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L’heure étant au revival, quoi de plus normal que l’on s’intéresse à nouveau à Magazine après avoir réédité à peu près tout et n’importe quoi s’approchant du post-punk ? C’est une suite logique, quand bien même on peut se demander pourquoi de toutes les pointures du genre Magazine est réédité en dernier alors qu’il fut chronologiquement le premier…
Il y aurait beaucoup à dire pour présenter le groupe, mais faisons court : Magazine est le groupe (pardon : le jouet) de Howard Devoto, ex tête pensante des Buzzcocks qui ne le resta pas longtemps. Si l’on raconte en général que Devoto a quitté ses copains après le premier album, la vérité est un poil différente : Real Life et Another Music in a Different Kitchen (le premier Buzz) sont parus la même année à un mois d’intervalle… et contiennent effectivement tous deux pléthore de pépites signées Devoto – c’est vous dire le génie. Nombre de thèses circulent quant aux raisons ayant motivé le départ de Devoto, aucune n’étant vraiment plus crédible que celle (assez laconique) d’une musique punk ennuyant beaucoup ce véritable esthète. Là où l’histoire est parfois amusante, c’est qu’on se rend compte en réécoutant aujourd’hui ce qui se faisait à l’époque qu’il n’y avait sans doute pas moins punk sur toute cette scène que les Buzzcocks (primo), qu’Another Music in a Different Kitchen détonne violemment avec les standards de la vague anglaise (Manchester oblige – secundo), et qu’enfin (tertio) le premier Buzzcocks et le premier Magazine ont en réalité pas mal de points communs. S’il y a chez les Buzzcocks une dynamique plus explosive et plus punk (quoique plus proche des travaux à venir des Pixies que du Clash), l’ambiance, le son et la prod des deux disques peuvent difficilement ne pas être rapprochés. Quoi de plus normal d’ailleurs puisque le premier opus (tout aussi indispensable) des Buzz renferme trois titres de Devoto dont « Fast Cars » – soit donc un de ses sommets ?
On peut cependant s’étonner de ces ressemblances alors même que Devoto prétendait publier un album rompant avec tous les clichés du rock… comme tout le monde à partir de la seconde moitié des années 70, en somme (de même qu’il est probable qu’à partir de 2007 tous les prochains candidats aux présidentielles voudront pratiquer la rupture). C’est un poncif s’étendant en gros de Roxy Music (principale influence de Devoto) à Radiohead (soit donc ses plus dignes héritiers, à tout le moins dans l’esthétique). Mais soit : Devoto humble ne serait pas vraiment Devoto. Car sous son apparente sobriété, le bonhomme est un dangereux psychopathe dont les exubérances, de Luxuria en ShelleyDevoto et autres disques solos, n’en finissent pas d’enchanter les jeunes piqueurs de plans.
L’austérité de ce premier album de Magazine serait-elle donc feinte ? Eh bien déjà, tout dépend ce qu’on nomme "austérité", car tous ces morceaux semblent disposer d’arrangements particulièrement riches. Comme souvent pour la new-wave, puisque c’est de cela qu’il s’agit même s’il paraît qu’en 2007 il ne faut plus dire le mot. C’est mieux de dire post-punk ou after-punk. Tant pis si c’est peu ou prou la même chose à quelques synthés près – or Devoto en la personne du redoutable Dave Formula a recruté le meilleur du genre. En fait, il a recruté les meilleurs tout courts, puisque se retrouvent dans les rangs de Real Life John McGeogh (futur maestro de Siouxsie & The Banshees) et Barry Adamson (futur alter-ego de Nick Cave au sein de Birthday Party puis des Bad Seeds). Le casting est un des grands point forts du disque, avec bien sûr les textes du maître des lieux, poétiques et déglingués, qu’il interprète de manière totalement théâtrale et pour tout dire : décadente (impossible, cela dit en passant, de ne pas penser à l’Iggy de The Idiot). Symbole de cette technique qu’on pourrait qualifier d’antirock : « Shot by Both Sides », premier 45 tours ici en plage 3, que fondamentalement rien ne différencie d’une compo punk « de base » (elle est d’ailleurs cosignée Pete Shelley, des Buzzcocks) mais que McGeogh passe à la moulinette pendant que Devoto lui inflige les pires outrages en l’interprétant de manière assez… euh… je vous laisse l’écouter, tirez-en vos propres conclusions !
