[Mes disque à moi (et rien qu'à moi) - N°38]
Gainsbourg Confidentiel - Serge Gainsbourg (1963)
Gainsbourg Confidentiel intervient en 1963, soit moins de huit mois après N°4. C’est un détail important, car il faut rappeler que les quatre premiers disques du Grand Serge étaient essentiellement des disques marqués par son amour du jazz. N°4 s’en éloignait déjà un peu, et Gainsbourg Confidentiel est en ce qui le concerne le dernier chapitre de cette première partie de carrière. C’est le disque où Gainsbourg décide de tuer se période jazz, et ce de la manière la plus belle et naturelle qui soit : avec un disque de blues.
C’est également un disque marquant dans l’œuvre elle-même : c’est le premier qui, du point de vue esthétique, est totalement cohérent. Alors que les disques précédents ressemblaient plus à des assemblages maladroits de chansons issues d’influences diverses, ce cinquième opus présente une seule couleur, un seul son et un seul style musical. Peut-être même (mais j’extrapole) est-ce le premier album de Gainsbourg à avoir justement été envisagé comme un album – avec une vision artistique s’étendant également à la production et non plus seulement à chaque chanson. « Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte ? », « Scenic Railway » sont autant de chansons langoureuses et crépusculaires. Le son est chaud et intimiste, la voix plus grave encore qu’à l’accoutumée… CONFIDENTIEL, nous y sommes. Voici un petit disque extrêmement délicat et personnel, peut-être le plus personnel de son auteur.
Pour mener à bien son projet, Gainsbourg dit adieu aux orchestrations grandiloquentes d’Alain Goraguer (et Son Orchestre), qui l’accompagnaient depuis la fin des années 50. Ici entouré de deux instruments seulement, la guitare d’Elek Backsick, remarquable, et la contrebasse discrète de Michel Gaudry. Et on imagine bien les trois hommes enregister « La Saison des pluies » dans un garage, un sous-sol ou une chambre close. A moins qu’il ne s’agisse d’un bar, où ils viendraient jouer du blues en savourant un verre de whisky ? C’est en tout cas ce genre d’ambiance vaporeuse qu’on retrouve sur la plupart des titres, tous assez sombres et mélancoliques dans l’ensemble (mis à part peut-être « Elaeudanla téitéia »... et encore, il y a débat). Pour autant, il ne s’agit pas réellement d’un album triste. Plutôt d’une musique apaisante, évanescente parfois et surtout extrêmement émouvante – ce qui n’est pas si fréquent dans l’œuvre de Gainsbourg. Il a écrit des chansons superbes, mais il a rarement fait pleurer l’auditeur comme il le fait plus de deux minutes durant sur « No, No Thanx, No », superbe hommage au gospel tout en émotion contenue.
C’est décidément un album surprenant, et c’est pour cette raison qu’il est ici. En toute objectivité il serait stupide de ma part de dire que c’est son meilleur album. Il est aussi bon que d’autres (voire les trois autres plus bas), mais savoir qu’il existe un disque aussi singulier niché au cœur d’une œuvre dont la singularité est d’ores et déjà avérée est amusant. Lorsque je l’ai découvert, j’ai été surpris par ce que j’ai entendu, et je pense qu’il en va de même pour chaque auditeur la première fois qu’il pose une oreille sur Gainsbourg Confidentiel le bien nommé (ses ventes ont été catastrophiques, les pires jamais enregistrées par Gainsbourg, qui n’a pourtant pas beaucoup vendu avant la fin des seventies). Clairement, ce n’est pas un album représentatif de son œuvre. Même les textes y sont nettement plus épurés que sur les disques précédents ou à suivre. Je crois en revanche que c’est une excellente manière de découvrir Gainsbourg, dans la mesure où rien que « La Fille au rasoir » suffit à racheter la médiocrité de ses quatre derniers opus. De même que le mélange détonnant de mélancolie et de verve sarcastique du « Talkie-walkie » efface d’un coup quasiment tous les titres de l’album suivant, le surestimé Percussions.
Gainsbourg Confidentiel, avant tout, représente l’incarnation parfaite de la célèbre phrase de son auteur : « Quand je suis triste j’écris des chansons gaies, et quand je suis gai j’écris des chansons des tristes. ». On en déduira donc que c’est un Serge radieux qui a composé le glauque « Sait-on jamais où va une femme ?... » et un Gainsbourg déprimé qui a brossé les rythmiques remuantes et enivrantes d’ « Amour sans amour » et de « Negative Blues ».
Ah ! baiser la main
D’une femme d’une monde
Et s’écorcher les lèvres
A ses diamants
Et puis dans la jaguar
Brûler son léopard
Avec une cigarette
Anglaise
« Maxim's » le titre le plus symptomatique de cet album aux mélodies fragiles, au romantisme inattendu, dominé par la voix du maître, grave et profonde comme ces chansons drôles, tristes, provocantes… humaines, en somme.
A découvrir absolument, d’autant que ses chansons sont régulièrement oubliées ou bannies des cinq best of Gainsbourg qui paraissent tous les ans.
Trois autres disques pour découvrir Serge Gainsbourg :
N°4 (1962)
Histoire de Melody Nelson (1971)
Rock around the bunker (1975)
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