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Certains disques transcendent toute notion d’époque ou de genre musical, et d’autres pas.
Un exemple : Sabbath, Bloody Sabbath. Voici un album mythique que vous pouvez écouter en 2006 avec autant plaisir que le jour de sa sortie, et que vous apprécierez sans doute autant en 2079. Exemple contraire : Never Say Die!. Même groupe, cinq ans plus tard. Là, on peut contempler un peu les ravages du temps. On se demande comment ils ont pu en arriver là, et par conséquent sans connaître un poil l'histoire du groupe, on est paumé. Pas de bol (pour vous), c’est de celui-ci qu’on va parler aujourd’hui (mais en même temps ce n’est pas moi qui décide qui réédite quoi et quand il le réédite).
Pour comprendre cet album, le huitième du Grand Sabbath, il faut remonter deux ans plus tôt, en 1976. Avec Technical Ecstasy, Tony Iommi et ses potes voulaient faire taire les mauvaises langues. Ils voulaient s’imposer y compris auprès de leurs détracteurs, qui les prenaient pour un groupe de rigolos… l’album était ambitieux, moderne, complexe, passant sans vergogne du rock progressif au funk, soniquement extrêmement avant-gardiste. Il était aussi inabouti. Surtout : le public n’était visiblement pas prêt à entendre un tel ovni. L’histoire du rock'n’roll adorant ce genre d’ironie du sort, Technical Ecstasy est sans doute à l’heure actuelle l’album de Black Sabbath le plus pompé de tous les temps. Il suffit d’écouter (au pif) le dernier Godsmack pour s’apercevoir que trente ans plus tard il a influencé quasiment autant de jeunes groupes que ses prédécesseurs – sauf que les six premiers Sabbath (tous indispensables) ont eu un impact immédiat.
Bref ! Pour l’heure, en 1976, c’est un bide intersidéral. Le 45 tours « Dirty Women » se vend correctement (logique, c’est le morceau le plus « raccord » avec le Black Sabbath adulé à l’époque par les fans). La tournée, elle, est un désatre. Le groupe est plombé, mais plus uniquement par la basse de Geezer Butler. Il est surtout plombé par la dope, les dopes mêmes : coke, héro, LSD... sans oublier l’alcool… et tout ça réuni dans le même membre du groupe : Ozzy "je suis un alambique humain" Obsourne, bien entendu. Le chanteur, le Metal God (paraît-il). Le même qui se prétend aujourd’hui parrain du metal alors qu’il n’a quasiment jamais rien composé dans sa vie (les amateurs du genre savent que le Godfather, le vrai, c'est le discret et génial guitariste Tony Iommi). Durant cette tournée 76 – 77, Ozzy est tout simplement lessivé, cuit, carbonisé. Il finit même par planter les autres et rentrer chez lui. Pour la terre entière, Black Sabbath est un groupe fini. Il faut dire qu’en le remplaçant par Dave Walker, ils n’ont pas non plus fait l’affaire du siècle (à ma connaissance il n’existe aucun enregistrement de ces concerts avec le line-up le plus court de l’histoire du combo de Birmingham, mais il suffit d’écouter les disques de Savoy Brown pour se rendre compte que Walker était une quiche de chez quiche).
Renvoyé à ses copains à coups de pieds au cul par la Yoko Ono du metal, Sharon Obsourne (qui n’est pas encore son manager et ne s'appelle d'ailleurs pas encore Osbourne mais le tient déjà par les c…), Ozzy retrouve donc Back Sabbath pour enregistrer Never Say Die!. Plus qu’un album, cet objet est une performance : à la fois le disque le mieux et le plus mal nommé de tous les temps. Mal nommé parce qu’intituler un disque Never Say Die! pour splitter six mois après, c’est quand même être moyennement inspiré à court terme. Bien nommé parce qu’effectivement, à partir de cette période de trouble, Black Sabbath disparaîtra souvent, sombrera parfois, mais ne crèvera jamais. Régulièrement depuis 1978, Black Sabbath ressuscite, publie un disque fulgurant, splitte, revient (le grotesque ayant atteint son paroxysme au début des années 90, lorsque le groupe saqua Tony Martin pour reprendre Ronnie James Dio puis le ressaquer juste après pour reprendre Martin)… etc. C’est un genre de cycle éternel et sans fin qui du coup confère à Never Say Die! une portée visionnaire.
Le problème de cet album, c’est que c’est un genre de classique en creux. A savoir qu’à l’époque, ce fut un flop monumental qui entraîna le licenciement définitif d’Ozzy, mais que paradoxalement ce disque a pris une dimension mythique auprès de beaucoup de fans, puisqu’étant le dernier du Black Sabbath originel… autant dire (du moins du point de vue du fan hardcore, que je ne partage pas du tout) : du vrai Black Sabbath.
Never Say Die!, qu’on aille pas me faire dire ce que je n’ai pas dit, est un bon album. Qui ne méritait sans doute pas d’être massacré à sa sortie par les fans. Qui ne méritait pas plus d’être érigé au statut de disque culte par ces mêmes fans moins d’une décennie plus tard. Ce n’est pas le plus mauvais disque du Black Sabbath première époque, mais c’est sans aucun doute le moins bon – nuance. On ne peut pas dire que l’originalité y soit le maître mot (dommage, car jusqu’alors Tony « The Maestro » Iommi avait toujours su faire évoluer la musique du groupe), bien que le morceau éponyme laisse penser le contraire, avec une rythmique hyper-speed totalement dans l’ère du temps en 1978. Un titre qui à défaut d’avoir fait virer punks nos camarades tout de noir vêtus aura sans aucun doute bercé tous les futurs groupes dits de « speed-metal ». Un titre qui, surtout, ouvre le disque sans en être représentatif du tout. Juste après, « Johnny Blade » arrive, introduit par un cyber-synthé ridicule (du genre qu'aucune réédition ne pourra jamais sauver) jusqu’à 1,00 environ. Là, le rouleau compresseur Geezer Butler (basse) / Bill Ward (batterie) se met en branle et le morceau s’envole dans les sphères, rappelant par moment le meilleur de Technical Ecstasy. Pierre d’angle de la première face, « Junior’s Eyes » continue toujours à étonner, des années après, avec cette intro groovy si moderne…
Là, le bât commence à blesser. Car les titres suivants, à commencer par « Hard Road », renouent avec un heavy metal au classicisme inhabituel pour le Sabbath. Décevant, forcément, même s’il est difficile de ne pas flancher face au riff hawkwindien de « Shock Wave » ou à la lourdeur menaçante d'un « Break out » parsemée de… saxophone !
En résumé, voici un disque en demi-teinte, où l’original côtoie en permanence l’autoparodie totalement involontaire (« Swinging the Chain »)… avec le recul, il me semble évident que Never Say Die! est beaucoup moins bon que n’importe lequel des albums précédents, mais franchement meilleur que celui d’après (Heaven & Hell). Franchement moins réussi que celui encore après (The Mob Rules) mais terriblement supérieur à celui encore encore après (Born Again)... etc etc etc etc. Sa qualité de cet album est en dents de scie, et d’une certaine manière elle préfigure admirablement la suite de l’histoire – à savoir que Black Sabbath après 1978 naviguera en permanence entre le génial et l’atroce.
👍 Never Say Die!
Black Sabbath | Warner, 1978