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Un jour il faudra rédiger un Top of The Flops consacré au concept même d’album de reprises, sous-genre dont l’indigence force presque continuellement le respect depuis les années 70. D’ici là, on peut se contenter de savourer la nouvelle perle du genre, le dernier Bryan Ferry…
Bryan Ferry voyez-vous n’est pas n’importe qui. L’album de reprises, c’est quasiment lui qui l’a inventé au début des 70’s, lorsqu’en voulant s’évader un peu de Roxy Music il publia These Foolish Things – et coupa l’herbe sous le pied de Bowie qui préparait Pin ups. Le succès fut tel que Ferry récidiva l’année suivante avec Another Time, Another Place. Un peu moins bon (il faut dire que l’effet de surprise n’y était plus) mais néanmoins délicieux.
Lorsqu’il fallut au milieu de la même décennie se décider à composer un répertoire solo plus personnel, pour cause de split momentané de Roxy, Ferry eut un mal fou à se départir de ses reprises chéries. De fait il en glissa sur quasiment tous ses albums de toutes les époques. La plupart du temps elles étaient non seulement supérieures aux originales, mais (plus emmerdant) supérieures aussi au reste de l’album. Pas grave : c’était devenu en quelque sorte sa marque de fabrique. La Ferry’s touch voulant qu’un bon album de Bryan Ferry soit toujours accompagné d’au moins une reprise fabuleuse…
… jusqu’à ce jour funeste de 1999 où Bryan publia As Time Goes by, nouvel album de reprises centré autour des années 30 et 40. Non pas que ce disque ait été mauvais, justement : il était génial. Absolument merveilleux ! Peut-être même son meilleur album solo. Et en tout cas son plus gros succès en tant que soliste depuis Let’s Stick Together presque vingt-cinq ans plus tôt. Autant vous dire qu’après ça, le Bryan, il avait plus du tout envie d’écrire des chansons. A quoi bon ? Sur son disque suivant, le brillant Frantic, il y avait tellement de reprises qu’on finissait par ne plus s’y retrouver. On eut même peur à un moment que Bryan se mette subitement à enregistrer des reprises de lui-même, histoire de voir si après avoir eu plus de succès que les autres avec leurs chansons il ne pouvait pas parvenir à avoir plus de succès que lui-même avec son propre répertoire.
Cinq ans après, Dylanesque n’a rien pour rassurer sur l’état de santé du mec qui avec « Song for Europe » ou «Editions of You » écrivit dans les années 70 quelques unes des plus grandes chansons de tous les temps.
Ce qu’il y a de bien avec cette rubrique, c’est que je n’ai pas besoin de créer un faux suspens : Dylanesque est une daube sidérale. Une daube sidérale d’un genre que j’apprécie tout particulièrement, de celles qui sont encensées par la critique et me donne encore plus de plaisir au moment de les broyer dans ces pages.
Vous l’ignorez encore (nous y reviendrons) mais je suis un inconditionnel de Bryan Ferry. J’ai la plus vive admiration pour cet artiste génial, qu’en plus je trouve super sexy. En théorie un album de reprises centré uniquement sur le répertoire de Bob Dylan m’aurait fait marrer d’emblée… pour la simple et bonne raison qu’une des règles universelles de la musique des quarante dernières années est qu’on ne touche pas aux chansons du Zim. Jamais. C’est un crime de lèse-majestée, un péché capital, un mollard sur la veste élimée de la folkitude. Depuis les Byrds il y a de ça quelques années (la plupart d’entre vous n’était pas née... ni moi, du reste) personne n’a jamais eu l’audace de revisiter le répertoire dylanien, et pour cause : réussir cette entreprise signifie qu’il faut à la fois non seulement tenter d’égaler Dylan himself, mais en plus d’égaler les Byrds – ce qui vous en conviendrez relève de l’assaut kamikaze. U2 a bien fait quelques reprises de Robert Z. au cours de sa carrière, mais U2 ne compte, car U2 n’a jamais eu peur du ridicule. U2 ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Non, vraiment : aucun musicien sérieux n’aurait osé le concept de Dylanesque…
