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Voici un livre qui m’a plongé dans des abymes de perplexité et qui, à mon avis, va me faire me poser des questions pendant pas mal de temps encore. Pourtant, sur le papier, l’histoire de Peter Handke est d’une banalité à en crever : le pharmacien de Taxham (mais ça pourrait être n'importe quel pharmacien de n’importe quel patelin paumé) quitte sa maison (tranquille) par une nuit (obscure) pour un voyage totalement impromptu, voire même improvisé. Il ne reviendra que des mois plus tard, et racontera ses aventures à un écrivain.
On ne peut pas dire, donc, qu’il s’agisse d’un postulat particulièrement original (c’est même à la limite de l’éculé). Mais Peter Handke semble avoir mis tellement de choses, d’idées, d’envie, et surtout de poésie dans ce roman qu’il finit par totalement exploser le concept même d’histoire.
La première chose qui frappe, c’est la plume. Peter Handke n’est évidemment pas le premier écrivaillon venu. Mais de là à faire aussi poétique, aussi sublime, tout en racontant paradoxalement une histoire d’une telle banalité sur un personnage tellement transparent, ça relève carrément du miracle.
Ensuite, en y prêtant bien attention, la construction est beaucoup plus futée qu’elle en a l’air. Sous son apparente linéarité, le récit contient une infinité de sens de lecture résidant principalement dans cette idée (pourtant là encore totalement éculée) voulant que le héros raconte à un narrateur qui nous raconte à nous. La différence majeure entre ce narrateur-là et les autres narrateurs victimes de mises en abyme similaires, c’est que l’écrivain de Handke s’interroge régulièrement sur le sens et la véracité de ce que lui raconte le pharmacien au fur et à mesure qu’il nous raconte à nous l’histoire. Handke renverse l’idée de narrateur en utilisant SON narrateur pour décrédibiliser en permanence le narrateur de SON narrateur… ce qui lui permet d’alterner des passages contemplatifs et particulièrement brillants avec d’autres volontairement grotesques et grandiloquents… bizarre, bizarre… un exemple ? Le pharmacien (Le Narrateur N°1, si vous voulez) évoque une situation où il risque sa vie… et vous savez ce qu’il en dit ? :
« Je remarquai que mon histoire était en jeu. […] Et je tenais à mon histoire – et comment ! Si je n’avais que continué à regarder, c’en aurait été fait de cette histoire, et tout ce qui avait précédé aurait aussi été nul et non avenu […] je ne voulais pas me laisser prendre mon histoire ! Non ! »
… à ce stade, je m’attendais presque à ce qu’un personnage de son récit lui dise : « Hé, mec, alors, t’as pas trop hâte de rentrer pour raconter tout ça à Peter Handke ? »…
Bref : j’aurais bien changé le titre en Le Pharmacien de Taxham. Ca ne reflète pas le côté énigmatique du roman, mais ça me semble très fidèle à cette figure tellement pei charismatique qu’elle en devient fascinante.
Au final je suis incapable de dire s’il faut prendre ce livre au premier ou au second degré. Par contre, j’ai passé un très agréable moment, ce qui ma foi n’est pas si mal.
Voici un livre qui m’a plongé dans des abymes de perplexité et qui, à mon avis, va me faire me poser des questions pendant pas mal de temps encore. Pourtant, sur le papier, l’histoire de Peter Handke est d’une banalité à en crever : le pharmacien de Taxham (mais ça pourrait être n'importe quel pharmacien de n’importe quel patelin paumé) quitte sa maison (tranquille) par une nuit (obscure) pour un voyage totalement impromptu, voire même improvisé. Il ne reviendra que des mois plus tard, et racontera ses aventures à un écrivain.
On ne peut pas dire, donc, qu’il s’agisse d’un postulat particulièrement original (c’est même à la limite de l’éculé). Mais Peter Handke semble avoir mis tellement de choses, d’idées, d’envie, et surtout de poésie dans ce roman qu’il finit par totalement exploser le concept même d’histoire.
La première chose qui frappe, c’est la plume. Peter Handke n’est évidemment pas le premier écrivaillon venu. Mais de là à faire aussi poétique, aussi sublime, tout en racontant paradoxalement une histoire d’une telle banalité sur un personnage tellement transparent, ça relève carrément du miracle.
Ensuite, en y prêtant bien attention, la construction est beaucoup plus futée qu’elle en a l’air. Sous son apparente linéarité, le récit contient une infinité de sens de lecture résidant principalement dans cette idée (pourtant là encore totalement éculée) voulant que le héros raconte à un narrateur qui nous raconte à nous. La différence majeure entre ce narrateur-là et les autres narrateurs victimes de mises en abyme similaires, c’est que l’écrivain de Handke s’interroge régulièrement sur le sens et la véracité de ce que lui raconte le pharmacien au fur et à mesure qu’il nous raconte à nous l’histoire. Handke renverse l’idée de narrateur en utilisant SON narrateur pour décrédibiliser en permanence le narrateur de SON narrateur… ce qui lui permet d’alterner des passages contemplatifs et particulièrement brillants avec d’autres volontairement grotesques et grandiloquents… bizarre, bizarre… un exemple ? Le pharmacien (Le Narrateur N°1, si vous voulez) évoque une situation où il risque sa vie… et vous savez ce qu’il en dit ? :
« Je remarquai que mon histoire était en jeu. […] Et je tenais à mon histoire – et comment ! Si je n’avais que continué à regarder, c’en aurait été fait de cette histoire, et tout ce qui avait précédé aurait aussi été nul et non avenu […] je ne voulais pas me laisser prendre mon histoire ! Non ! »
… à ce stade, je m’attendais presque à ce qu’un personnage de son récit lui dise : « Hé, mec, alors, t’as pas trop hâte de rentrer pour raconter tout ça à Peter Handke ? »…
Bref : j’aurais bien changé le titre en Le Pharmacien de Taxham. Ca ne reflète pas le côté énigmatique du roman, mais ça me semble très fidèle à cette figure tellement pei charismatique qu’elle en devient fascinante.
Au final je suis incapable de dire s’il faut prendre ce livre au premier ou au second degré. Par contre, j’ai passé un très agréable moment, ce qui ma foi n’est pas si mal.
👍 Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille
Peter Handke | Gallimard, 1997