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Le projet est ambitieux, le résultat stupéfiant.
1940 : Charles A. Lindbergh, pionnier de l’aviation et héros national, inflige à Roosevelt une déculottée cinglante et devient le trente-troisième Président des Etats-Unis. Le peuple tout entier est à la fête et l’accueille tel le Messie, même si au loin la guerre gronde en Europe. Tout le peuple ? Non : à Newark, la communauté juive s’inquiète, s’offusque et s’emballe. Car les sympathies de Lindbergh pour le régime allemand sont de notoriété publique. N’a-t-il pas déclaré quelques années plus tôt que la politique d’autarcie menée par Hitler était l’une des plus brillantes actions économiques au monde ? Et cet antisémitisme sous-jacent durant tous ses discours de campagne ? Et ce projet de pacte de non-agression avec l’Allemagne, dont la rumeur inonde déjà les rues de New York au lendemain de l’investiture ?...
Au milieu de cette agitation, le petit Philip Roth observe, spectateur impuissant de la lâcheté de ses concitoyens et des divisions de sa communauté. Eh oui : Philip Roth lui-même, comme dans Operation Shylock. Et quand Philip Roth prend la peine de se mettre en scène en personne, cela promet en général un roman sulfureux, satirique et décomplexé…
The Plot Against America, pourtant, est encore mieux que ça : l’auteur use de ce parti pris entre uchronie criante de vérité et politique-fiction acerbe pour renvoyer l’Amérique à ses propres démons, voire à son côté obscur. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, en effet, le peuple américain vit convaincu d’être passé totalement au travers de l’antisémitisme (et donc, par extension, du nazisme)… ce qui est bien loin d’être vrai, prend la peine de rappeler l’auteur d’ I Married a Communist. Et ce dernier de se lancer dans une vaste entreprise de (dés)intoxication, alternant avec bonheur (et une exceptionnelle maîtrise) chroniques new-yorkaises, élans guerriers, évènements historiques oubliés ou factices, et discussions politiques animées…
En somme Philip Roth prêche le faux pour faire rejaillir le vrai dans un exercice littéraire ô combien délicat, dont il sort haut la main (même si la dimension « humaine » de ses personnages pourra paraître moins puissante que dans d’autres romans, I Married a Communist ou The Human Stain - pour ne citer que les chefs-d’œuvres). Pari osé, et pari relevé : on vibre tout du long avec la famille Roth et son voisinage, comme dans un thriller enlevé. On tremble des mêmes peurs que Sarah ou Philip, on s’émeut du destin d’Alvin, on partage la révolte de Sandy… le tout les yeux levés vers la Maison Blanche et son curieux occupant, ce Monsieur Le President Lindbergh qui semble perpétuellement comploter contre le pays qui l’a porté aux nues. Disparue, la portée messianique du personnage : une fois élu, Lindbergh a tombé le masque et s’est lancé dans une politique de ségrégation et d’extension guerrière qui, allez savoir pourquoi, semble étonnamment familière.
La bonne nouvelle, c’est que si les opinions politiques de Lindbergh penchaient effectivement du côté du IIIème Reich, l’aviateur a eu l’intelligence de refuser de se présenter aux élections, arguant qu’il préférait émettre ses réflexions politiques en tant que simple citoyen (d’aucuns diront que ce fut la seule bonne idée de sa vie).
La nouvelle plus inquiétante, c’est que de nombreux dignitaires dans l’entourage présidentiel ont réellement tenté de l’amener à la Maison Blanche, convaincus qu’il était plus que dans l’intérêt des États-Unis de collaborer avec les Allemands – et que l’Europe pouvait se débrouiller toute seule, après tout… De quoi jeter un voile relativement obscur sur la patrie des libérateurs…
Le projet est ambitieux, le résultat stupéfiant.
1940 : Charles A. Lindbergh, pionnier de l’aviation et héros national, inflige à Roosevelt une déculottée cinglante et devient le trente-troisième Président des Etats-Unis. Le peuple tout entier est à la fête et l’accueille tel le Messie, même si au loin la guerre gronde en Europe. Tout le peuple ? Non : à Newark, la communauté juive s’inquiète, s’offusque et s’emballe. Car les sympathies de Lindbergh pour le régime allemand sont de notoriété publique. N’a-t-il pas déclaré quelques années plus tôt que la politique d’autarcie menée par Hitler était l’une des plus brillantes actions économiques au monde ? Et cet antisémitisme sous-jacent durant tous ses discours de campagne ? Et ce projet de pacte de non-agression avec l’Allemagne, dont la rumeur inonde déjà les rues de New York au lendemain de l’investiture ?...
Au milieu de cette agitation, le petit Philip Roth observe, spectateur impuissant de la lâcheté de ses concitoyens et des divisions de sa communauté. Eh oui : Philip Roth lui-même, comme dans Operation Shylock. Et quand Philip Roth prend la peine de se mettre en scène en personne, cela promet en général un roman sulfureux, satirique et décomplexé…
The Plot Against America, pourtant, est encore mieux que ça : l’auteur use de ce parti pris entre uchronie criante de vérité et politique-fiction acerbe pour renvoyer l’Amérique à ses propres démons, voire à son côté obscur. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, en effet, le peuple américain vit convaincu d’être passé totalement au travers de l’antisémitisme (et donc, par extension, du nazisme)… ce qui est bien loin d’être vrai, prend la peine de rappeler l’auteur d’ I Married a Communist. Et ce dernier de se lancer dans une vaste entreprise de (dés)intoxication, alternant avec bonheur (et une exceptionnelle maîtrise) chroniques new-yorkaises, élans guerriers, évènements historiques oubliés ou factices, et discussions politiques animées…
En somme Philip Roth prêche le faux pour faire rejaillir le vrai dans un exercice littéraire ô combien délicat, dont il sort haut la main (même si la dimension « humaine » de ses personnages pourra paraître moins puissante que dans d’autres romans, I Married a Communist ou The Human Stain - pour ne citer que les chefs-d’œuvres). Pari osé, et pari relevé : on vibre tout du long avec la famille Roth et son voisinage, comme dans un thriller enlevé. On tremble des mêmes peurs que Sarah ou Philip, on s’émeut du destin d’Alvin, on partage la révolte de Sandy… le tout les yeux levés vers la Maison Blanche et son curieux occupant, ce Monsieur Le President Lindbergh qui semble perpétuellement comploter contre le pays qui l’a porté aux nues. Disparue, la portée messianique du personnage : une fois élu, Lindbergh a tombé le masque et s’est lancé dans une politique de ségrégation et d’extension guerrière qui, allez savoir pourquoi, semble étonnamment familière.
La bonne nouvelle, c’est que si les opinions politiques de Lindbergh penchaient effectivement du côté du IIIème Reich, l’aviateur a eu l’intelligence de refuser de se présenter aux élections, arguant qu’il préférait émettre ses réflexions politiques en tant que simple citoyen (d’aucuns diront que ce fut la seule bonne idée de sa vie).
La nouvelle plus inquiétante, c’est que de nombreux dignitaires dans l’entourage présidentiel ont réellement tenté de l’amener à la Maison Blanche, convaincus qu’il était plus que dans l’intérêt des États-Unis de collaborer avec les Allemands – et que l’Europe pouvait se débrouiller toute seule, après tout… De quoi jeter un voile relativement obscur sur la patrie des libérateurs…
👍👍👍 The Plot Against America [Le Complot contre l'Amérique]
Philip Roth | Vintage, 2004