...
Quand j’ai eu ce livre en main, ma première réflexion a été : mais pourquoi publier un journal de Guibert ? Sa trilogie (A l’ami qui ne m’a pas sauvé, Le Protocole compassionnel et L’Homme au chapeau rouge) n’était-elle pas déjà en soi un journal ?
Réflexion un peu bête. Quoique pas tant que ça.
Un peu bête parce que, et je me maudis un peu sur ce coup, il faut être un crétin fini pour croire que la trilogie-sans-nom (d’aucuns l’appellent Trilogie du sida mais je trouve ce titre tellement réducteur et misérable que je préfère encore penser qu’il n’y en a pas) est un journal ne proposant ni schéma narratif ni structure.
Pas complètement bête parce qu’on se rend assez rapidement compte qu’effectivement, Le Mausolée des amants n’a pas grand-chose d’un journal. Le terme tentative autobiographique me semble mieux convenir. Et ça change tout : on passe du non-genre littéraire au genre littéraire le plus délicat qui soit (combien s’y sont-ils ridiculisés à ce jour ?)…
Dès les premières pages, un constat frappe : ce livre est à peu près tout l’inverse d’un journal intime. L’auteur y dévoile certes une part de son intimité (quoique ni plus ni moins que dans certains de ses livres – pas tous : sa fameuse trilogie a éclipsé le fait que 90 % de son œuvre est pure fiction), mais c’est de manière détournée, boiteuse, chaotique… pas d’indicateurs de temps, pas de schéma clair, pas de répartition temporelle. Rien de rien. Même pas de chapitrage basique. Juste des mots, toujours des mots, encore des mots. A demi-mot (justement) on devine que ce texte s’inscrit dans les œuvres de la fin de sa vie, époque à laquelle l’auteur des Chiens fut pris d’une frénésie créative incroyable… : se sachant condamné, Hervé Guibert a tout simplement écrit tous les livres qui lui venaient à l’esprit (huit pour les seules trois dernières années de sa vie). Sans relâche – sans véritable tri non plus certes.
C’est donc un Guibert à l’agonie (ou pas loin… difficile là encore de l’estimer dans la mesure où son refus du pathos lui impose de traiter la maladie avec dédain, voire avec dérision) qui se projette dans le passé, dans des souvenirs d’enfance et de jeunesse plutôt éparses mais ne chevauchant en aucun cas A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et les romans suivants. Le résultat, forcément étrange et parfois carrément déroutant, ressemble plus à un amas de mots ou à un flux de pensées en continu qu’à un véritable texte suivi. Un genre de divagation poétique permanente qui m’a rappelé à mon grand étonnement le journal d’un autre auteur majeur des trente dernières années, également français, également homosexuel et également mort du sida : Koltès. La parenté est tellement évidente (sans parler du fait qu’ils sont morts quasiment en même temps). Pourtant leurs œuvres n’avaient à ma connaissance aucun trait commun… jusqu’ici.
Au terme de ce long récit bigarré, j’ai essayé de me demander ce que cela valait du point de vue littéraire… sans doute moins que la plupart des autres livres de Guibert. Sans doute plus que le premier journal venu – ne fût-ce que parce que j’ai été harcelé continuellement par la curieuse impression de lire un faux journal intime conçu dès le départ pour être publié. Je ne comprenais pas. Je ne voyais pas ce que venait faire, par exemple, la numérotation « 1976 – 1991 » en en-tête du texte… 1976 c’est la date de sortie de son premier roman (sublime) La Mort propagande. Et 1991, l’année de sa mort. Mais ces dates, de même que son œuvre, semblent tellement loin…
Et soudain, je me suis souvenu d’un passage, vers le début du livre :
« Ce qui me frappe à la lecture des romantiques allemands […] c’est le caractère inachevé, bancal, juvénile de leurs œuvres […], leur foisonnement abracadabrant, leur manque de construction, de linéarité, cette façon énervante d’accoler des récits qui n’ont rien à voir, de truffer, de dévier l’histoire initiale de contes, d’exemples, de longs dialogues. »
… et alors, j’ai compris.
