[Mes disque à moi (et rien qu'à moi) - N°68]
Ride the Lightning - Metallica (1984)
Il est temps de tomber le masque : oui, je suis un metalhead. Repenti par la force des choses : mes cheveux sont tombés et mon estomac supporte de moins en moins la bière. Mais j’en ai gardé encore un peu sous le collier, et parmi mes groupes préférés on trouve rien moins que Metallica – le groupe qui fit rebaptiser le hard-rock en metal.
De Metallica, j’aime tout, ou pas loin. Y compris le dernier album unanimement détesté, ce qui j’imagine me disqualifie d’office pour parler du groupe objectivement. Même Load ne me déplaît pas autant qu’à d’autres – c’est vous dire si je suis mal placé pour formaliser ce concept bizarre nommé « journalisme objectif » (on ne rit pas, certains pensent sincèrement que cela existe, voire même ç’a un intérêt). D’ailleurs je suis pleinement d’accord avec Sa Majesté Trent Reznor, qui qualifia autrefois Metallica de « Stones de leur génération ».
Ride the Lightning est le second opus du groupe mythique de Los Angeles, autant dire le premier : sur cet album complexe et soniquement impressionnant (1984, tout de même !) le groupe dit (déjà) adieu au Thrash de la Bay Area dont il fut le fer de lance… pour se lancer dans un heavy-metal autrement plus foisonnant et ambitieux, pétri de ces enluminures (soli, cassures rythmiques, élans héroïques) qui constitueront dès lors sa marque de fabrique. Sous l’impulsion de Cliff Burton, bassiste et maestro du collectif, Metallica se plonge dans des compositions autant influencées par le classique que par Iron Maiden (et qui seront plus tard magnifiées sur le double symphonique, unique exercice de ce type réussi dans toute l’histoire du rock). Sacré Burton, tout de même : en décédant tragiquement à l'automne 1986, le gaillard, qui loin de passer pour un génie avait tout du metalhead chevelu et crado, est entré dans la légende… alors qu’il aurait plutôt fallu retenir son attrait pour les autres genres musicaux, la diversité de ses goûts et de ses compositions, l’intensité de son jeu…etc. Sans lui, il est probable que Metallica n’eût été qu’un vague ersatz de Motörhead ou Judas Priest. Avec lui, le groupe s’est envolé, émancipé d’influences pas toujours de très bon goût et payé une part de liberté (ce qui n’a pas de prix lorsqu’on est un artiste populaire, c’est bien connu). Avec Burton à la direction artistique, la bande de hardos va justement cesser d’en être et sortir le metal de son ghetto… provoquant involontairement l’émergence d’une cohorte de clones sinistres et éfémisants, certes, mais entamant surtout une œuvre riche et unique en son genre.
Combattre le feu par le feu, Pour qui sonne le glas, La Mort rampante… les titres grondent, furieux et menaçants, mais comme l’a à juste titre fait remarquer G.T. dans les commentaires d'une précédente chronique consacrée à Slayer, l’agressivité de Metallica n’est jamais gratuite ni pure. Un peu comme un mec qui au lieu de mettre direct un pain dans la gueule d’un autre se sentirait obligé de se livrer à une chorégraphie à la Bruce Lee avant l’impact…
(Metallica et les Chevaliers du Zodiaque, même combat ?)
… en témoigne l’intro joyeusement mélancolique (et plus ou moins médiévale – combien de groupes de black metal s’en sont inspirés ?) précédant l’explosion binaire (mais jamais primaire) de « Fight Fire with Fire », ouverture tonitruante qui pourtant n’est rien en comparaison de ce qui va suivre. Extrêmement techniques et dotés (ce qui ne gâte rien) de textes aussi affûtés que les guitares, les morceaux de Ride the Lightning sont aussi puissants que mélodiques et avaient probablement déjà une dimension «classique » (au sens "qui marque son temps", bien sûr) dès leur publication en 1984… soit seulement un an après celle du premier album (Kill ’em All), ce qui laisse pantois tant l’évolution du groupe aura été importante durant ce bref laps de temps. Dotés de progressions harmoniques ambitieuses et léchées, « Ride the Lightning » et « The Call of Ktulu » auraient été impensables un an plus tôt non seulement chez les autres groupes thrash mais aussi chez Metallica lui-même ! C’est dire le travail fourni par Burton, co-signataire de la plupart des titres (alors qu’il n’avait écrit que le seul « Pulling Teeth » sur l’album d’avant).
Lourde et désarmante méditation sur le suicide, « Fade to Black » est sans doute le titre le plus emblématique de l’ensemble, tant dans la forme (construction pyramidale, soli chirurgicaux, montée en puissance lente donnant un sentiment d’irréversibilité) que dans le fond : tandis que tant ds groupes estampillés metal se perdent en conjectures pseudos-satanistes et autres conneries à la Connard Le Barbant, James Hetfield préfère se mettre pour la première fois à nu, dévoilant des états d’âmes et tourments intimes pas vraiment en vogue sur la scène metal de l’époque (le grunge et sa dépression quasi systématique n’apparaîtront officiellement qu’en 1987). Ce leader au registre vocal nettement plus varié que ceux de ses collègues, doublé d’un charisme bestial certain, deviendra d’ailleurs l’un des principaux points forts du groupe. Il ne manquera jamais d’exposer ses faiblesses et blessures avec parcimonie par la suite (« The God that Failed » et son éducation quasi janséniste sur le Black Album ; « St Anger », l’attrait de l’auto-destruction et l’alcoolisme sur l’album du même nom…).
En somme Ride the Lightning, album préféré des fans (à égalité avec le tout aussi grandiose Master of Puppets), a tout d’une référence. Non seulement parce que c’est un chef-d’œuvre dont quasiment tous les morceaux sont des classiques, mais aussi parce qu’il est l’œuvre d’un groupe courageux, bosseur, en un mot : libre. Et cet adjectif, "libre", est sans doute ce qui qualifie le mieux le groupe de James Hetfield & Co. Quoiqu’on pense de la musique jouée par Metallica aujourd’hui (ou un peu plus tôt : à partir des années 90), c’est celle d’un groupe qui fait ce qu’il veut, quand il veut, comme il le veut. Et qui, surtout, n’a pas attendu le succès interplanétaire de 1991 pour le faire.
Rien que ça, n’en déplaise aux aigris, force le respect.
Trois autres disques pour découvrir Metallica :
Master of Puppets (1986)
Metallica (1991)
S & M (live symphonique / 1999)