...
Le Passage des miracles, c’est le petit quartier du Mortier, au Caire. Un coin un peu perdu et délaissé, au cœur duquel le narrateur vient cueillir une population hétéroclite et attachante en pleine Seconde Guerre Mondiale. La marieuse, le cafetier homo, les gamins…
… la galerie de portraits est presque parfaite, vibrant d’une immense humanité, d’une simplicité touchante mais jamais manichéenne : chacun à ses travers, ses vices, ses secrets…
Et c’est toute une magie qui opère sans problème dans ce roman étonnamment moderne pour une œuvre publiée à la fin des années quarante, ce en dépit de l’absence manifeste de véritable histoire. Sous la plume de Naguib Mahfouz, il m’a souvent semblé que ces personnages, justement, n’en étaient pas : contrairement à des personnages de roman lambdas, ils ne paraissent jamais prédestinés. Ils sont des genres d’électrons libres, donnant l’impression de suivre le cours de leur propre vie sans se soucier de l’intrigue ou de la narration. Ils sont là, ils existent, et c’est d’eux que naît la littérature – et non l’inverse comme dans 90% des romans "habituels".
Je ne sais pas si c’est parce que j’ai le nez dedans ; j’ai beaucoup pensé à Hemingway durant cette lecture. Non pas tant dans l’atmosphère que dans cette manière de bâtir le récit autour des caractères plutôt qu’à partir des péripéties. Pourtant, personne à ma connaissance n’a jamais comparé Mahfouz à Hemingway. On préfère généralement à son sujet évoquer Zola ou plus généralement les naturalistes. Cela semble plus logique, moins fatigant aussi : à quoi bon chercher des références quand on en a qui sont toutes prêtes à l’emploi ? A partir des années vingt, on a encouragé la littérature arabe (et justement plus spécifiquement la littérature égyptienne) en la confrontant aux grand romanciers français du dix-neuvième. C’est connu. Et c’est ce qui a permis à tous les critiques fainéants des soixante dernières années de pratiquer leur sport favori : le raccourci intellectuel.
… et Naguib Mahfouz de devenir ad vitam aeternam le Zola arabe. Alors que non, pas du tout. Il y a dans ce roman il est vrai bizarrement européen (c’est d’ailleurs je crois le premier ou le second à avoir été traduit en français, au début des années soixante-dix) une liberté de ton qu’on ne trouve nulle part ailleurs, une insolence évidente (l’un des personnages principaux est tout de même le cafetier homo, une vraie folle éjectée dans un bouquin sorti en 1947 en Egypte ! il fallait oser), et plutôt qu’une provocation, une sorte de franchise. Car si certains ont pu peindre le monde tel qu’ils le voyaient afin de fricoter avec la subversion, Mahfouz, plus humaniste qu’il y paraît au premier abord, ne l’a fait que dans une quête effrénée de vérité.
Du reste, Passage des miracles s’avère (évidemment, ai-je envie d’ajouter) inférieur à ce que l’auteur fera durant les décennies suivantes (je pense notamment à Son Excellence et surtout à La Quête). Mais c’est tout de même un superbe roman.
Le Passage des miracles, c’est le petit quartier du Mortier, au Caire. Un coin un peu perdu et délaissé, au cœur duquel le narrateur vient cueillir une population hétéroclite et attachante en pleine Seconde Guerre Mondiale. La marieuse, le cafetier homo, les gamins…
… la galerie de portraits est presque parfaite, vibrant d’une immense humanité, d’une simplicité touchante mais jamais manichéenne : chacun à ses travers, ses vices, ses secrets…
Et c’est toute une magie qui opère sans problème dans ce roman étonnamment moderne pour une œuvre publiée à la fin des années quarante, ce en dépit de l’absence manifeste de véritable histoire. Sous la plume de Naguib Mahfouz, il m’a souvent semblé que ces personnages, justement, n’en étaient pas : contrairement à des personnages de roman lambdas, ils ne paraissent jamais prédestinés. Ils sont des genres d’électrons libres, donnant l’impression de suivre le cours de leur propre vie sans se soucier de l’intrigue ou de la narration. Ils sont là, ils existent, et c’est d’eux que naît la littérature – et non l’inverse comme dans 90% des romans "habituels".
Je ne sais pas si c’est parce que j’ai le nez dedans ; j’ai beaucoup pensé à Hemingway durant cette lecture. Non pas tant dans l’atmosphère que dans cette manière de bâtir le récit autour des caractères plutôt qu’à partir des péripéties. Pourtant, personne à ma connaissance n’a jamais comparé Mahfouz à Hemingway. On préfère généralement à son sujet évoquer Zola ou plus généralement les naturalistes. Cela semble plus logique, moins fatigant aussi : à quoi bon chercher des références quand on en a qui sont toutes prêtes à l’emploi ? A partir des années vingt, on a encouragé la littérature arabe (et justement plus spécifiquement la littérature égyptienne) en la confrontant aux grand romanciers français du dix-neuvième. C’est connu. Et c’est ce qui a permis à tous les critiques fainéants des soixante dernières années de pratiquer leur sport favori : le raccourci intellectuel.
… et Naguib Mahfouz de devenir ad vitam aeternam le Zola arabe. Alors que non, pas du tout. Il y a dans ce roman il est vrai bizarrement européen (c’est d’ailleurs je crois le premier ou le second à avoir été traduit en français, au début des années soixante-dix) une liberté de ton qu’on ne trouve nulle part ailleurs, une insolence évidente (l’un des personnages principaux est tout de même le cafetier homo, une vraie folle éjectée dans un bouquin sorti en 1947 en Egypte ! il fallait oser), et plutôt qu’une provocation, une sorte de franchise. Car si certains ont pu peindre le monde tel qu’ils le voyaient afin de fricoter avec la subversion, Mahfouz, plus humaniste qu’il y paraît au premier abord, ne l’a fait que dans une quête effrénée de vérité.
Du reste, Passage des miracles s’avère (évidemment, ai-je envie d’ajouter) inférieur à ce que l’auteur fera durant les décennies suivantes (je pense notamment à Son Excellence et surtout à La Quête). Mais c’est tout de même un superbe roman.
👍👍👍 Passage des miracles
Naguib Mahfouz | Actes Sud "Sindbad", 1941