Deuxième partie de notre intégrale Nick Cave.
Si vous avez manqué le premier épisode, il est ICI
4. SAD WATERS : 1994 / 2002
Après avoir tué la période la plus dure de sa carrière, Nick Cave va emmener les Bad Seeds sur de nouveaux terrains de jeux, de plus en plus mélodiques mais aussi parallèlement de plus en plus sombres. Si une frange de son public va le laisser en plan à cette époque elle sera rapidement compensée par un auditoire immense constituant encore aujourd’hui l’essentiel de sa fan-base. Rarement artiste aura laissé se dessiner de manière aussi évidente deux grandes ères dans son œuvre : à partir de 1994, il y aura donc le Nick Cave rock d’un côté et le Nick Cave « crooner » de l’autre. Une scission définitive… croira-t-on en tout cas jusqu’au milieu des années 2000.
👑 Let Love in (Nick Cave & The Bad Seeds, 1994)
Énorme succès critique et public (son plus gros ?) à sa sortie, Let love in a très largement contribué à populariser Nick Cave auprès non seulement d’une nouvelle génération de fans, mais aussi d’auditeurs qui jusqu’alors n’auraient jamais supporté de l’écouter. Pourtant personne n’a jamais eu l’idée de le taxer de commercial, ce qui est pour le moins surprenant. Mais c’est peut-être justement le coup de génie des Bad Seeds : avoir réussi à publier un album totalement accessible et pas du tout mercantile ! Faire un tube d’une chanson aussi torturée (au propre comme au figuré) que « Do You Love Me? » relève du tour de force et ne peut qu’attirer respect et sympathie.
Musicalement l’album repousse encore les limites entre les genres et affiche une jolie diversité : ici une ballade annonciatrice des grandes chansons romantiques des années 2000 (« Nobody’s Baby Now »), là un titre quasi hardcore renouant avec la sauvagerie de Birthday Party (« Jangling Jack »)… et surtout, surtout, une ribambelle de titres totalement groovys… la basse lancinante qui tient la baraque, les guitares purement décoratives… aboutissent à deux des plus grandes chansons du collectif : « Loverman » et « Red Right Hand », calmes certes, mais à faire dresser les cheveux sur la tête.
En fait l’album semble suivre une courbe étonnante, se déconstruisant au fur et à mesure… un peu comme si les Bad Seeds, conscientes qu’elles s’éloignaient des fondamentaux, avaient souhaité illustrer leur mue. De fait la plupart des chansons abrasives ou juste rapides sont placées dans la première moitié de Let Love in, qui sombre progressivement dans la langueur et la mélancolie… jusqu’à l’hypnotique et fascinante « Ain’t Gonna Rain Anymore »… alors la musique s’élève à nouveau, avec « Lay Me, Low », quelque part entre le rock braillard et le gospel hanté, et enfin « Do You Love Me? (Part 2) », suite beaucoup plus contemplative au titre inaugural, qui referme l’album avec douceur et lyrisme… bref, en un mot comme en mille : Let Love in est un des grands disques indispensables de Nick Cave. Sinon Le.
👍👍👍 Murder Ballads (Nick Cave & The Bad Seeds, 1996)
Dylan désigna un jour son album Love & Theft comme un « Greatest Hits sans les hits ». Le qualificatif pourrait tout aussi bien s'appliquer à Murder Ballads tant il concentre en dix titres tous les thèmes (poétiques et musicaux) chers à son auteur. Dieu, la Mort et la Folie se sont filés rencard et s’éclatent comme des petits fous dans un album que certains crétins osèrent qualifier d’autoparodie tant les trois axes favoris de Cave y sont poussés à leur paroxysme.
Mais résumer ainsi Murder Ballads serait de toute façon aussi réducteur que de dire qu’il s’agit d’un disque à moitié composé de duos : les duos, le collectif, Nick Cave y a toujours attaché une importance farouche. Comment expliquer sinon qu’il n’ait tout simplement JAMAIS enregistré un seul disque sous son seul nom ? Vous pensez vraiment qu’il ne pourrait pas jouer tout seul comme un grand ? Certains en sont convaincus, idée d’autant plus inepte qui si l’on prend la peine de regarder les crédits on se rend compte que plus de 80 % du répertoire des Bad Seeds est l’œuvre du seul Nick Cave.
