mercredi 17 janvier 2007

Objet Balzacien Non Identifié

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Dans une maison sombre de Bayeux, une vieille femme et une jeune fille discutent. La première semble dominer la seconde ; elle semble aussi vouloir la prostituer. Non loin de là, toujours à Bayeux, un homme, Roger de Grainville, est en train de rater son mariage. Quel est le lien entre ces trois personnages ?...
… aucun ! c’est ce qui fait de ce petit roman de Balzac une curiosité : il adopte dès le quart du récit la forme d’un diptyque parfait – personne n’y rencontre personne. Cette construction particulièrement osée pour l’époque ne peut que susciter l’admiration… une fois encore, Balzac prend tout le monde à contre-pied et s’impose sans problème comme l’un des écrivains les plus modernes et novateurs de son temps.
Pourtant Une double famille n’est pas sans défauts, dont l’un n’est pas des moindres : impossible de comprendre à quoi rime ce texte. Fragmenter le récit en deux romans parfaitement distincts c’est bien beau – encore faut-il être capable d’expliquer pourquoi. Car la division est tellement bien réussie que même le lecteur le moins regardant finira obligatoirement par se demander « BORDEL MAIS POURQUOI ?????!!!!!! »… oui, pourquoi Honoré ? Quel est le rapport entre les parties respectives de ce double roman ?
Il y a bien à l’évidence un schéma parallèle et inversé : Caroline est en pleine ascension et Roger en pleine chute. Et après ? c’est tout ? On dirait… on assiste d’un côté à une histoire particulièrement glauque et plombante, de l’autre à une intrigue jubilatoire où la dévotion d’une femme détruit sa famille et où Balzac cogne à tout va sur la religion, mais l’exercice se révèle parfois trop schématique et trop… trop un exercice, en fait, pour convaincre totalement. Comme si pour une fois dans son œuvre, Balzac privilégiait largement la forme sur le fond…
Cela reste néanmoins une curiosité à ne pas négliger lorsqu’on apprécie notre auteur. N’empêche : on a  régulièrement eu l’impression de lire un roman inachevé, et ce n’est assurément pas voulu.
Une double famille 
Honoré de Balzac | Louis Conard Éditeur, 1842