mercredi 15 novembre 2006

Ben Harper - Both Sides of the Flop

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By the time – comme disent les pros – il semble que le capital sympathie de Ben Harper soit devenu inversement proportionnel à la qualité de ses disques (en France plus que nulle part ailleurs). A n’en pas douter, l’Homme Qui Jouait De La Guitare Assis est d’ailleurs assurément un très brave type. Un vrai gentil. Sa carrière, en revanche, ressemble à un guide de tout ce qu’il ne faut pas faire quand on est un singer-songwriter. Une succession d’erreurs, de ratages, d’approximations et de mauvais choix qui fait l’admiration de tous – y compris de ses plus fervents détracteurs.

A l’origine était Ben Harper, jeune artiste surdoué qui émergea au début des années 90 avec un premier album rétro-folk totalement à contre courant et donc forcément séduisant. S’ensuivirent deux disques brillants, un quatrième qui tenait encore le coup… puis, l’an 2000 arriva. Un bug violent secoua Ben Harper. Il décida de faire simultanément les deux pires trucs que puisse faire une rockstar : se marier et devenir mystique. Individuellement, ces deux fléaux ont brisé plus d’une carrière et écorné plus d’un mythe (McCarntey pour le mariage, Dylan pour la religion). Mis dans le même shaker cela un donne cocktail Molotov d’autant plus terrifiant que son apparence (celle d’un CD) est totalement anodine. Là où le procédé est encore plus vicieux pour l’artiste qui en devient la victime pas du tout consentante, c’est que, quand McCartney et Dylan ont vu leurs carrières ébranlées par cette horreur, le public ne les a pas suivis. Cela leur a permis de se ressaisir. Ben Harper n’a pas (encore ?) eu cette chance : au contraire, ses derniers disques sont ses plus gros succès (fait paradoxal et quasi comique au vu de leur médiocrité). Ce qui signifie qu’à moins d’un cataclysme il y a peu de chances pour qu’il se remette en question. Mais il est vrai que Ben Harper n’est pas un homme chanceux.

Ainsi donc, 2003 fut l’année de Diamonds on the Inside, objet musical non-identifié assumé – sauf qu’il n’est pas non-identifié de la manière dont son auteur l’aurait voulu. Ce disque s’avère tellement inégal qu’il fait peur. Déjà, se séparer des Innocent Criminals était une idée moyenne. S’autoproduire était sans doute la plus grosse connerie de tous les temps. Enregistrer avec les Wailers un reggae de supermarché était une injure à Marley. Mais là où Benny a fait fort, c’est que cet album côtoie de manière égale grâce absolue et nullité parfaite. Sur le coup, j’ai presque cru que c’était fait exprès ! En fait non, pas du tout. C'est juste un truc inhérent au caractère de Harper : quand il y a un choix à faire, vous pouvez être sûrs que neuf fois sur dix il va faire le mauvais.

Suivit le disque de gospel pour bobos avec les Blind Boys Of Alabama. Pour avoir assisté à un concert de la tournée qui suivit, je peux assurer que ce fut un moment vraiment fort, ce qui me permet d’affirmer que Ben Harper n’est pas perdu pour la Création Musicale. Néanmoins, l’album (énorme succès là encore, essentiellement chez les lecteurs de Télérama, certes) est un désastre. Tellement ennuyeux et soporifique qu’il calmerait un fan de death sous acide. A côté, Coldplay passe pour un groupe de hardcore de premier rang.


Que nous réservait donc Ben Harper en 2006, en publiant un disque au titre pour le moins véhément : Both Sides of the Gun ? D’aucuns de par le monde se prirent à espérer, d’autant que Ben Harper avait réuni pour l’occasion les Innocent Criminals – comme au bon vieux temps.

Au moins cet album d’une longueur indécente aura-t-il eu le mérite de calmer les ardeurs d’une certaine presse qui, prise d’une transe ou d’une fièvre quelconque, comparait déjà Ben Harper & The Innocent Criminals à Neil Young & Crazy Horse ou Bob Dylan & The Band. Contrairement à ses deux idoles, Harper ne subit pas de poussée de créativité au contact de son groupe – c’est presque rassurant.

L’objet en lui-même est double. En soi, c’est une idée très intéressante…

… non je déconne : c’est une idée très intéressante dans l’optique de notre guide de tout ce qu’il ne faut pas faire quand on est un singer-songwriter. Pour le reste tout le monde sait que c’est le pire truc à faire. Ben Harper ayant déjà du mal à être totalement cohérent sur un seul CD, il était évident avant même de poser une oreille sur celui-ci qu’en double-album (donc triple vinyle voire un peu plus, truc qui aurait fait se tirer une balle dans la tête à la plupart des artistes des 70’s vénérés par Ben Harper), ce serait deux fois plus long et donc deux fois moins cohérent.

Aussi afin de palier à une incohérence que, pas con, il avait sans doute senti venir, Ben Harper a organisé un immense brainstorming de dix minutes au terme duquel il a décidé d’un commun accord avec lui même que sa nouvelle œuvre reposerait sur un concept révolutionnaire : une face électrique et une face acoustique. C’est d’ailleurs au bout de ces dix minutes cruciales qu’il a trouvé le titre (on ne rit pas). Voici donc l’explication tant attendue ! A ceci près, bien sûr, que le gun de Ben Harper est un pistolet à eau et que son groupe s’avère ici définitivement plus innocent que criminel.