Il y a donc des duos (et encore pas tant que ça : trois, le reste est juste du featuring) avec PJ Harvey pour l’affreusement sexy « Henry Lee » et Kylie Minogue pour l’envoûtant « Where the Wild Roses Grow » - arbre immense cachant la forêt d’un album complexe dont la richesse harmonique est trop rarement soulignée. Pourtant dès l’ouverture, « Song of Joy » en impose (c’est probablement le morceau le plus sophistiqué, en terme d’arrangements, jamais enregistré par les Bad Seeds). Et que dire d’ « O'Malley’s Bar » ? Encore une chanson cabaret apocalyptique à mettre au crédit du groupe !
Du reste, il est indéniable que Murder Ballads se démarque assez peu, du strict point de vue musical, des autres disques : « Stagger Lee » et son groove n’auraient pas dépareillés sur Let Love in, « Crow Jane » la joue blues déglingué façon The Good Son… sauf que ces deux titres sont des chefs-d’œuvres, alors franchement peu importe. Non, la seule faute de goût (et encore) de cet album est à mon humble avis la reprise de « Death Is not the End » en final… non tant parce qu’elle est ratée que parce qu’on aurait aimé finir sur la déjante d’ « O'Malley’s Bar » !
👍👍👍 The Boatman’s Call (Nick Cave & The Bad Seeds, 1997)
Premier de la paire d’albums dépressifs de Nick Cave, The Boatman’s Call ferait presque figure d’œuvre légère à côté de No More Shall We Part. Il serait néanmoins dommage de passer à côté de ce disque qui, s’il pâtit un peu de la comparaison (évidente) avec son successeur n’en demeure pas moins un très très beau moment de poésie, de blues, de crooning – et tout ce que vous vous voudrez qui vous évoquera la beauté.
Car en dépit de quelques titres en peu en deça du niveau général et d’une relative monotonie, The Boatman’s Call renferme tout de même une poignée de chansons d’une incroyable intensité : impossible de résister à la rengaine de « People Ain’t No Good », à la langueur de « Brompton Oratory » et bien sûr à la beauté farouche d’ « Into My Arms » - une des plus belles chansons de Cave sans aucun doute. Le tout est servi avec un son chaud, feutré, des arrangements un peu celtiques parfois mais au sens noble du terme… et porté par la présence lumineuse de Warren Ellis qui, recruté pile au moment de la sortie de Murder Ballads, fait montre d’un talent exceptionnel. Dès lors, son violon éclairera chaque disque de Nick Cave (avec ou sans les Bad Seeds)…on ne peut que valider le coup de cœur du chanteur !
👍👍 … and the Ass saw the Angel (Nick Cave, Mick Harvey & Ed Clayton-Jones, 1997)
Après avoir tué la période la plus dure de sa carrière, Nick Cave va emmener les Bad Seeds sur de nouveaux terrains de jeux, de plus en plus mélodiques mais aussi parallèlement de plus en plus sombres. Si une frange de son public va le laisser en plan à cette époque elle sera rapidement compensée par un auditoire immense constituant encore aujourd’hui l’essentiel de sa fan-base. Rarement artiste aura laissé se dessiner de manière aussi évidente deux grandes ères dans son œuvre : à partir de 1994, il y aura donc le Nick Cave rock d’un côté et le Nick Cave « crooner » de l’autre. Une scission définitive… croira-t-on en tout cas jusqu’au milieu des années 2000.
👑 Let Love in (Nick Cave & The Bad Seeds, 1994)
Énorme succès critique et public (son plus gros ?) à sa sortie, Let love in a très largement contribué à populariser Nick Cave auprès non seulement d’une nouvelle génération de fans, mais aussi d’auditeurs qui jusqu’alors n’auraient jamais supporté de l’écouter. Pourtant personne n’a jamais eu l’idée de le taxer de commercial, ce qui est pour le moins surprenant. Mais c’est peut-être justement le coup de génie des Bad Seeds : avoir réussi à publier un album totalement accessible et pas du tout mercantile ! Faire un tube d’une chanson aussi torturée (au propre comme au figuré) que « Do You Love Me? » relève du tour de force et ne peut qu’attirer respect et sympathie.
