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Les auteurs extrêmes provoquent des réactions extrêmes, Christine Angot en est un bel exemple. La diversité d’appréciations qu’elle suscite est finalement conforme à l’image que ses bouquins renvoient, de fait il n’y a pas avec elle de juste milieu : les uns détestent, les autres crient au génie – les deux camps partageant le même manque d’objectivité flagrant dû à une mise en abyme plus ou moins volontaire : à force de marteler que ses livres étaient elle, Angot a fini par être plus régulièrement jugée sur sa personne que sur ses qualités littéraires. Elle a certes joué avec le feu ; cela n'excuse rien. Il m’amuse toujours de lire les articles consacrés à cette auteure, puisque j’y trouve souvent des avis particulièrement emportés sans véritable raison.
Que lui reprochent ses détracteurs (violents, soit, mais pas plus que ses romans) ? De mal écrire, d’être égocentrique et de sortir des bouquins inintéressants parce qu’on s’en fout de sa vie – ce sont les trois axes principaux. Personnellement je trouve qu’elle écrit plutôt bien, c’est même un aspect de son travail qui ne m’a jamais posé de problème, mais soit : c’est un point de vue très subjectif. Néanmoins, cela me semble inexact : Christine Angot n’a pas une écriture moche. Elle a une écriture sèche, violente et, pour tout dire, souvent désagréable – nuance. Pour le reste… il est vrai qu’un écrivain n’est jamais égocentrique, et il est indéniable qu’avant Angot personne n’avait jamais eu l’idée de faire de sa vie son œuvre et inversement. Vous voyez : finalement ces reproches sont un peu curieux, réversibles, même. Je trouve tout de même assez dingue qu’en 2007 on puisse encore considérer que quelqu’un racontant une vie même chiante dans un bouquin n’ait pas le droit d’avoir du talent. Mais à l’inverse, je trouve tout aussi dingues les quelques illuminés se prosternant devant des livres dont la qualité pour certains paraît franchement très relative, et dont presque tous renferment des passages abrutissants au long desquels elle répète quatorze fois la même chose en variant juste la ponctuation ou la syntaxe. Christine Angot n’est pas du tout un grand écrivain, son écriture monomaniaque parle contre cette idée, elle est écrasée par des influences transparentes et L’Inceste n’a jamais mérité qu’on en parle autant, c’est un de ses bouquins les moins réussis (son meilleur, Sujet Angot, étant celui d’avant et personne n’en parle jamais, ce doit être un de ses moins connus - le buzz n'était pas encore là ma p'tite dame). Bref, les deux points de vue antithétiques m’intéressent d’autant moins que je trouve les arguments, des deux côtés, assez peu légitimes. En revanche, ça me permet de grands moments de rigolade lorsque je feuillette la presse, puisque quel que soit l’article sur le sujet je sais d’avance que je ne vais pas être d’accord.
Venons-en à ces Autres, donc, cinquième roman de ladite Christine Angot, qui parle… des autres ! A l’époque, l’auteure ne cherchait pas des titres tordus genre Pourquoi le Brésil ?, elle en prenait des simples, des titres qui annonçaient la couleur, programmatiques s'il en est. Christine Angot qui parle des autres, ça peut laisser pantois… moi-même j’ignorais l’existence de ce tout petit roman, qui pour le coup n’a pas grand-chose d’autobiographique puisque quasiment tout est à la troisième personne, et désigne moins des personnages que des stéréotypes (on ne s'en étonnera pas outre-mesure, puisque même lorsqu'elle parle de gens qui existent vraiment, leurs caractéristiques romanesques excèdent rarement "Il est sympa"/"Elle est chiante"/"Je l'aime bien"). Nous sommes dans la droite ligne de Sujet Angot (sorti peu après) : à cette époque (1997-98), l’auteure semble en passe de s’intéresser à autre chose, de partir vers d’autres horizons… logiquement, après Les Autres, Sujet Angot aurait dû être son dernier livre autobiographique. Pourquoi y est-elle revenue après, elle seule le sait. Peut-être ne pouvait-elle pas faire autrement. A voir ses rares incursions dans la fiction (paraît-il) pure (Les Désaxés), on peut tout à fait penser qu’elle ne sait pas faire…
Ainsi Les Autres ne parle-t-il pas de Christine Angot, mais pas de panique : rien ne ressemble plus à un roman de Christine Angot qu’un autre roman de Christine Angot (ça s’appelle avoir sa patte... ce n’est pas vraiment condamnable, mais c’est sûr que ça rend rarement surprenant). Dans celui-ci, l’auteure semble non pas épingler les autres… plutôt les chercher, les poursuivre, en vain évidemment. Elle confond les noms, fusionne les anecdote, son écritures est encore plus chaotique qu’à l’accoutumée ; à certains moments on ne sait même plus de quoi elle parle, puis on retrouve le fil, on le reperd… le travail formel sur ce roman paraît réellement exceptionnel, quand bien même on n'y retrouve ni la poésie explosée de Sujet… ni l’humour pince-sans-rire de Quitter la ville. L’ensemble est sec, brutal, carré et efficace. Le hic, c’est que la vie des autres paraît aussi chiante que celle d’Angot, ce qui est pour le moins emmerdant. En fait pour être précis elle s’intéresse principalement au cul des autres, selon cette vieille idée (pas totalement fausse d’ailleurs) qu’on en apprend beaucoup sur les gens en étudiant leur comportement sexuel. Sauf que justement : c’est froidement étudié. Les personnages (sans nom pour la plupart) sont de simples sujets de documentaire animalier, et rien n’est moins sensuel (on ne parlera même pas d’excitation) que ces descriptions froides, millimétrées, d’actes totalement désincarnés.
