...
« … si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n’aurais pas écrit en vain, n’est-ce pas ? »
Tout est – déjà – dit dans ce bref passage. A dire vrai, je me suis fait la réflexion en lisant ce livre qu’il était possible d’en faire un commentaire très complet rien qu’en citant quelques passages bien choisis. C’est dire si Ô vous, frères humains est un livre fort se suffisant à lui-même.
Comme souvent plus conteur qu’auteur ou narrateur, Albert Cohen relate ici avec simplicité et force la manière (d’autant plus sordide et violente que somme toute horriblement banale) dont il fut confronté à la haine antisémite le jour de ses dix ans. Meurtri et humilié, il ruminera sa rage jusqu’à l’étouffement – et enfin jusqu’à ce matin de 1972 où il acceptera de prendre la parole (littéralement - ce livre a été dicté) pour raconter la haine ordinaire à ses frères humains.
D’abord touché dans son âme d’enfant, traumatisé comme on s’en doute, il prend la fuite :
« Et je suis parti, éternelle minorité, le dos soudain courbé et avec une habitude de sourire sur la lèvre, je suis parti, à jamais banni de la famille humaine, sangsue du pauvre monde et mauvais comme la gale, je suis parti sous les rires de la majorité satisfaite, braves gens qui s’aimaient de détester ensemble, niaisement communiant en un ennemi commun, l’étranger, je suis parti, gardant mon sourire, affreux sourire tremblé, sourire de la honte. »
… il fuit et s’interroge, effaré et perplexe : pourquoi cette France qu’il aime tant le rejette-t-elle lui, un enfant, lui, si jeune, si simple, si doux ?... Il erre et la voix de Cohen narre cette errance avec le souffle surpuissant des colères trop longtemps contenues. Plus que jamais le ton prêche et Albert Cohen harangue ses contemporains, on l’imagine debout, éructant… l’écriture se tort et le texte revêt un côté scandé, incantatoire. Quasi biblique, en fait. Ce qui pourrait agacer mais sied finalement très bien à ce petit roman autobiographique où Cohen transcende le plus navrant des faits divers pour lui conférer une dimension universelle.
Ou comment faire tenir un roman sur un seul et unique événement, et quasiment rien d’autre. Un événement suffisamment fort et traumatisant pour conditionner non seulement le texte et non seulement les jours suivants l’agression, mais aussi la vie entière d’un homme. Car au-delà de la question antisémite Cohen brosse ici avec virtuosité le portrait de n’importe quelle humiliation ségrégationniste et de ses effets dévastateurs sur l’âme humaine. Avec un souffle comme on en voit peu, il vient délivrer un message vital, comme ses mots, comme son livre.
Albert, vos frères humains vous remercient.
« … si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n’aurais pas écrit en vain, n’est-ce pas ? »
Tout est – déjà – dit dans ce bref passage. A dire vrai, je me suis fait la réflexion en lisant ce livre qu’il était possible d’en faire un commentaire très complet rien qu’en citant quelques passages bien choisis. C’est dire si Ô vous, frères humains est un livre fort se suffisant à lui-même.
Comme souvent plus conteur qu’auteur ou narrateur, Albert Cohen relate ici avec simplicité et force la manière (d’autant plus sordide et violente que somme toute horriblement banale) dont il fut confronté à la haine antisémite le jour de ses dix ans. Meurtri et humilié, il ruminera sa rage jusqu’à l’étouffement – et enfin jusqu’à ce matin de 1972 où il acceptera de prendre la parole (littéralement - ce livre a été dicté) pour raconter la haine ordinaire à ses frères humains.
D’abord touché dans son âme d’enfant, traumatisé comme on s’en doute, il prend la fuite :
« Et je suis parti, éternelle minorité, le dos soudain courbé et avec une habitude de sourire sur la lèvre, je suis parti, à jamais banni de la famille humaine, sangsue du pauvre monde et mauvais comme la gale, je suis parti sous les rires de la majorité satisfaite, braves gens qui s’aimaient de détester ensemble, niaisement communiant en un ennemi commun, l’étranger, je suis parti, gardant mon sourire, affreux sourire tremblé, sourire de la honte. »
… il fuit et s’interroge, effaré et perplexe : pourquoi cette France qu’il aime tant le rejette-t-elle lui, un enfant, lui, si jeune, si simple, si doux ?... Il erre et la voix de Cohen narre cette errance avec le souffle surpuissant des colères trop longtemps contenues. Plus que jamais le ton prêche et Albert Cohen harangue ses contemporains, on l’imagine debout, éructant… l’écriture se tort et le texte revêt un côté scandé, incantatoire. Quasi biblique, en fait. Ce qui pourrait agacer mais sied finalement très bien à ce petit roman autobiographique où Cohen transcende le plus navrant des faits divers pour lui conférer une dimension universelle.
Ou comment faire tenir un roman sur un seul et unique événement, et quasiment rien d’autre. Un événement suffisamment fort et traumatisant pour conditionner non seulement le texte et non seulement les jours suivants l’agression, mais aussi la vie entière d’un homme. Car au-delà de la question antisémite Cohen brosse ici avec virtuosité le portrait de n’importe quelle humiliation ségrégationniste et de ses effets dévastateurs sur l’âme humaine. Avec un souffle comme on en voit peu, il vient délivrer un message vital, comme ses mots, comme son livre.
Albert, vos frères humains vous remercient.
👍👍👍 Ô vous, frères humains
Albert Cohen | Folio, 1972