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Certains grands théoriciens du roman prétendent qu’un bon roman peut être résumé en une phrase et que le style assure le reste.
J’ignore si c’est vrai, mais si c’est le cas, Cantique de la racaille est un foutu bon roman. Le postulat tient ainsi : un petit escroc de banlieue veut arriver à ses fins (gloire et fortune) à tout prix et lâche les petits plans foireux pour se lancer dans une entreprise de plus vaste envergure.
Voilà pour le résumé, auquel bien sûr, on pourra ajouter le traditionnel « plus dure sera la chute ».
Gaston, narrateur et personnage du roman, on en a tout dit ou presque : nous parlons ici d’un livre culte pour de multiples raisons (premier Prix de Flore, fer de lance d’une « nouvelle génération d’écrivains » autoproclamée… etc.), et pas un seul critique n’aura manqué de le mettre en parallèle avec un Rastignac de banlieue. La formule est facile, mais pour une fois, elle vise juste. La référence est évidente, quoique jamais écrasante. Car Ravalec a une écriture unique, fluide, punchy, qui lui permet d’exister bien au-delà de ses influences… si tant est qu’il en ait, car cet écrivain constitue à lui la seule l’Exception avec un « E » majuscule qui confirme la rège : voilà un auteur talentueux qui n’a jamais été un grand lecteur. Les classiques, il s’en fout un peu. Pas tellement qu’il n’aime pas, simplement il est issu d’un milieu où il n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’y cogner. Il s’y est mis sur le tard et ça se sent dans ce premier roman – je dirais même que ça le rend d’autant plus sympathique.
Si comparaison avec Balzac il doit y avoir, alors autant éviter les parallèles douteux et constater (car qu’on aime ou pas le livre – et nombreux son ceux à ne pas l’avoir aimé - c’est un fait indéniable) que Ravalec a su mieux qu’aucun autre écrivain de sa génération croquer son époque. A tel point que ce livre, sorti il y a 12 ans et que j’ai lu pour la première fois il y en a au moins dix, n’a pas pris une ride. On l’écrirait en 2006 qu’il n’y aurait pas de réelle différence, sinon que Gaston amasserait des euros au lieu des francs. Pourquoi ? peut-être tout simplement parce que la France n’est toujours pas sortie de la crise économique, culturelle et identitaire dans laquelle elle est plongée depuis le milieu des années 80.
Autre signe qui ne trompe pas : dix ans après, je me suis aperçu que je m’en souvenais parfaitement, au chapitre près. J’avais retenu tous les noms des personnages, tous les évènements… c’était presque une relecture inutile. A un moment je me suis même dit que ça ne servait à rien de relire un bouquin que je connaissais déjà par cœur.
C’est un signe qui me semble d’autant plus notable que, comme vous le savez, le hasard des lectures par « tirage au sort » a fait qu’en deux mois j’ai lu trois bouquins de Ravalec. Deux récents, et celui-ci qui ne date pas d’hier. Or les deux autres lectures fraîches, notamment Wendy², me sont déjà presque totalement sorties de la tête, là où Gaston, Marie-Pierre, Saïd et les autres sont toujours omniprésents. Gaston, voilà un sacré personnage. Le genre de personnage dont vous pourrez tomber le sous charme aussi bien que vous pourrez le haïr. Il peut vous sembler antipathique dès la première ligne. Peu importe : vous ne l’oublierez jamais. Son cynisme, son humour, sa détermination, sa folie aussi, un peu, font de lui l’un des personnages de roman les mieux brossés qu’on ait croisés dans la littérature française de ces quinze dernières années. Non pas qu’on n'ait pas vu de grands romans français depuis 1994 ; mais on n’a pas vu beaucoup de grands romans français romanesques avec de grands personnages. Gaston est une époque à lui tout seul, et il est encore plus fort en 2006, parce que peut-être plus encore d’actualité.
Et ce titre… racaille… une racaille, vraiment, ce Gaston ? Des racailles, tous ces personnages ? Peut-être, peut-être pas… ce sont avant tous des êtres humains, des figures d’une crédibilité et d’une consistance frappantes. On est à peine surpris que Ravalec ait eu tant de mal à projeter son texte au cinéma : malgré ton son talent, Yvan Attal n’est pas parvenu à capter le quart du dixième de la complexité de Gaston. Tout au plus lui a-t-il donné un visage – et de fait à la relecture je n’ai pu m’empêcher de voir défiler tous les comédiens, Attal, Lavoine, Claire Nebout… etc.
Quand j’ai lu ce livre la première fois, on m’a dit « ouais ouh là, Ravalec… ». On me l’a même redit la seconde fois… eh oui, en effet. Ouh là, Ravalec… c’est le terme idéal ! Il y a mille manières de recevoir un texte, et à plus forte raison un texte comme celui-ci. Personnellement je trouve ce livre plus sulfureux et profondément dérangeant que n’importe lequel de ces bouquins pseudos trash qui ont émergé dans son sillage, sans jamais en saisir la portée profonde, sans jamais en effleurer l’humour ni le talent. Ravalec y vise juste. Il ne lâche rien, du début à la fin. Il aspire le lecteur.
Son seul défaut, finalement, c’est d’être le premier et le dernier grand roman de l’auteur. Il y a eu Cantique de la racaille, puis « Wendy »… et puis plus rien. Ravalec est passé à autre chose. C’est son droit. Mais relire ce roman à présent qu’on connaît le virage qu’a pris son œuvre par la suite laisse un goût étrangement amer dans la bouche…
Certains grands théoriciens du roman prétendent qu’un bon roman peut être résumé en une phrase et que le style assure le reste.