Ne pas confondre cependant avec La Vie Sexuelle de Catherine M. (livre dont l’invraisemblable succès lui vaut au demeurant d'être très sous-estimé)… Millet trouve ses descriptions glauques excitantes. Ce n’est pas le cas de Christine Angot : sa démarche est volontaire, renvoyant à un objectif un peu difficile à cerner mais qui n’a à l’évidence rien à voir avec le désir. Il y a ici une idée implicite développée par Angot : un aveu d’impuissance. Les autres, finalement, elle est incapable d’en parler. Même avec la meilleure volonté du monde, même en s’y intéressant sincèrement. Elle ne parvient pas à s’évader de sa propre sphère, à tout le moins en littérature. Les Autres donne donc une excellente définition de son œuvre. De ce point de vue, il est une vraie réussite. Après tout, un livre peut atteindre parfaitement les objectifs fixés par l’auteur tout en charriant un plaisir de lecture parfois relatif.
Les auteurs extrêmes provoquent des réactions extrêmes, Christine Angot en est un bel exemple. La diversité d’appréciations qu’elle suscite est finalement conforme à l’image que ses bouquins renvoient, de fait il n’y a pas avec elle de juste milieu : les uns détestent, les autres crient au génie – les deux camps partageant le même manque d’objectivité flagrant dû à une mise en abyme plus ou moins volontaire : à force de marteler que ses livres étaient elle, Angot a fini par être plus régulièrement jugée sur sa personne que sur ses qualités littéraires. Elle a certes joué avec le feu ; cela n'excuse rien. Il m’amuse toujours de lire les articles consacrés à cette auteure, puisque j’y trouve souvent des avis particulièrement emportés sans véritable raison.
Que lui reprochent ses détracteurs (violents, soit, mais pas plus que ses romans) ? De mal écrire, d’être égocentrique et de sortir des bouquins inintéressants parce qu’on s’en fout de sa vie – ce sont les trois axes principaux. Personnellement je trouve qu’elle écrit plutôt bien, c’est même un aspect de son travail qui ne m’a jamais posé de problème, mais soit : c’est un point de vue très subjectif. Néanmoins, cela me semble inexact : Christine Angot n’a pas une écriture moche. Elle a une écriture sèche, violente et, pour tout dire, souvent désagréable – nuance. Pour le reste… il est vrai qu’un écrivain n’est jamais égocentrique, et il est indéniable qu’avant Angot personne n’avait jamais eu l’idée de faire de sa vie son œuvre et inversement. Vous voyez : finalement ces reproches sont un peu curieux, réversibles, même. Je trouve tout de même assez dingue qu’en 2007 on puisse encore considérer que quelqu’un racontant une vie même chiante dans un bouquin n’ait pas le droit d’avoir du talent. Mais à l’inverse, je trouve tout aussi dingues les quelques illuminés se prosternant devant des livres dont la qualité pour certains paraît franchement très relative, et dont presque tous renferment des passages abrutissants au long desquels elle répète quatorze fois la même chose en variant juste la ponctuation ou la syntaxe. Christine Angot n’est pas du tout un grand écrivain, son écriture monomaniaque parle contre cette idée, elle est écrasée par des influences transparentes et L’Inceste n’a jamais mérité qu’on en parle autant, c’est un de ses bouquins les moins réussis (son meilleur, Sujet Angot, étant celui d’avant et personne n’en parle jamais, ce doit être un de ses moins connus - le buzz n'était pas encore là ma p'tite dame). Bref, les deux points de vue antithétiques m’intéressent d’autant moins que je trouve les arguments, des deux côtés, assez peu légitimes. En revanche, ça me permet de grands moments de rigolade lorsque je feuillette la presse, puisque quel que soit l’article sur le sujet je sais d’avance que je ne vais pas être d’accord.
