[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°67]
Revolver - The Beatles (1966)
Quand vous sélectionnez un album des Beatles, c’est bien simple : vous n’avez même pas besoin d’en parler. Vous pouvez toujours essayer, mais la plupart du temps vous devrez préalablement passer deux heures à expliquer pourquoi vous avez choisi celui-ci. Qu’il s’agisse de Revolver ou d’un autre, ça n’a strictement aucune importance.
Lorsque j’ai eu mon premier lecteur CDs, aux alentours de 1990, une tante eut l’idée saugrenue de m’offrir comme premier disque Please Please Me – premier opus des Scarabées de Liverpool. Autant vous dire que j’ai détesté avec toute la force de mes neuf ans. Je n’avais aucune envie d’écouter ce genre de musique, je trouvais ça vieux et pauvre, et je n’avais pas vraiment tort puisqu’aujourd’hui encore je considère Please Please Me comme un disque totalement dispensable, vieux et pauvre au regard du reste de l’œuvre des Beatles. A cause de ce cadeau j’ai bien failli ne jamais écouter les Beatles, et franchement j’aurais loupé quelque chose puisqu’aujourd’hui c’est un de mes groupes préférés.
Car oui : j’adore les Beatles. Ca devient rare de nos jours, où il est de bon temps de cracher sur les Fabs sans véritable raison sinon un snobisme généralement latent. Ne pas s’y tromper : un amateur de pop et de rock qui prétend ne pas aimer les Beatles, c’est un peu comme un auditeur de classique qui honnirait Mozart. Les Beatles sont incontournables, et on ne peut même pas dire au mec qu’il n’y connaît rien, parce que justement s’il n’y connaissait rien il vénèrerait Lennon et Macca sans se prendre le chou plus avant. Autant poser les choses clairement : pas de Beatles, pas de pop. Inutile de palabrer pendant des heures, et pitié que personne ne vienne ici dire que les Kinks étaient meilleurs – je n’ai pas envie de me fâcher contre mes lecteurs. D’ailleurs les Kinks ont été très brièvement meilleurs, on ne peut pas le leur enlever. Simplement pile au moment où ils ont commencé à se répéter un poil les Beatles publièrent coup sur coup Help !, Rubber Soul et Revolver, propulsant la pop-music dans des sphères jamais égalées à ce jour.
Revolver, donc, on y vient, fut mon second disques des Beatles – le premier que j’aimai. Tout bêtement. Cela justifie sa présence ici, mais s’il vous faut d’autres justifications je veux bien en chercher une ou deux : il occupe une place centrale dans la discographie du groupe (septième album) comme dans son histoire (c’est le premier publié après leurs adieux à la scène), contient leur plus belle chanson méconnue (« For No One » - une de McCartney comme de juste), renferme le chef-d’œuvre hindi de Harrison (« Love You to »), n’a pas pris une ride… voilà qui devrait suffire, non ?
Cocktail d’influences diverses et variées, Revolver me semble en fait être le premier album absolument abouti des Beatles (quand bien même les deux précédents offraient déjà leur lot de de pépites). Celui où réellement ils ne ressemblent à rien d’autre, innovent à chaque nouveau titre tout en restant parfaitement pop et audibles – soit donc l’inverse de la tendance actuelle voulant que la pop soit scindées en deux camps : d’un côté la pop old-school et de l’autres les expérimentateurs chiantos (suivez mon regard, ou plutôt mes regards, tant ces cloportes sans envergure sont nombreux). A la décharge des groupes pop actuels, tout le monde n’est pas Paul McCartney, tout le monde ne peut pas tutoyer la grâce le temps d’un « Here, There & Everywhere » aux accents de berceuse ultime, tout le monde n’est pas capable de brosser une rythmique chaloupée comme celle de « Taxman » et tout le monde n’a pas la capacité de claquer un truc aussi fulgurant qu’ « Eleanor Rigby ». Soit. On est d’accord. Il n’empêche : quarante-et-un ans après, écouter Revolver donne envie d’assassiner les Travis (d’ailleurs il y en a un qui est mort il y a quelques années, je ne serais pas surpris que le fantôme de John y soit pour quelque chose).
Là je joue peut-être les jeunes vieux cons (quoique cogner sur Travis soit, je l’avoue, à la portée de n’importe quel être humain doté d’oreilles), mais Revolver est une parfaite illustration à l’argument selon lequel la modernité n’est pas une question d’époque. De même que For Your Pleasure de Roxy Music sera éternellement plus moderne et avant-gardiste que l’intégrale de Placebo, les guitares (re)doublées sur « And You Bird Can Sing » mettrons éternellement au tapis tous les The Good The Bad & The Queen de l’univers (ce avec trois fois moins de moyens), je n’y peux personnellement pas grand-chose. Même constat pour « She Said She Said », britrock survitaminé, définitivement plus puissant qu’un quinzaine de morceaux de The Police… là encore, c’est pas ma faute.
Avec « Yellow Submarine » et « Good Day, Sunshine », Revolver contient aussi deux des morceaux les plus honnis des Beatles. Si la première m’a toujours paru un peu poussive (il faut dire que je l’ai découverte en cinquième en cours de musique, ça n’aide pas à se tresser un point de vue objectif), la seconde se laisse avaler avec plaisir – je n’ai même jamais compris pourquoi tant de gens la détestaient (alors que les mêmes sont généralement tout fous lorsqu’ils entendent « Love Is All » de Roger Glover, pourtant dans le même style en franchement moins frais, puisque publiée des années plus tard). Peut-être que c’est comme ça, après tout… peut-être que les Beatles sont tellement bons qu’ils écoeurent tout le monde et que, du coup, toute personne écrivant sur un de leurs albums post-65 est contractuellement tenue de conchier un de leur tube ?... Ca ne m’étonnerait pas, après tout. Ces anglais, ils sont tout à fait capables d’imaginer un truc pareil. Ils adorent brûler le soir ce qu’ils ont adoré le matin, et même les Beatles n’y ont pas échappé. Sauf que les Beatles sont toujours parvenus à s’en remettre, un peu comme Mozart d’ailleurs, qui aurait logiquement dû être démodé il y a un bail… et ne l’a jamais été. Parce qu’ils dépassent largement le cadre de leur genre musical pour toucher à la Musique (avec un M majuscule) précisément à partir de cet album. En ce sens, Revolver est plus, infiniment plus qu'un disque : un voyage unique en son genre, gracieux et limpide comme les arpèges de Lennon et Harrison sur "I'm Only Sleeping". Ce n'est pas un album, c'est une oeuvre (terme ô combien galvaudé de nos jours) unique et inégalable. La preuve : les frères Gallagher essaient en vain de publier leur Revolver depuis quinze ans. Les fous... qu'on laisse les Beatles où ils sont, leur trône n'est pas près de vaciller. Ils règneront encore bien longtemps non seulement sur la pop et sur le rock, mais sur la musique - tout simplement. Rares sont les artistes à pouvoir en dire autant, vous en conviendrez. Il y a forcément une raison. Car non, le public n’a pas toujours tort.
Trois autres disques pour découvrir les Beatles :
Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967)
The Beatles (1968)
Abbey Road (1969)