe pour un géant pacifiste à côté des deux autres excités. A ce moment là, à tous les coups, Gilardi balance : « ON SE DONNE RENDEZ-VOUS [date] A 21h00 POUR [match], SUUUUR TF1 BIEN SÛR !!!!!!!!!!!! BONSOIR ! », Larqué fait « BONSOIR A TOUS, BONSOIR THIERRY, BONSOIR ARSÈNE ». Le réalisateur balance le jingle et systématiquement, pile au moment au moment où le jingle commence, à la dernière seconde, Arsène lève les yeux vers la caméra (enfin les baisse plutôt) et lâche : « Bonsoir. » Tout simplement. Avec un sourire. Sobriété, efficacité. Naturel et classe. C’est un moment magique, j’espère qu’on y aura droit dimanche soir.
Nous sommes sortis de la salle avec Pierre et Jean-Pierre Jean. Dans la rue les scènes d’allégresse se poursuivaient. L’ambiance déteignait un peu sur nous : après tout, nous aussi on était content que la France soit en finale. Même si on aurait préféré voir un grand match et ne pas avoir l’impression que ces mecs étaient des résistants, des guerriers, mais des joueurs qui… jouaient. C’est très con, mais quand on écoute les commentateurs on note que l’expression « déjouer » revient tout le temps. « La France a fait déjouer ses adversaires ». Mouais. Entre « déjouer » et « ne pas jouer », il y a une marge que la France a franchi au moins contre le Portugal. De fait, on a commencé à évoquer la finale sur le chemin du retour, et Jean-Pierre Jean a parfaitement résumé la situation : « A mon avis, ça va être une vraie bataille technique. »
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