… sauf Bryan Ferry. C’était peut-être même le seul capable de se lancer dans l’aventure sans craindre le procès d’intention. Pour la simple et bonne raison que non content d’être Le Spécialiste de La Reprise Bryan Ferry est également Le Spécialiste de La Reprise de Dylan. Les deux morceaux présents sur Frantic, « It’s All over Now, Baby Blue » et surtout une admirable version de « Don’t Think Twice, It’s All Right », font foi. Bref quand j’ai reçu le CD, j’avais limite la langue qui rasait la moquette. Un rapide coup d’œil aux notes de pochette m’a permis de constater que Ferry avait toujours autant de goût – ce qui ne m’a pas surpris outre mesure : si vous ne pouvez pas compter sur Bryan F. pour éviter l’écueil de la 346ème reprise de « Hard Rain » et de la 3500ème version de « Blowin’ in the Wind », à qui vous fier, ma p’tite dame ? Concession marketing oblige (il fallait bien faire un single, quand même, et puis les gamins ne connaissent pas si bien que ça le répertoire de Dylan en réalité) il y a certes « Knockin’on Heaven’s Door », mais ça ne peut ni ne doit compter : depuis qu’elle a été reprise par Avril Lavigne cette chanson est devenue un classique inaltérable qui peut supporter à peu près n’importe quel outrage. Non, franchement, ça commençait direct avec «Just Like Tom Thumb’s Blues », autant dire : plutôt bien. Sauf que… bah… au bout de dix huit secondes : « Merde ! C’est quoi cette reverb’ ??? » ; on se le demande. Pour les non initiés il faut rappeler que « reverb » et « Dylan » dans la même locution, c’est très joli si on veut écrire une antiphrase mais plutôt moche si on veut enregistrer un disque. La seule fois où le Zim s’y est essayé ç’a donné Infidels, et sa carrière a failli ne jamais s’en remettre.
Après cette ouverture peu alléchante, « Simple Twist of Fate » et « Make You Feel My Love » passent mieux, sans doute plus parce que ce sont des morceaux moins connus (et donc moins repris) que parce que le traitement qui leur est appliqué est intéressant. C’est globalement le même que pour « Tom Thumb’s », à savoir une production rétro-80’s très moche puisque rétro d’un certain son des années 80 déjà difficile à défendre à l’époque. Mais ça, vous me direz, c’est une constante chez Bryan Ferry : c’est quand même le seul mec dont les deux albums les plus marqués 80’s sont sortis… dans les années 90 : il s’agissait de Taxi et de Mamouna, et franchement personne ne les a compris (d’autant que les disques de Ferry dans les années 80, à commencer par Bête noire – son chef-d’œuvre – étaient totalement intemporels). Le summum de l’horreur est atteint sur « The Time They Are A-Changin’ », pour le coup très mal nommé puisque la réverb' et les couches de sons pâteux y sont plus présents que jamais… on frôle le contresens : sur la compo originale, le titre n’était pas la seule chose moderne. Le son, l’interprétation… étaient tout aussi révolutionnaires. Le plus grand fan de Dylan avéré n’y comprendrait-il en réalité rien ? On peut se poser la question. Ce qui est certain, c’est que Ferry, comme beaucoup de rocker vieillissants (à l’exception notable de… Dylan !) semble avoir fini par confondre « hors modes » et « intemporel » avec « has-been » et « à la masse niveau modernité ». On aurait tant aimé entendre des revisitasions ambitieuses et originales de Dylan par celui qui le fit connaître à des générations entières ! Là, au mieux, il se contente de calquer sa version sur celle du Maître (« If Not for You », « All Along the Watchtower »…). Au pire, il massacre ça à coup de réverb’ et de claviers (à peu près tout le reste) et donne une idée plutôt fidèle de ce à quoi aurait ressemblé l’intégralité du répertoire de Dylan s’il l’avait enregistré entre 1983 et 1985… autant dire que tout le monde se serait passé d’obtenir ce genre d’information.
Le pire, d’ailleurs, n’est même tant que cet album prometteur soit foiré… non, le pire, c’est la manière dont il est foiré : Dylanesque, quasiment dès la première note, plonge dans la faute de goût pour n’en ressortir pratiquement jamais. Et ça, de la part d’un homme pour qui le bon goût a toujours été un art de vivre, c’est impardonnable. En gâchant ce disque, d’une certaine manière, Bryan Ferry n’a pas fait de mal qu’à Dylan – il en a fait énormément à son mythe… et donc à lui-même.