Pile à ce moment-là, il y a eu une allocution du Président Bush. Et là, Ben Harper s’est dit : « Tiens ! si je faisais un album anti-Bush ! ». A ce point de la chronique, je me dois de rappeler quelques règles de base : depuis deux ans environ, l’Album Anti-Bush est devenu un genre musical à part entière, qui en gros se résume à deux axes principaux :

- la guerre c’est mal

- l’argent c’est sale

En soi, donc, écrire un Album Anti-Bush ne mange pas de pain dans la mesure où ne pas aimer George Bush, même mon chat en est capable. Je dirais même qu’écrire Son Album Anti-Bush est pour les musiciens américains comme un genre de consécration, puisque cela leur permet de se faire des amis très bien comme Springsteen, Pearl Jam ou R.E.M.. C’est un exercice imposé pour tout musicien américain de gauche, un engagement profond équivalant peu ou prou à militer pour les Restaus du Cœur (on a les Enfoirés qu'on mérite). Bref c’est une marre indigeste de consensualisme mêlé de complaisance. Non pas que je veuille manquer de respect aux auteurs d’Albums Anti-Bush. C'est un noble combat... Disons simplement qu’à force de se multiplier, ces disques pseudos engagés finissent par me faire espérer prochainement la sortie d’un disque Pro-Bush – histoire de remettre les choses à leur place. Au moins comme ça Harper ses potes du Club des Songwriters Bienpensants Américains auront des raisons de se sentir marginaux.

Tout ça pour dire que cette équation (imparable : il faudrait être de sacrément mauvaise foi pour nier le fait que depuis deux ans la moitié des musiciens américains ont sauté dans le train de la Résistance Anti-W) suffit à annoncer qu’en dépit de son titre, « Engraved Invitation » est une chanson à peu près aussi offensive qu’un joueur du PS-G. Amusant, surtout quand on la met dans la balance avec une autre chanson engagée du même artiste, mais onze ans plus tôt : « Excuse Me, Mr ». Celle-ci avait un titre pas du tout offensif mais elle était acerbe et jubilatoire. Alors que ce cru 2006… diantre ! Qui plus est, et c’est quand même le problème principale, cette chanson (à l’instar « Get It Like You Want It » - encore un titre fédérateur !) sonne comme du sous-Stones période Exile on Main Street et ne fait pas montre du début d’un commencement de créativité le titre mis à part (bah oui : pour intituler « Engraved Invitation » un truc aussi mou il faut avoir une putain d’imagination !)

Vous l’aurez compris : pour moi la carrière de Ben Harper après 2000 relève de la déception amoureuse. Car le plus terrible c’est qu’il n’arrive jamais à être totalement nul. Ce type est capable de grandes choses, comme ce « Morning Yearning » qui ouvre l’album… une chanson tellement somptueuse que l’espace d’un instant j’ai vraiment cru qu’il avait gagné son pari. Las ! dès le morceau suivant, « Waiting for You », j’ai compris mon erreur. Ben Harper ne s’extirpera sans doute jamais de la direction qu’il a donné à sa carrière. Ca se respecte, il fait ce qu’il veut. Mais ça mérite un Top of the Flops, ne fût-ce que parce que plus j’écoute ce disque (je l’ai acheté à sa sortie) plus je le trouve catastrophique.

En soi l’idée de base est rebutante, parce qu’autant Ben Harper peut rapidement devenir soporifique en version acoustique, autant il est également vite agaçant lorsqu’il tâte de l’électricité. On dirait qu’il n’a pas compris que ce qui fait le charme de ses meilleurs albums (Fight for Your Mind en 1995 et The Will to Live en 1997), c’est l’équation des deux… Et comme en plus il a vraiment pété sa boussole, il s’entête à écrire des chansons d’amour acoustiques et des chansons électriques plus engagées (à défaut d’être engageantes), ce qui est d’une banalité si consternante qu’on en vient à se demander si le grand Ben Harper n’a pas été enlevé par des martiens et remplacé par un cyborg. Voilà peut-être ce qui s’avère le plus agaçant au fil des écoutes : les bluettes « Picture in a Frame » ou « Happy Hereafter in Your Eyes » ne sont pas des chansons totalement nulles. Elles sont juste insipides. Dépourvues de la moindre fantaisie, de la moindre originalité et amputées de toute émotion. Elles sont mignonnes et creuses. Et encore ! C’est probablement la partie acoustique de l’album qui s’en sort le mieux. Sur la face électrique, pour un « Please Don’t Talk About Murder while I’m Eating », il faut s’envoyer un reggae made in Carrefour (donc très positif !!!! – le titre éponyme d’ailleurs) deux blues à faire se retourner dans sa tombe John Lee Hooker (« Gather 'round the Stone » et « The Way You Found me »), pour finir avec « Serve Your Soul », genre de jam 70’s étalée sur huit minutes… un truc proprement insupportable où tous les clichés du rock psychédélique sont empilés les uns sur les autres histoire de donner l’impression que Ben Harper et ses copains connaissent leurs classiques – ce dont personne n’a jamais douté : ils ont effectivement beaucoup trop écouté Led Zep.

Au final, j’en ressors chaque fois plus déçu, plus navré, plus désolé. Je me demande toujours comment c’est possible : quand il a débarqué il y a treize ans, Ben Harper avait les protest-songs de Dylan, la voix de Marvin Gaye, l’aura de Marley et il jouait de la guitare comme Hendrix. Aujourd’hui, envolés ces lointains souvenirs. Ben Harper n’est plus qu’un hippie s’adressant à d’anciens hippies. Un gentil garçon resté bloqué dans les années 70, s’engageant avec la même opiniâtreté que François Hollande.


👎👎 Both Sides of the Gun 
Ben Harper & The Innocent Criminals | Virgin, 2006