dimanche 1 avril 2007

Bleu poussière - I'm Deranged...

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La vie de personnage de roman n’est franchement pas marrante. Le narrateur antihéros de Bleu poussière pourrait en témoigner, qui en plus d’être affublé d’un patronyme bien difficile à porter (Ladislas) se retrouve catapulté au lendemain d’une cuite mémorable dans un monde qui n’est pas le sien, tout en lui ressemblant étrangement. Dans cette dimension semble-t-il parallèle, le brave Ladislas n’existe tout simplement pas. Ou, plus précisément, il existe sous une autre identité : celle de Kaël Tallas (autant dire que s’il espérait se réincarner le corps d’un mec au nom moins ridicule c’est un foirage total). Seul et perdu au milieu de ce monde terrifiant et aseptisé (terrifiant parce qu’aseptisé !) il se lance à la recherche de l’identité de Tallas (la sienne ?) espérant ainsi pouvoir, peut-être, repartir chez lui… sans savoir qu’il vient (évidemment) de mettre le doigt dans un engrenage qui l’entraînera aux confins de lui-même…

Remarquable petit roman d’anticipation, Bleu poussière est tout à fait le genre de livre qu’on avale en quelques heures, de ces thrillers cauchemardesques et idéalement rythmés. C’est également (ce qui ne gâte rien) une réflexion habile (et horriblement incisive) sur notre société contemporaine de plus en plus répressive, clean et sans tache… le tout le monde il est beau n’est plus très loin, et Jennifer D. Richard le souligne avec d’autant plus de force qu’elle contourne habilement la tentation du didactisme à laquelle cèdent si souvent les auteurs SF… peut-être justement parce qu’elle n’est pas une auteure SF. Autant le dire, puisque ça se voit : notre auteure ne s’encombre que rarement des clichés du roman d’anticipation, se montre plus inventive que les trois quarts de ses spécialistes (les cellules du rêve, tout de même, foutue trouvaille) et puise sans complexe dans tous les genres (son roman revêtant par moments un côté thriller identitaire à la The Bourne Indentity, voire à la XIII – ce qui est en fait pareil puisque XIII est inspiré du roman de Ludlum, enfin bref : on s’est compris). J’y ai même décelé à plusieurs reprises une veine burlesque assez charmante, puisque venant dédramatiser une intrigue au demeurant poisseuse et étouffante. Au final la thèse se rapproche plus de celles de Bruckner dans L’Euphorie Perpétuelle ou de l’univers flippant développé par Bowie dans 1.Outside : the Nathan Adler’s Diary que de l’inénarrable (et franchement soûlant) Orwell, ce qui n’est pas plus mal : les différents sens de lecture se complètent idéalement, laissant place aussi bien à une lecture ludique et divertissante qu’à une autre plus attentive et cérébrale… en gros, tous les types de lecteurs y trouveront leur compte. Je sais ce que vous vous dites : cette dernière assertion définit en fait tout bon roman qui se respecte. Que voulez-vous que je vous réponde ? Il semblerait qu’il n’y ait pas que des bons romans (ou bien alors qu’ils ne se respectent pas).

Du reste tout n’est bien sûr pas parfait dans Bleu poussière, il serait idiot de prétendre le contraire. Un premier roman est un premier roman, on ne trouvera donc pas plus ou moins d’imperfections dans celui-ci que dans n’importe quel autre. Cependant, entre nous, vous savez vers quel monde on va à trop chercher la perfection à tout prix ? …non ? Eh bien raison de plus pour lire Bleu poussière.


👍 Bleu poussière, ou la véritable histoire de Kaël Tallas 
Jennifer D. Richard | Robert Laffont, 2007