Quand j’ai eu ce livre en main, ma première réflexion a été : mais pourquoi publier un journal de Guibert ? Sa trilogie (A l’ami qui ne m’a pas sauvé, Le Protocole compassionnel et L’Homme au chapeau rouge) n’était-elle pas déjà en soi un journal ?
Réflexion un peu bête. Quoique pas tant que ça.
Un peu bête parce que, et je me maudis un peu sur ce coup, il faut être un crétin fini pour croire que la trilogie-sans-nom (d’aucuns l’appellent Trilogie du sida mais je trouve ce titre tellement réducteur et misérable que je préfère encore penser qu’il n’y en a pas) est un journal ne proposant ni schéma narratif ni structure.
Pas complètement bête parce qu’on se rend assez rapidement compte qu’effectivement, Le Mausolée des amants n’a pas grand-chose d’un journal. Le terme tentative autobiographique me semble mieux convenir. Et ça change tout : on passe du non-genre littéraire au genre littéraire le plus délicat qui soit (combien s’y sont-ils ridiculisés à ce jour ?)…
Dès les premières pages, un constat frappe : ce livre est à peu près tout l’inverse d’un journal intime. L’auteur y dévoile certes une part de son intimité (quoique ni plus ni moins que dans certains de ses livres – pas tous : sa fameuse trilogie a éclipsé le fait que 90 % de son œuvre est pure fiction), mais c’est de manière détournée, boiteuse, chaotique… pas d’indicateurs de temps, pas de schéma clair, pas de répartition temporelle. Rien de rien. Même pas de chapitrage basique. Juste des mots, toujours des mots, encore des mots. A demi-mot (justement) on devine que ce texte s’inscrit dans les œuvres de la fin de sa vie, époque à laquelle l’auteur des Chiens fut pris d’une frénésie créative incroyable… : se sachant condamné, Hervé Guibert a tout simplement écrit tous les livres qui lui venaient à l’esprit (huit pour les seules trois dernières années de sa vie). Sans relâche – sans véritable tri non plus certes.
C’est donc un Guibert à l’agonie (ou pas loin… difficile là encore de l’estimer dans la mesure où son refus du pathos lui impose de traiter la maladie avec dédain, voire avec dérision) qui se projette dans le passé, dans des souvenirs d’enfance et de jeunesse plutôt éparses mais ne chevauchant en aucun cas A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et les romans suivants. Le résultat, forcément étrange et parfois carrément déroutant, ressemble plus à un amas de mots ou à un flux de pensées en continu qu’à un véritable texte suivi. Un genre de divagation poétique permanente qui m’a rappelé à mon grand étonnement le journal d’un autre auteur majeur des trente dernières années, également français, également homosexuel et également mort du sida : Koltès. La parenté est tellement évidente (sans parler du fait qu’ils sont morts quasiment en même temps). Pourtant leurs œuvres n’avaient à ma connaissance aucun trait commun… jusqu’ici.
Au terme de ce long récit bigarré, j’ai essayé de me demander ce que cela valait du point de vue littéraire… sans doute moins que la plupart des autres livres de Guibert. Sans doute plus que le premier journal venu – ne fût-ce que parce que j’ai été harcelé continuellement par la curieuse impression de lire un faux journal intime conçu dès le départ pour être publié. Je ne comprenais pas. Je ne voyais pas ce que venait faire, par exemple, la numérotation « 1976 – 1991 » en en-tête du texte… 1976 c’est la date de sortie de son premier roman (sublime) La Mort propagande. Et 1991, l’année de sa mort. Mais ces dates, de même que son œuvre, semblent tellement loin…
Et soudain, je me suis souvenu d’un passage, vers le début du livre :
« Ce qui me frappe à la lecture des romantiques allemands […] c’est le caractère inachevé, bancal, juvénile de leurs œuvres […], leur foisonnement abracadabrant, leur manque de construction, de linéarité, cette façon énervante d’accoler des récits qui n’ont rien à voir, de truffer, de dévier l’histoire initiale de contes, d’exemples, de longs dialogues. »
… et alors, j’ai compris.
👍👍 Le Mausolée des amants - Journal 1976-91
Hervé Guibert | Gallimard, 2001