Un jour il faudra rédiger un Top of The Flops consacré au concept même d’album de reprises, sous-genre dont l’indigence force presque continuellement le respect depuis les années 70. D’ici là, on peut se contenter de savourer la nouvelle perle du genre, le dernier Bryan Ferry…
Bryan Ferry voyez-vous n’est pas n’importe qui. L’album de reprises, c’est quasiment lui qui l’a inventé au début des 70’s, lorsqu’en voulant s’évader un peu de Roxy Music il publia These Foolish Things – et coupa l’herbe sous le pied de Bowie qui préparait Pin ups. Le succès fut tel que Ferry récidiva l’année suivante avec Another Time, Another Place. Un peu moins bon (il faut dire que l’effet de surprise n’y était plus) mais néanmoins délicieux.
Lorsqu’il fallut au milieu de la même décennie se décider à composer un répertoire solo plus personnel, pour cause de split momentané de Roxy, Ferry eut un mal fou à se départir de ses reprises chéries. De fait il en glissa sur quasiment tous ses albums de toutes les époques. La plupart du temps elles étaient non seulement supérieures aux originales, mais (plus emmerdant) supérieures aussi au reste de l’album. Pas grave : c’était devenu en quelque sorte sa marque de fabrique. La Ferry’s touch voulant qu’un bon album de Bryan Ferry soit toujours accompagné d’au moins une reprise fabuleuse…
… jusqu’à ce jour funeste de 1999 où Bryan publia As Time Goes by, nouvel album de reprises centré autour des années 30 et 40. Non pas que ce disque ait été mauvais, justement : il était génial. Absolument merveilleux ! Peut-être même son meilleur album solo. Et en tout cas son plus gros succès en tant que soliste depuis Let’s Stick Together presque vingt-cinq ans plus tôt. Autant vous dire qu’après ça, le Bryan, il avait plus du tout envie d’écrire des chansons. A quoi bon ? Sur son disque suivant, le brillant Frantic, il y avait tellement de reprises qu’on finissait par ne plus s’y retrouver. On eut même peur à un moment que Bryan se mette subitement à enregistrer des reprises de lui-même, histoire de voir si après avoir eu plus de succès que les autres avec leurs chansons il ne pouvait pas parvenir à avoir plus de succès que lui-même avec son propre répertoire.
Cinq ans après, Dylanesque n’a rien pour rassurer sur l’état de santé du mec qui avec « Song for Europe » ou «Editions of You » écrivit dans les années 70 quelques unes des plus grandes chansons de tous les temps.
Ce qu’il y a de bien avec cette rubrique, c’est que je n’ai pas besoin de créer un faux suspens : Dylanesque est une daube sidérale. Une daube sidérale d’un genre que j’apprécie tout particulièrement, de celles qui sont encensées par la critique et me donne encore plus de plaisir au moment de les broyer dans ces pages.
Vous l’ignorez encore (nous y reviendrons) mais je suis un inconditionnel de Bryan Ferry. J’ai la plus vive admiration pour cet artiste génial, qu’en plus je trouve super sexy. En théorie un album de reprises centré uniquement sur le répertoire de Bob Dylan m’aurait fait marrer d’emblée… pour la simple et bonne raison qu’une des règles universelles de la musique des quarante dernières années est qu’on ne touche pas aux chansons du Zim. Jamais. C’est un crime de lèse-majestée, un péché capital, un mollard sur la veste élimée de la folkitude. Depuis les Byrds il y a de ça quelques années (la plupart d’entre vous n’était pas née... ni moi, du reste) personne n’a jamais eu l’audace de revisiter le répertoire dylanien, et pour cause : réussir cette entreprise signifie qu’il faut à la fois non seulement tenter d’égaler Dylan himself, mais en plus d’égaler les Byrds – ce qui vous en conviendrez relève de l’assaut kamikaze. U2 a bien fait quelques reprises de Robert Z. au cours de sa carrière, mais U2 ne compte, car U2 n’a jamais eu peur du ridicule. U2 ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Non, vraiment : aucun musicien sérieux n’aurait osé le concept de Dylanesque…
