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"il est en treillis, et il gueule : « t’attends quoi pour nous pondre un truc sur qui est arrivé à l’autre Kennedy ? » et lui alors, qui se proclame écrivain, pourquoi, diable, ne s’y colle t-il pas ? comme si je devais nettoyer les écuries à sa place !"
Quand j’ai comparé il y a quelques mois Bukowski à un « éboueur de l’humanité », je ne me souvenais absolument pas de ce passage. N’empêche, je devais bien avoir raison, puisque lui-même évoque le sujet.
Lorsqu’il démarre sa chronique régulière dans le magazine hautement subversif Open Pussy, en 1967, Bukowski a déjà quarante-sept ans bien sonnés mais reste relativement peu connu. Cependant il a déjà à son actif quatre recueils de poésie et une "collection" de nouvelles qui lui ont valu d’acquérir une certaine crédibilité dans le petit monde des artistes marginaux californiens. Il s’agit donc d’un échange de bons procédés : Open Pussy va propulser celui qu’on n’appelle pas encore Hank sur le devant de la scène, et lui va attirer de nouveaux lecteurs au journal. Ce que personne n’avait prévu, c’est à quel point les chroniques de Bukowski allaient devenir cultes. A raison d’un scandale tous les deux articles en moyenne, Bukowski va suffisamment défrayer la chronique pour qu’on finisse par lui demander deux ans plus tard de compiler le meilleur de ces années 200 % provoc en un livre judicieusement nommé Notes of a Dirty Old Man. Une première édition de l'auteur à grand tirage, qui deviendra immédiatement culte.
De même que Factotum représente d’une certaine manière la quintessence du Bukowski longue-distance, Notes of a Dirty Old Man peut être légitimement vu comme celle du Bukowski courte distance. Tout y est, et un peu plus encore : sang, sueur, soufre, sexe, larmes et fougue… l’auteur des célèbres Tales of Ordinary Madness s’est sans doute montré par la suite plus tendre, plus subtil ou plus drôle – jamais en revanche il n’a été plus puissant que dans ces chroniques remarquables dont la plupart n’excèdent pas les cinq pages.
Car ce livre fut en son temps aussi scandaleux de par son fond que par sa forme : Buk se lâche dans des chroniques d’une rare violence à l’égard du pouvoir en place, des écrivains, des journalistes, des jeunes, des vieux, de l’humanité en générale... mais avant toute autre chose il le fait dans un langage inédit. Un style unique qui lui vaudra bien des procès : il fallut presque vingt ans pour que la critique reconnaisse enfin qu’il savait écrire, et plutôt très bien. Que ce langage pas vraiment châtié était autre chose qu’un amas de grossièretés. De même, si nombre d’écrivains s’étaient déjà attaqués à la ponctuation, aucun n’avait jusqu’alors osé le faire à la manière de Bukowski dans ses chroniques : supprimer toutes les majuscules en début de phrase, voilà un geste contestataire aussi original que sulfureux dans l’Amérique guindée de l’après Kennedy, qui manie le puritanisme artistique avec au moins autant de brutalité (sinon plus) que le puritanisme moral.
Forcément, au milieu de ce paysage, Hank fera figure de tache pour les uns et d’indispensable poil à gratter pour les autres. Inconscient, sans doute, qu’il était en train de construire sa propre légende – ce dont il se foutait fort probablement.
Presque quarante ans plus tard, on lit et relit ce bouquin court et ramassé avec la même délectation. Peut-être même plus encore, car si on a sans doute lu livres plus hards et plus violents depuis 1969, on peut légitimement se demander quel journal, en 2006, oserait publier de telles chroniques. Aucun, probablement. A côté de Bukowski, même le chroniqueur le plus acerbe passerait pour Jean Roucas. Si la contestation était une religion, ces Notes of a Dirty Old Man en serait les évangiles.