J’ignore si c’est vrai, mais si c’est le cas, Cantique de la racaille est un foutu bon roman. Le postulat tient ainsi : un petit escroc de banlieue veut arriver à ses fins (gloire et fortune) à tout prix et lâche les petits plans foireux pour se lancer dans une entreprise de plus vaste envergure.
Voilà pour le résumé, auquel bien sûr, on pourra ajouter le traditionnel « plus dure sera la chute ».
Gaston, narrateur et personnage du roman, on en a tout dit ou presque : nous parlons ici d’un livre culte pour de multiples raisons (premier Prix de Flore, fer de lance d’une « nouvelle génération d’écrivains » autoproclamée… etc.), et pas un seul critique n’aura manqué de le mettre en parallèle avec un Rastignac de banlieue. La formule est facile, mais pour une fois, elle vise juste. La référence est évidente, quoique jamais écrasante. Car Ravalec a une écriture unique, fluide, punchy, qui lui permet d’exister bien au-delà de ses influences… si tant est qu’il en ait, car cet écrivain constitue à lui la seule l’Exception avec un « E » majuscule qui confirme la rège : voilà un auteur talentueux qui n’a jamais été un grand lecteur. Les classiques, il s’en fout un peu. Pas tellement qu’il n’aime pas, simplement il est issu d’un milieu où il n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’y cogner. Il s’y est mis sur le tard et ça se sent dans ce premier roman – je dirais même que ça le rend d’autant plus sympathique.
Si comparaison avec Balzac il doit y avoir, alors autant éviter les parallèles douteux et constater (car qu’on aime ou pas le livre – et nombreux son ceux à ne pas l’avoir aimé - c’est un fait indéniable) que Ravalec a su mieux qu’aucun autre écrivain de sa génération croquer son époque. A tel point que ce livre, sorti il y a 12 ans et que j’ai lu pour la première fois il y en a au moins dix, n’a pas pris une ride. On l’écrirait en 2006 qu’il n’y aurait pas de réelle différence, sinon que Gaston amasserait des euros au lieu des francs. Pourquoi ? peut-être tout simplement parce que la France n’est toujours pas sortie de la crise économique, culturelle et identitaire dans laquelle elle est plongée depuis le milieu des années 80.
Autre signe qui ne trompe pas : dix ans après, je me suis aperçu que je m’en souvenais parfaitement, au chapitre près. J’avais retenu tous les noms des personnages, tous les évènements… c’était presque une relecture inutile. A un moment je me suis même dit que ça ne servait à rien de relire un bouquin que je connaissais déjà par cœur.
C’est un signe qui me semble d’autant plus notable que, comme vous le savez, le hasard des lectures par « tirage au sort » a fait qu’en deux mois j’ai lu trois bouquins de Ravalec. Deux récents, et celui-ci qui ne date pas d’hier. Or les deux autres lectures fraîches, notamment Wendy², me sont déjà presque totalement sorties de la tête, là où Gaston, Marie-Pierre, Saïd et les autres sont toujours omniprésents. Gaston, voilà un sacré personnage. Le genre de personnage dont vous pourrez tomber le sous charme aussi bien que vous pourrez le haïr. Il peut vous sembler antipathique dès la première ligne. Peu importe : vous ne l’oublierez jamais. Son cynisme, son humour, sa détermination, sa folie aussi, un peu, font de lui l’un des personnages de roman les mieux brossés qu’on ait croisés dans la littérature française de ces quinze dernières années. Non pas qu’on n'ait pas vu de grands romans français depuis 1994 ; mais on n’a pas vu beaucoup de grands romans français romanesques avec de grands personnages. Gaston est une époque à lui tout seul, et il est encore plus fort en 2006, parce que peut-être plus encore d’actualité.
Et ce titre… racaille… une racaille, vraiment, ce Gaston ? Des racailles, tous ces personnages ? Peut-être, peut-être pas… ce sont avant tous des êtres humains, des figures d’une crédibilité et d’une consistance frappantes. On est à peine surpris que Ravalec ait eu tant de mal à projeter son texte au cinéma : malgré ton son talent, Yvan Attal n’est pas parvenu à capter le quart du dixième de la complexité de Gaston. Tout au plus lui a-t-il donné un visage – et de fait à la relecture je n’ai pu m’empêcher de voir défiler tous les comédiens, Attal, Lavoine, Claire Nebout… etc.
Quand j’ai lu ce livre la première fois, on m’a dit « ouais ouh là, Ravalec… ». On me l’a même redit la seconde fois… eh oui, en effet. Ouh là, Ravalec… c’est le terme idéal ! Il y a mille manières de recevoir un texte, et à plus forte raison un texte comme celui-ci. Personnellement je trouve ce livre plus sulfureux et profondément dérangeant que n’importe lequel de ces bouquins pseudos trash qui ont émergé dans son sillage, sans jamais en saisir la portée profonde, sans jamais en effleurer l’humour ni le talent. Ravalec y vise juste. Il ne lâche rien, du début à la fin. Il aspire le lecteur.
Son seul défaut, finalement, c’est d’être le premier et le dernier grand roman de l’auteur. Il y a eu Cantique de la racaille, puis « Wendy »… et puis plus rien. Ravalec est passé à autre chose. C’est son droit. Mais relire ce roman à présent qu’on connaît le virage qu’a pris son œuvre par la suite laisse un goût étrangement amer dans la bouche…
👍👍👍 Cantique de la racaille
Vincent Ravalec | J'ai lu, 1994