Musicalement l’album repousse encore les limites entre les genres et affiche une jolie diversité : ici une ballade annonciatrice des grandes chansons romantiques des années 2000 (« Nobody’s Baby Now »), là un titre quasi hardcore renouant avec la sauvagerie de Birthday Party (« Jangling Jack »)… et surtout, surtout, une ribambelle de titres totalement groovys… la basse lancinante qui tient la baraque, les guitares purement décoratives… aboutissent à deux des plus grandes chansons du collectif : « Loverman » et « Red Right Hand », calmes certes, mais à faire dresser les cheveux sur la tête.
En fait l’album semble suivre une courbe étonnante, se déconstruisant au fur et à mesure… un peu comme si les Bad Seeds, conscientes qu’elles s’éloignaient des fondamentaux, avaient souhaité illustrer leur mue. De fait la plupart des chansons abrasives ou juste rapides sont placées dans la première moitié de Let Love in, qui sombre progressivement dans la langueur et la mélancolie… jusqu’à l’hypnotique et fascinante « Ain’t Gonna Rain Anymore »… alors la musique s’élève à nouveau, avec « Lay Me, Low », quelque part entre le rock braillard et le gospel hanté, et enfin « Do You Love Me? (Part 2) », suite beaucoup plus contemplative au titre inaugural, qui referme l’album avec douceur et lyrisme… bref, en un mot comme en mille : Let Love in est un des grands disques indispensables de Nick Cave. Sinon Le.
👍👍👍 Murder Ballads (Nick Cave & The Bad Seeds, 1996)
Dylan désigna un jour son album Love & Theft comme un « Greatest Hits sans les hits ». Le qualificatif pourrait tout aussi bien s'appliquer à Murder Ballads tant il concentre en dix titres tous les thèmes (poétiques et musicaux) chers à son auteur. Dieu, la Mort et la Folie se sont filés rencard et s’éclatent comme des petits fous dans un album que certains crétins osèrent qualifier d’autoparodie tant les trois axes favoris de Cave y sont poussés à leur paroxysme.
Mais résumer ainsi Murder Ballads serait de toute façon aussi réducteur que de dire qu’il s’agit d’un disque à moitié composé de duos : les duos, le collectif, Nick Cave y a toujours attaché une importance farouche. Comment expliquer sinon qu’il n’ait tout simplement JAMAIS enregistré un seul disque sous son seul nom ? Vous pensez vraiment qu’il ne pourrait pas jouer tout seul comme un grand ? Certains en sont convaincus, idée d’autant plus inepte qui si l’on prend la peine de regarder les crédits on se rend compte que plus de 80 % du répertoire des Bad Seeds est l’œuvre du seul Nick Cave.
Il y a donc des duos (et encore pas tant que ça : trois, le reste est juste du featuring) avec PJ Harvey pour l’affreusement sexy « Henry Lee » et Kylie Minogue pour l’envoûtant « Where the Wild Roses Grow » - arbre immense cachant la forêt d’un album complexe dont la richesse harmonique est trop rarement soulignée. Pourtant dès l’ouverture, « Song of Joy » en impose (c’est probablement le morceau le plus sophistiqué, en terme d’arrangements, jamais enregistré par les Bad Seeds). Et que dire d’ « O'Malley’s Bar » ? Encore une chanson cabaret apocalyptique à mettre au crédit du groupe !
Du reste, il est indéniable que Murder Ballads se démarque assez peu, du strict point de vue musical, des autres disques : « Stagger Lee » et son groove n’auraient pas dépareillés sur Let Love in, « Crow Jane » la joue blues déglingué façon The Good Son… sauf que ces deux titres sont des chefs-d’œuvres, alors franchement peu importe. Non, la seule faute de goût (et encore) de cet album est à mon humble avis la reprise de « Death Is not the End » en final… non tant parce qu’elle est ratée que parce qu’on aurait aimé finir sur la déjante d’ « O'Malley’s Bar » !
👍👍👍 The Boatman’s Call (Nick Cave & The Bad Seeds, 1997)
Premier de la paire d’albums dépressifs de Nick Cave, The Boatman’s Call ferait presque figure d’œuvre légère à côté de No More Shall We Part. Il serait néanmoins dommage de passer à côté de ce disque qui, s’il pâtit un peu de la comparaison (évidente) avec son successeur n’en demeure pas moins un très très beau moment de poésie, de blues, de crooning – et tout ce que vous vous voudrez qui vous évoquera la beauté.
