[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°37]
Fresh Fruits on Rotting Vegetables - Dead Kennedys (1980)
Des fruits frais sur des légumes pourris ?… kesako ?
Au départ, pas grand chose. Les Dead Kennedys sont nés d’une blague débile issu du cerveau dérangé de Jello Biafra. Mais les choses sérieuses vont rapidement commencer. Jello est un enragé. Ses textes sont hilarants, sa voix élastique contient d’authentiques vertus comiques, mais ce n’est pas un plaisantin. Lorsqu’il se présente à la mairie de San Francisco en 1979, personne ne prend au sérieux ce punk sorti de nulle part. Moralité : il finira par réellement inquiéter le maire de l’époque et son groupe à peine formé sera presque immédiatement censuré.
La fin des années 70 est il faut le dire une bien étrange période. Le punk passé, il ne reste plus grand-chose. La plupart de ses représentants ont été littéralement noyés par l’effet de mode. Les plus malins sont allés vers une autre musique, new-wave pour les uns (Siouxsie & The Banshees, The Cure, Billy Idol, Adam & The Ants), New Wave of Britsh Heavy Metal pour les autres (on a tendance à l’oublier mais les Iron Maiden et autres Saxon sont tous des exs punks). Aux Etats-Unis, le mouvement s’est replié sur lui-même. Les groupes ont commencé à ne plus se fréquenter qu’entre eux – tout du moins ceux qui ont survécu. La musique s’est radicalisée, tant dans le son, plus dur et cru, que dans les textes ou les opinions.
Ainsi est né le hardcore, dont on peut légitimement considérer les Dead Kennedys comme les inventeurs. A plus forte raison parce que Jello Biafra va, immédiatement après sa défaite aux élections, fonder le label Alternate Tentacles (Bad Brains, Butthole Surfers, sans oublier les frenchies des Thugs) qui va devenir la plaque tournante d’un mouvement alors essentiellement concentré en Californie. Cependant l’appellation hardcore a perdu beaucoup de son sens avec le temps, notamment à cause de groupes comme Black Flag qui ont fait lorgner cette musique vers quelque chose d’ultra violent et de finalement beaucoup plus proche du metal. Les Dead Ken’s (pour les intimes) s’inscrivent plus dans une tradition punk héritée des Sex Pistols. Leur musique est violente et rageuse, mais extrêmement mélodique, à l’image de la voix de leur leader allumé.
Sorti début 1980, Fresh Fruits on Rotting Vegetables est la première pierre angulaire de ce genre musical qui va rapidement dériver vers l’inaudible. C’est la seconde déflagration des Dead Kennedys après le 45 tours vitriolé « California Übes Alles » (uppercut balancé en plein dans la poire du gouverneur californien, Jerry Brown) et on nage dans la même ambiance : colère, polémique et provocation, le tout saupoudré d’humour, de second degré et de rythmiques chaloupées.
Aujourd’hui, l’influence de ce disque a tellement été digérée qu’on peine à s’en rendre compte, mais en 1980 une ouverture comme « Kill the Poor » est aussi singulière pour les amateurs de musique que choquante pour les auditeurs occasionnels. Trahi par ses textes extrêmement subtils et ironiques, le groupe sera perpétuellement victime de sa propre auto-dérision. Car si l’histoire a voulu retenir des Dead Kennedys l’image d’un combo poursuivit pour ses opinions, son principal problème est qu’en réalité les trois quarts de leurs fans prenaient leurs paroles au premier degré. Combien de conférences de presse Biafra a t’il dû donner pour s’expliquer sur tel ou tel titre ? Beaucoup trop pour que le groupe ne perdure.
Il faut bien dire que Fresh Fruits on Rotting Vegetables est ce qu’on pourrait appeler un disque sous ampères : trente-trois minutes pied au plancher et un leader aussi chanteur que comédien envoyant tout le monde se faire mettre à coups de « I Kill Children » ou de « Let’s Lynch the Landlord » ! Si Jello Biafra, personnage au demeurant charmant, n’est assurément pas un terroriste, on peut raisonnablement considérer qu’il a fait à peu près tout ce qui était en son pouvoir à l’époque pour que les autorités américaines le voient comme tel. Vous ajoutez un titre intitulé « Holiday in Cambodia » et un autre « Drug Me! », vous complétez le tableau par des poussées d’adrénaline comme le furieux « When Ya Get Drafted » ou l’hyper-speed « Chemical Wayfare », et vous aurez tout pour faire des Dead Kennedys les ennemis publics numéros 1 du gouvernement californien. Qui, forcément, ne peut pas vraiment apprécier d’entendre un public de jeunes en délire chanter à tue-tête à un concert :
I am Governor Jerry Brown
My aura smiles
And never frowns
Soon I will be president
Carter Powell will soon go away
I will be Fuhrer one day
I will command all of you
Your kids will meditate in school
… et encore c’est peut-être le couplet le plus sympa de « California Über Alles ».
On a du coup un peu oublié de souligner le génie de la forme, les cassures rythmiques d’East Bay Ray sur « Forward to Death » et « Stealing People’s Mail », les refrains catchy de « Your Emotions » et l’authentique bonne humeur de ce premier album… bref, tous ces petits détails qui font que les Dead Kennedys ont toujours été trois crans au-dessus de leurs pâles imitateurs, qui pensaient qu’il suffisait de jouer vite et de critiquer le gouvernement pour faire du hardcore. Mais bon… c’est souvent comme ça.
De même, souvent, ce sont les groupes les plus enragés et les plus authentiques qui finissent par se reformer pour l’argent et décevoir leur public. C’est un peu toujours la même histoire, et c’est forcément un peu triste. Vous verrez, dans quelques années on assistera à une reformation de Rage Against The Machine. Ca vous semble dingue ? mouais… il y a six ans, ça semblait dingue que les Dead Kennedys se reforment. Résultat ils l’ont fait, sans Biafra, qui est en procès avec eux depuis 2002. Et ainsi les icônes punks et révolutionnaires d’antan se retrouvent-elles à se battre comme des chiffonniers pour des histoires de gros sous.
Ce qui n’a certes pas empêché Jello Biafra de réadapter « California Über Alles » sur son dernier album, en spéciale dédicace à son nouveau meilleur ennemi, un certain Arnold Schwarzenegger.
Comme quoi, on ne se refait pas.
Trois autres disques pour découvrir les Dead Kennedys :
Plastic Surgery Disasters (1982)
Frankenchrist (1985)
Bedtime for Democracy (1986)