Assez logiquement l’album est dans la même lignée que le single l’ayant précédé, en sans doute beaucoup plus "pop" (l’adjectif signifiant ici "mélodique" et non pas particulièrement "accessible"). Des compositions ambitieuses et tordues dont seul Howard Devoto a le secret (« My Tulpa », « Motorcade ») sur lesquelles Adamson, Formula, et surtout McGeogh déroulent façon Spiders From Mars (difficile de ne pas voir dans « Definitive Gaze » un hommage appuyé à « Hang on to Yourself » - pour mémoire ce morceau de Bowie concentre en trois minutes et des poussières tout ce qui fera le punk et donc par extension le post-punk). Soniquement très en avance sur son temps (il faudra attendre le virage atmospherico-pop de 1985-86 pour entendre de telles audaces de production chez Cure ou les Banshees), Real Life est également riche en hymnes puissants (« Shot by Both Sides » bien sûr mais aussi et surtout la ballade vénéneuse « Parade ») faisant la part belle aux délires vocaux d’un Devoto dont ce premier 33 tours est sans doute le sommet en tant que chanteur.
Il ne manquait donc pas grand chose à cet album pour faire un carton, ce qu’il ne sera cependant pas (Magazine, tout pionnier fût-il, n’aura jamais l’aura d’un Joy Division ou d’un Siouxsie & The Banshees, peut-être parce que trop décalé et ne se prenant pas assez au sérieux). Cette réédition pourrait être une bonne occasion de refaire l’histoire… à un détail près : pour une raison inexplicable, elle sonne parfois moins bien que l’originale (sur « The Light Pours out of Me », par exemple) ! Il faut dire que Real Life version vinyle n’a que peu vieilli – ceci explique peut-être cela ? En tout cas force est de reconnaître que l’album a désormais un son plus clinquant, comme s’il avait été surproduit alors que justement pas du tout… étrange. Ce qui au demeurant n’enlève rien à son statut de chef-d’œuvre, mais peut en revanche ouvrir le débat sur le bien fondé de certaines remasterisations… enfin, bref : Real Life est de nouveau disponible dans n’importe quel supermarché du disque, c’est le principal. A noter pendant qu’on y est que les deux albums suivants (l’excellent Secondhand Daylight – 1979 et le démentiel The Correct Use of Soap – 1981) sont également réédités cet an-ci… au cas où celui-ci serait épuisé (y a peu de chances mais pourquoi pas rêver d’un succès rétroactif ? Ce sera toujours mieux que Franz Ferdinand) vous pouvez donc sans problème vous rabattre sur un des deux autres (du moment que vous ne tombez pas sur l’atroce quatrième…). Plus qu’à espérer que cette vague de rééditions ne s’arrêtera pas là, le remarquable album solo de Devoto (Jerky Versions of the Dream) et les perles de Luxuria ou ShelleyDevoto étant indisponibles depuis bien trop longtemps.
L’heure étant au revival, quoi de plus normal que l’on s’intéresse à nouveau à Magazine après avoir réédité à peu près tout et n’importe quoi s’approchant du post-punk ? C’est une suite logique, quand bien même on peut se demander pourquoi de toutes les pointures du genre Magazine est réédité en dernier alors qu’il fut chronologiquement le premier…
Il y aurait beaucoup à dire pour présenter le groupe, mais faisons court : Magazine est le groupe (pardon : le jouet) de Howard Devoto, ex tête pensante des Buzzcocks qui ne le resta pas longtemps. Si l’on raconte en général que Devoto a quitté ses copains après le premier album, la vérité est un poil différente : Real Life et Another Music in a Different Kitchen (le premier Buzz) sont parus la même année à un mois d’intervalle… et contiennent effectivement tous deux pléthore de pépites signées Devoto – c’est vous dire le génie. Nombre de thèses circulent quant aux raisons ayant motivé le départ de Devoto, aucune n’étant vraiment plus crédible que celle (assez laconique) d’une musique punk ennuyant beaucoup ce véritable esthète. Là où l’histoire est parfois amusante, c’est qu’on se rend compte en réécoutant aujourd’hui ce qui se faisait à l’époque qu’il n’y avait sans doute pas moins punk sur toute cette scène que les Buzzcocks (primo), qu’Another Music in a Different Kitchen détonne violemment avec les standards de la vague anglaise (Manchester oblige – secundo), et qu’enfin (tertio) le premier Buzzcocks et le premier Magazine ont en réalité pas mal de points communs. S’il y a chez les Buzzcocks une dynamique plus explosive et plus punk (quoique plus proche des travaux à venir des Pixies que du Clash), l’ambiance, le son et la prod des deux disques peuvent difficilement ne pas être rapprochés. Quoi de plus normal d’ailleurs puisque le premier opus (tout aussi indispensable) des Buzz renferme trois titres de Devoto dont « Fast Cars » – soit donc un de ses sommets ?
On peut cependant s’étonner de ces ressemblances alors même que Devoto prétendait publier un album rompant avec tous les clichés du rock… comme tout le monde à partir de la seconde moitié des années 70, en somme (de même qu’il est probable qu’à partir de 2007 tous les prochains candidats aux présidentielles voudront pratiquer la rupture). C’est un poncif s’étendant en gros de Roxy Music (principale influence de Devoto) à Radiohead (soit donc ses plus dignes héritiers, à tout le moins dans l’esthétique). Mais soit : Devoto humble ne serait pas vraiment Devoto. Car sous son apparente sobriété, le bonhomme est un dangereux psychopathe dont les exubérances, de Luxuria en ShelleyDevoto et autres disques solos, n’en finissent pas d’enchanter les jeunes piqueurs de plans.