Car en dépit de quelques titres en peu en deça du niveau général et d’une relative monotonie, The Boatman’s Call renferme tout de même une poignée de chansons d’une incroyable intensité : impossible de résister à la rengaine de « People Ain’t No Good », à la langueur de « Brompton Oratory » et bien sûr à la beauté farouche d’ « Into My Arms » - une des plus belles chansons de Cave sans aucun doute. Le tout est servi avec un son chaud, feutré, des arrangements un peu celtiques parfois mais au sens noble du terme… et porté par la présence lumineuse de Warren Ellis qui, recruté pile au moment de la sortie de Murder Ballads, fait montre d’un talent exceptionnel. Dès lors, son violon éclairera chaque disque de Nick Cave (avec ou sans les Bad Seeds)…on ne peut que valider le coup de cœur du chanteur !
👍👍 … and the Ass saw the Angel (Nick Cave, Mick Harvey & Ed Clayton-Jones, 1997)
👍 The Secret Life of the Love Song/The Flesh Made Word (Nick Cave, 1999)
La fin des années quatre-vingt-dix marque l’heure des premiers bilans pour Nick Cave, qui décide de laisser ses Bad Seeds quelques temps en suspens pour se consacrer à des projets parallèles à la qualité aléatoire mais au résultat toujours singulier.
Alors que paraît un Best of tout à fait dispensable de ses précédents travaux (la qualité du répertoire n’étant pas en cause mais la sélection des morceaux étant loin d’être équitable pour chaque disque – et donc chaque fan), Cave et Harvey branchent Ed Clayton–Jones, pape de la musique contemporaine, qui accepte de travailler avec eux sur une adaptation musicale du roman …and the Ass saw the Angel (publié initialement en 1989 et réédité pour l’occasion). Adaptation n’étant d’ailleurs pas tout à fait le mot : il s’agit plutôt d’une bande originale du livre réalisée pour une éphémère version théâtrale, exercice périlleux pourtant rendu avec maestria (j’ai testé la lecture en écoutant le disque, force est d’admettre que ça le fait). Aux confins de la musique concrète, le résultat est un objet assez fabuleux, mais définitivement pas à mettre entre toutes les oreilles… il n’empêche : s’il y a vraiment quelque part une nouvelle musique, cet ovni en fait partie.
On pourrait en dire autant du suivant, The Secret Life of the Love Song, seul disque publié par Nick Cave seul… à ceci près que ce n’est pas de la musique, mais deux (très) longues lectures enregistrées par Cave pour la BBC en 1997 (et dont les transcription figurent dans le recueil King Ink II). L’occasion d’apprécier la scansion particulièrement habitée de Cave, mais bien entendu même pour un fan c’est loin d’être la panacée. A écouter une fois comme ça, juste par curiosité – et encore à condition de parler un anglais courant.
👑 No More Shall We Part (Nick Cave & The Bad Seeds, 2001)
La fin des années quatre-vingt-dix marque l’heure des premiers bilans pour Nick Cave, qui décide de laisser ses Bad Seeds quelques temps en suspens pour se consacrer à des projets parallèles à la qualité aléatoire mais au résultat toujours singulier.
Alors que paraît un Best of tout à fait dispensable de ses précédents travaux (la qualité du répertoire n’étant pas en cause mais la sélection des morceaux étant loin d’être équitable pour chaque disque – et donc chaque fan), Cave et Harvey branchent Ed Clayton–Jones, pape de la musique contemporaine, qui accepte de travailler avec eux sur une adaptation musicale du roman …and the Ass saw the Angel (publié initialement en 1989 et réédité pour l’occasion). Adaptation n’étant d’ailleurs pas tout à fait le mot : il s’agit plutôt d’une bande originale du livre réalisée pour une éphémère version théâtrale, exercice périlleux pourtant rendu avec maestria (j’ai testé la lecture en écoutant le disque, force est d’admettre que ça le fait). Aux confins de la musique concrète, le résultat est un objet assez fabuleux, mais définitivement pas à mettre entre toutes les oreilles… il n’empêche : s’il y a vraiment quelque part une nouvelle musique, cet ovni en fait partie.
