lundi 25 septembre 2006

La Bonne Morale Littéraire selon Papi Jeannot

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En toute bonne foi, je n’ai aucune espèce de sympathie pour Jean d’Ormesson. J’irai même plus loin : il ne m’inspire même pas le respect théoriquement dû à son grand statut d’académicien. Même lorsque je le vois donner une interview à la télévision, il me tape sur les nerfs, à se donner une belle image de vieil homme indigne respirant la sagesse mais capable d’autodérision… tu parles, Charles ! ça, c’est l’image médiatique. Il suffit d’ouvrir un de ses bouquins pour se rendre compte de la haute opinion que le Monsieur a de lui-même. Je n’ai lu que deux d’entre eux, Du côté de chez Jean et Au revoir et merci - pas vraiment ses dernières parutions puisqu’ils datent respectivement de 59 et 66. Cela m’a suffit.

Jusqu’au jour où ma grand-mère a insisté pour me faire lire Une fête en larmes, dont le seul titre suffisait à me filer de l’urticaire. Je me suis acquitté de la tache avec le plus d’objectivité possible…

Dans ce roman, comme dans quasiment tous les autres, Monsieur le Comte nous parle les trémolos dans la plume de sa vie de grand bourgeois érudit. Ça fait cinquante ans cette année que ça dure, et à part la mort, a priori, rien n’empêchera que cela continue puisque le succès est au rendez-vous.

La mort, justement… voici un livre plus noir que ceux que j’aie pu lire de Papi Jeannot. Un texte qui est parcouru par l’angoisse de la mort, même si ce n’est jamais énoncé clairement. Jean, il n’a pas envie de mourir, c’est indéniable. Ses livres, on peut au moins leur reconnaître cette qualité, ont toujours transpiré l’énergie et l’envie de croquer la vie à pleines dents. Mais Une fête en larmes ne peut éluder la question, puisqu’il est paru l’année de ses quatre-vingts ans. Un auteur qui ne se la joue pas dépressif à l'époque des sous-Houellebecq, c’est assez rare pour être souligné. Voilà pour les compliments…

S’il suffisait de savoir construire correctement des phrases, structurer un paragraphe et d’utiliser des jolis mots pour avoir du style, ça se saurait. Et 90 % des blogueurs seraient de grands écrivains qui s’ignorent. Je me suis presque senti comme le bourgeois (c’est le cas de le dire) gentilhomme en lisant ce roman : je fais du Jean d’Ormesson sans le savoir !

Oui, c’est correctement écrit. C’est quand même le minimum syndical de la part d’un académicien. Il reste à fournir un peu de contenu… pour ça, nul doute que ce livre touchera le lectorat du troisième âge et la ménagère. A ceci près que si ça, c’est ça de la littérature, je jure de ne plus jamais ouvrir un livre de ma vie. Dès la première page, la vanité de l’auteur, la prétention du livre explosent à la figure. Je vais carrément citer, parce que franchement ça mérite de l’être :

"Un roman… J’en avais lu beaucoup, j’en avais écrit quelques uns. Je commençais à me demander si le temps du roman n’était pas en train de passer comme était passé le temps de l’épopée, de la tragédie classique, du sonnet ou de l’ode. Tout passait en ce monde. N’y avait-il que le roman pour prétendre avec arrogance à une sorte d’éternité ?"

J’ignore si le roman est arrogant, mais en tout cas nous avons ici un bel exemple de romancier arrogant. D’autant que pour un académicien, un paragraphe contenant un si extraordinaire contresens mériterait le renvoi immédiat : comparer le roman, genre littéraire, à la tragédie classique ou le sonnet, qui sont des sous-catégories (respectivement du théâtre et de la poésie), c’est à la limite de la faute professionnelle. Courage, Jean : il n’est pas trop tard pour relire les vieux manuels d’histoire littéraire que tu as toi-même contribué à réécrire !

Et accrochez-vous les amis, ce n’est que le second paragraphe du livre ! Page suivante :

"De Rabelais et de Cervantès à Proust et à Hemingway, j’avais mis plus haut que tout ces histoires de passion, de folie et d’amour où se mêlaient rires et larmes. Elles me semblaient s’essouffler. Elles perdaient de leur vigueur et de leur nouveauté. Peut-être simplement pour survivre, elles se compliquaient à plaisir, et elles s’affadissaient. Où était le charme et la grandeur qui, si longtemps et si fort, avaient fait battre nos cœurs ?"

Comment il balance Papi Jeannot ! Par pudeur, on passera sur l’improbable, l’incroyable, l’insoutenable lieu commun constitué par la première phrase de ce paragraphe… pour en retirer quoi, finalement ? Que d’Ormesson est un vieil aigri ? Qu’il n’a pas lu un roman contemporain depuis dix ans ? Qu’il pleurniche sur le bon vieux temps comme un petit vieux ? Il est évident que le roman peut parfois être lassant, perdre de sa vigueur et de sa nouveauté… à plus forte raison quand depuis un demi-siècle on publie le même roman tous les deux ou trois ans. A plus forte raison lorsqu’on n'a jamais essayé de renouveler ce fameux genre romanesque qui, à en croire l’auteur, est à l'agonie. A plus forte raison quand on s’entête en 2005 à écrire des livres qui pourraient se passer en 1920 avec un style tellement classique, académique et poussiéreux, qu’à côté, Proust passerait pour un auteur cyber-punk.

Arrêtons-nous là, ça vaut mieux. Je pourrais vous en faire un commentaire qui ferait le double du livre, car c’est du même tonneau du début à la fin. Les lamentations d’un vieil aigri au milieu de sa grande bibliothèque, qui cite Hemingway mais auquel le vieux Hem aurait probablement mis un pain dans la tronche s'il avait pu lire ces lignes... Au final, d’Ormesson crache sur le roman mais en écrit tout de même un – faut bien vivre. Au bout de 347 pages, j’ai été au comble du bonheur : la fête était finie et les larmes (de crocodile, soit dit en passant) passées. J’ai laissé Papi Jeannot à ses radotages sans le moindre regret, et je suis venu l’assassiner dans ces pages sans le moindre scrupule.

Pourtant, j’ai quand même envie de remercier Jean d’Ormesson. Grâce à ce livre, il m’a fait comprendre une chose importante : on peut être âgé, respectable, écrivain, célèbre, académicien, comte, bête médiatique (voire tout cela à la fois) et être malgré tout un médiocre.

Allez, une dernière pour la route :

"Les théories scientifiques vieillissent comme les modes, comme les êtres vivants et comme tout."

Faux. Il y a un truc qui ne vieillit pas, jamais : les livres de Jean d’Ormesson. Qu’ils datent de 1959 ou de 2005, ils sont déjà vieux et dégagent une odeur de yaourt périmé. On appelle ça être intemporel – et contrairement à ce que croient souvent les écrivains, c’est rarement un compliment.


👎👎 Une fête en larmes 
Jean d'Ormesson | Robert Laffont, 2005