L’austérité de ce premier album de Magazine serait-elle donc feinte ? Eh bien déjà, tout dépend ce qu’on nomme "austérité", car tous ces morceaux semblent disposer d’arrangements particulièrement riches. Comme souvent pour la new-wave, puisque c’est de cela qu’il s’agit même s’il paraît qu’en 2007 il ne faut plus dire le mot. C’est mieux de dire post-punk ou after-punk. Tant pis si c’est peu ou prou la même chose à quelques synthés près – or Devoto en la personne du redoutable Dave Formula a recruté le meilleur du genre. En fait, il a recruté les meilleurs tout courts, puisque se retrouvent dans les rangs de Real Life John McGeogh (futur maestro de Siouxsie & The Banshees) et Barry Adamson (futur alter-ego de Nick Cave au sein de Birthday Party puis des Bad Seeds). Le casting est un des grands point forts du disque, avec bien sûr les textes du maître des lieux, poétiques et déglingués, qu’il interprète de manière totalement théâtrale et pour tout dire : décadente (impossible, cela dit en passant, de ne pas penser à l’Iggy de The Idiot). Symbole de cette technique qu’on pourrait qualifier d’antirock : « Shot by Both Sides », premier 45 tours ici en plage 3, que fondamentalement rien ne différencie d’une compo punk « de base » (elle est d’ailleurs cosignée Pete Shelley, des Buzzcocks) mais que McGeogh passe à la moulinette pendant que Devoto lui inflige les pires outrages en l’interprétant de manière assez… euh… je vous laisse l’écouter, tirez-en vos propres conclusions !
Assez logiquement l’album est dans la même lignée que le single l’ayant précédé, en sans doute beaucoup plus "pop" (l’adjectif signifiant ici "mélodique" et non pas particulièrement "accessible"). Des compositions ambitieuses et tordues dont seul Howard Devoto a le secret (« My Tulpa », « Motorcade ») sur lesquelles Adamson, Formula, et surtout McGeogh déroulent façon Spiders From Mars (difficile de ne pas voir dans « Definitive Gaze » un hommage appuyé à « Hang on to Yourself » - pour mémoire ce morceau de Bowie concentre en trois minutes et des poussières tout ce qui fera le punk et donc par extension le post-punk). Soniquement très en avance sur son temps (il faudra attendre le virage atmospherico-pop de 1985-86 pour entendre de telles audaces de production chez Cure ou les Banshees), Real Life est également riche en hymnes puissants (« Shot by Both Sides » bien sûr mais aussi et surtout la ballade vénéneuse « Parade ») faisant la part belle aux délires vocaux d’un Devoto dont ce premier 33 tours est sans doute le sommet en tant que chanteur.
Il ne manquait donc pas grand chose à cet album pour faire un carton, ce qu’il ne sera cependant pas (Magazine, tout pionnier fût-il, n’aura jamais l’aura d’un Joy Division ou d’un Siouxsie & The Banshees, peut-être parce que trop décalé et ne se prenant pas assez au sérieux). Cette réédition pourrait être une bonne occasion de refaire l’histoire… à un détail près : pour une raison inexplicable, elle sonne parfois moins bien que l’originale (sur « The Light Pours out of Me », par exemple) ! Il faut dire que Real Life version vinyle n’a que peu vieilli – ceci explique peut-être cela ? En tout cas force est de reconnaître que l’album a désormais un son plus clinquant, comme s’il avait été surproduit alors que justement pas du tout… étrange. Ce qui au demeurant n’enlève rien à son statut de chef-d’œuvre, mais peut en revanche ouvrir le débat sur le bien fondé de certaines remasterisations… enfin, bref : Real Life est de nouveau disponible dans n’importe quel supermarché du disque, c’est le principal. A noter pendant qu’on y est que les deux albums suivants (l’excellent Secondhand Daylight – 1979 et le démentiel The Correct Use of Soap – 1981) sont également réédités cet an-ci… au cas où celui-ci serait épuisé (y a peu de chances mais pourquoi pas rêver d’un succès rétroactif ? Ce sera toujours mieux que Franz Ferdinand) vous pouvez donc sans problème vous rabattre sur un des deux autres (du moment que vous ne tombez pas sur l’atroce quatrième…). Plus qu’à espérer que cette vague de rééditions ne s’arrêtera pas là, le remarquable album solo de Devoto (Jerky Versions of the Dream) et les perles de Luxuria ou ShelleyDevoto étant indisponibles depuis bien trop longtemps.
👑 Real Life
Magazine | Virgin, 1978