… sauf Bryan Ferry. C’était peut-être même le seul capable de se lancer dans l’aventure sans craindre le procès d’intention. Pour la simple et bonne raison que non content d’être Le Spécialiste de La Reprise Bryan Ferry est également Le Spécialiste de La Reprise de Dylan. Les deux morceaux présents sur Frantic, « It’s All over Now, Baby Blue » et surtout une admirable version de « Don’t Think Twice, It’s All Right », font foi. Bref quand j’ai reçu le CD, j’avais limite la langue qui rasait la moquette. Un rapide coup d’œil aux notes de pochette m’a permis de constater que Ferry avait toujours autant de goût – ce qui ne m’a pas surpris outre mesure : si vous ne pouvez pas compter sur Bryan F. pour éviter l’écueil de la 346ème reprise de « Hard Rain » et de la 3500ème version de « Blowin’ in the Wind », à qui vous fier, ma p’tite dame ? Concession marketing oblige (il fallait bien faire un single, quand même, et puis les gamins ne connaissent pas si bien que ça le répertoire de Dylan en réalité) il y a certes « Knockin’on Heaven’s Door », mais ça ne peut ni ne doit compter : depuis qu’elle a été reprise par Avril Lavigne cette chanson est devenue un classique inaltérable qui peut supporter à peu près n’importe quel outrage. Non, franchement, ça commençait direct avec «Just Like Tom Thumb’s Blues », autant dire : plutôt bien. Sauf que… bah… au bout de dix huit secondes : « Merde ! C’est quoi cette reverb’ ??? » ; on se le demande. Pour les non initiés il faut rappeler que « reverb » et « Dylan » dans la même locution, c’est très joli si on veut écrire une antiphrase mais plutôt moche si on veut enregistrer un disque. La seule fois où le Zim s’y est essayé ç’a donné Infidels, et sa carrière a failli ne jamais s’en remettre.
Après cette ouverture peu alléchante, « Simple Twist of Fate » et « Make You Feel My Love » passent mieux, sans doute plus parce que ce sont des morceaux moins connus (et donc moins repris) que parce que le traitement qui leur est appliqué est intéressant. C’est globalement le même que pour « Tom Thumb’s », à savoir une production rétro-80’s très moche puisque rétro d’un certain son des années 80 déjà difficile à défendre à l’époque. Mais ça, vous me direz, c’est une constante chez Bryan Ferry : c’est quand même le seul mec dont les deux albums les plus marqués 80’s sont sortis… dans les années 90 : il s’agissait de Taxi et de Mamouna, et franchement personne ne les a compris (d’autant que les disques de Ferry dans les années 80, à commencer par Bête noire – son chef-d’œuvre – étaient totalement intemporels). Le summum de l’horreur est atteint sur « The Time They Are A-Changin’ », pour le coup très mal nommé puisque la réverb' et les couches de sons pâteux y sont plus présents que jamais… on frôle le contresens : sur la compo originale, le titre n’était pas la seule chose moderne. Le son, l’interprétation… étaient tout aussi révolutionnaires. Le plus grand fan de Dylan avéré n’y comprendrait-il en réalité rien ? On peut se poser la question. Ce qui est certain, c’est que Ferry, comme beaucoup de rocker vieillissants (à l’exception notable de… Dylan !) semble avoir fini par confondre « hors modes » et « intemporel » avec « has-been » et « à la masse niveau modernité ». On aurait tant aimé entendre des revisitasions ambitieuses et originales de Dylan par celui qui le fit connaître à des générations entières ! Là, au mieux, il se contente de calquer sa version sur celle du Maître (« If Not for You », « All Along the Watchtower »…). Au pire, il massacre ça à coup de réverb’ et de claviers (à peu près tout le reste) et donne une idée plutôt fidèle de ce à quoi aurait ressemblé l’intégralité du répertoire de Dylan s’il l’avait enregistré entre 1983 et 1985… autant dire que tout le monde se serait passé d’obtenir ce genre d’information.
Le pire, d’ailleurs, n’est même tant que cet album prometteur soit foiré… non, le pire, c’est la manière dont il est foiré : Dylanesque, quasiment dès la première note, plonge dans la faute de goût pour n’en ressortir pratiquement jamais. Et ça, de la part d’un homme pour qui le bon goût a toujours été un art de vivre, c’est impardonnable. En gâchant ce disque, d’une certaine manière, Bryan Ferry n’a pas fait de mal qu’à Dylan – il en a fait énormément à son mythe… et donc à lui-même.
👎👎 Dylanesque
Bryan Ferry | Virgin, 2007