Venons-en à ces Autres, donc, cinquième roman de ladite Christine Angot, qui parle… des autres ! A l’époque, l’auteure ne cherchait pas des titres tordus genre Pourquoi le Brésil ?, elle en prenait des simples, des titres qui annonçaient la couleur, programmatiques s'il en est. Christine Angot qui parle des autres, ça peut laisser pantois… moi-même j’ignorais l’existence de ce tout petit roman, qui pour le coup n’a pas grand-chose d’autobiographique puisque quasiment tout est à la troisième personne, et désigne moins des personnages que des stéréotypes (on ne s'en étonnera pas outre-mesure, puisque même lorsqu'elle parle de gens qui existent vraiment, leurs caractéristiques romanesques excèdent rarement "Il est sympa"/"Elle est chiante"/"Je l'aime bien"). Nous sommes dans la droite ligne de Sujet Angot (sorti peu après) : à cette époque (1997-98), l’auteure semble en passe de s’intéresser à autre chose, de partir vers d’autres horizons… logiquement, après Les Autres, Sujet Angot aurait dû être son dernier livre autobiographique. Pourquoi y est-elle revenue après, elle seule le sait. Peut-être ne pouvait-elle pas faire autrement. A voir ses rares incursions dans la fiction (paraît-il) pure (Les Désaxés), on peut tout à fait penser qu’elle ne sait pas faire…
Ainsi Les Autres ne parle-t-il pas de Christine Angot, mais pas de panique : rien ne ressemble plus à un roman de Christine Angot qu’un autre roman de Christine Angot (ça s’appelle avoir sa patte... ce n’est pas vraiment condamnable, mais c’est sûr que ça rend rarement surprenant). Dans celui-ci, l’auteure semble non pas épingler les autres… plutôt les chercher, les poursuivre, en vain évidemment. Elle confond les noms, fusionne les anecdote, son écritures est encore plus chaotique qu’à l’accoutumée ; à certains moments on ne sait même plus de quoi elle parle, puis on retrouve le fil, on le reperd… le travail formel sur ce roman paraît réellement exceptionnel, quand bien même on n'y retrouve ni la poésie explosée de Sujet… ni l’humour pince-sans-rire de Quitter la ville. L’ensemble est sec, brutal, carré et efficace. Le hic, c’est que la vie des autres paraît aussi chiante que celle d’Angot, ce qui est pour le moins emmerdant. En fait pour être précis elle s’intéresse principalement au cul des autres, selon cette vieille idée (pas totalement fausse d’ailleurs) qu’on en apprend beaucoup sur les gens en étudiant leur comportement sexuel. Sauf que justement : c’est froidement étudié. Les personnages (sans nom pour la plupart) sont de simples sujets de documentaire animalier, et rien n’est moins sensuel (on ne parlera même pas d’excitation) que ces descriptions froides, millimétrées, d’actes totalement désincarnés.
Ne pas confondre cependant avec La Vie Sexuelle de Catherine M. (livre dont l’invraisemblable succès lui vaut au demeurant d'être très sous-estimé)… Millet trouve ses descriptions glauques excitantes. Ce n’est pas le cas de Christine Angot : sa démarche est volontaire, renvoyant à un objectif un peu difficile à cerner mais qui n’a à l’évidence rien à voir avec le désir. Il y a ici une idée implicite développée par Angot : un aveu d’impuissance. Les autres, finalement, elle est incapable d’en parler. Même avec la meilleure volonté du monde, même en s’y intéressant sincèrement. Elle ne parvient pas à s’évader de sa propre sphère, à tout le moins en littérature. Les Autres donne donc une excellente définition de son œuvre. De ce point de vue, il est une vraie réussite. Après tout, un livre peut atteindre parfaitement les objectifs fixés par l’auteur tout en charriant un plaisir de lecture parfois relatif.
✋ Les Autres
Christine Angot | Stock, 1997