"il est en treillis, et il gueule : « t’attends quoi pour nous pondre un truc sur qui est arrivé à l’autre Kennedy ? » et lui alors, qui se proclame écrivain, pourquoi, diable, ne s’y colle t-il pas ? comme si je devais nettoyer les écuries à sa place !"
Quand j’ai comparé il y a quelques mois Bukowski à un « éboueur de l’humanité », je ne me souvenais absolument pas de ce passage. N’empêche, je devais bien avoir raison, puisque lui-même évoque le sujet.
Lorsqu’il démarre sa chronique régulière dans le magazine hautement subversif Open Pussy, en 1967, Bukowski a déjà quarante-sept ans bien sonnés mais reste relativement peu connu. Cependant il a déjà à son actif quatre recueils de poésie et une "collection" de nouvelles qui lui ont valu d’acquérir une certaine crédibilité dans le petit monde des artistes marginaux californiens. Il s’agit donc d’un échange de bons procédés : Open Pussy va propulser celui qu’on n’appelle pas encore Hank sur le devant de la scène, et lui va attirer de nouveaux lecteurs au journal. Ce que personne n’avait prévu, c’est à quel point les chroniques de Bukowski allaient devenir cultes. A raison d’un scandale tous les deux articles en moyenne, Bukowski va suffisamment défrayer la chronique pour qu’on finisse par lui demander deux ans plus tard de compiler le meilleur de ces années 200 % provoc en un livre judicieusement nommé Notes of a Dirty Old Man. Une première édition de l'auteur à grand tirage, qui deviendra immédiatement culte.
De même que Factotum représente d’une certaine manière la quintessence du Bukowski longue-distance, Notes of a Dirty Old Man peut être légitimement vu comme celle du Bukowski courte distance. Tout y est, et un peu plus encore : sang, sueur, soufre, sexe, larmes et fougue… l’auteur des célèbres Tales of Ordinary Madness s’est sans doute montré par la suite plus tendre, plus subtil ou plus drôle – jamais en revanche il n’a été plus puissant que dans ces chroniques remarquables dont la plupart n’excèdent pas les cinq pages.
Car ce livre fut en son temps aussi scandaleux de par son fond que par sa forme : Buk se lâche dans des chroniques d’une rare violence à l’égard du pouvoir en place, des écrivains, des journalistes, des jeunes, des vieux, de l’humanité en générale... mais avant toute autre chose il le fait dans un langage inédit. Un style unique qui lui vaudra bien des procès : il fallut presque vingt ans pour que la critique reconnaisse enfin qu’il savait écrire, et plutôt très bien. Que ce langage pas vraiment châtié était autre chose qu’un amas de grossièretés. De même, si nombre d’écrivains s’étaient déjà attaqués à la ponctuation, aucun n’avait jusqu’alors osé le faire à la manière de Bukowski dans ses chroniques : supprimer toutes les majuscules en début de phrase, voilà un geste contestataire aussi original que sulfureux dans l’Amérique guindée de l’après Kennedy, qui manie le puritanisme artistique avec au moins autant de brutalité (sinon plus) que le puritanisme moral.
Forcément, au milieu de ce paysage, Hank fera figure de tache pour les uns et d’indispensable poil à gratter pour les autres. Inconscient, sans doute, qu’il était en train de construire sa propre légende – ce dont il se foutait fort probablement.
Presque quarante ans plus tard, on lit et relit ce bouquin court et ramassé avec la même délectation. Peut-être même plus encore, car si on a sans doute lu livres plus hards et plus violents depuis 1969, on peut légitimement se demander quel journal, en 2006, oserait publier de telles chroniques. Aucun, probablement. A côté de Bukowski, même le chroniqueur le plus acerbe passerait pour Jean Roucas. Si la contestation était une religion, ces Notes of a Dirty Old Man en serait les évangiles.
👑 Notes of a Dirty Old Man
Charles Bukowski | City Lights, 1969