On pourrait en dire autant du suivant, The Secret Life of the Love Song, seul disque publié par Nick Cave seul… à ceci près que ce n’est pas de la musique, mais deux (très) longues lectures enregistrées par Cave pour la BBC en 1997 (et dont les transcription figurent dans le recueil King Ink II). L’occasion d’apprécier la scansion particulièrement habitée de Cave, mais bien entendu même pour un fan c’est loin d’être la panacée. A écouter une fois comme ça, juste par curiosité – et encore à condition de parler un anglais courant.
👑 No More Shall We Part (Nick Cave & The Bad Seeds, 2001)
Après quatre ans d’absence les Bad Seeds reviennent pour publier la vraie/fausse suite à The Boatman’s Call et faire pleurer dans les chaumières. Que dire sur ce disque, mon préféré, que j’ai déjà longuement chroniqué dans Mes disques à moi (et rien qu’à moi) ? Absolument rien. Si : c’est sublime, mais par contre évidemment ça fait pleurer. Ca ne vous remontera pas le moral si vous venez de vous faire larguer, en revanche vous vous sentirez sans doute du coup beaucoup moins seuls.
5. NEW MORNING : 2003-???
Et voici Nick Cave qui s’impose, voire même qui se fond dans le paysage – ce qui n’était pourtant pas gagné au départ. Curieusement, ça ne plaît pas à tout le monde : après avoir été séduits par cette transformation, les critiques commencent à être nettement plus durs à partir de No More Shall We Part. Ca n’a rien d’étonnant : Nick Cave est devenu fréquentable, ce qui ne peut que déranger les fans d’autrefois. Comme tout artiste « arrivé » il est désormais confronté à une cohorte de gens citant systématiquement ses premiers disques comme des références (ça m’est arrivé avec mes premières chroniques et… non, je déconne bien sûr)… Alors dans un sursaut d’orgueil mêlé à une réelle envie d’aller voir ailleurs (après No More… il semblait difficile de poursuivre dans la même direction sans se répéter ou transformer sa mélancolie en pose), Nick Cave va totalement se réinventer. Et non, comme on l’écrit un peu trop souvent, renouer avec son passé. Les Bad Seeds ne seront plus jamais ce groupe de rock furibard qui mélangeait blues, punk et folk à l’imagerie goth au début des années 80 (pas plus que Grinderman). Ce ne sont plus les mêmes, et de toute façon Nick Cave a vieilli. Il veut faire autre chose, propose un compromis remarquable entre les deux périodes de son œuvre, et prouve qu’on peut avoir publié une demi douzaine de chefs-d’œuvre sans être à court d’idées… la classe, quoi !
👍 Nocturama (Nick Cave & The Bad Seeds, 2003)
Littéralement pilé parla critique au moment de sa sortie, Nocturama le premier montre les prémices d’un durcissement de ton du côté de chez les Bad Seeds. C’est d’ailleurs à partir de ce disque que les journalistes vont commencer à nous rabattre les oreilles avec l’éternel retour au rock dur d’un Cave qui, on l’imagine, a d’autres choses à foutre que de faire ce qu’on lui demande.
S’il est indéniable que Nocturama fait un peu tâche coincé entre No More Shall We Part et Abattoir Blues (deux des plus grands disques de leur auteur), il ne méritait sans doute pas un tel acharnement de la part de la presse ou des (nombreux) fans à l’avoir boudé. Ce n’est pas le plus mauvais album du collectif, en revanche c’est certainement le moins bon tout en étant paradoxalement le plus varié… peut-être parce qu’il montre un groupe à la croisée des chemins, pas tout à fait revenu au rock’n’roll mais déjà moins blues/folk jazz que sur les précédents disques (merde, je viens de donner la définition d’album de transition sans faire exprès). Sans oublier la troisième voie, la plus intéressante sans doute, que constitue la seule « There Is a Town », chanson renversante ne ressemblant à rien de ce qu’ont fait les Bad Seeds à ce jour.
Le péché de Nocturama n’est cependant pas tant d’avoir le cul entre deux chaises que de l’avoir un peu mou par moment : à l’exception du lumineux « It's a Wonderful Life » et de l’émouvant « Still in Love », les morceaux façon crooner romantique sont cette fois-ci assez moyens. Au mieux ils évoquent des chutes de studio de No More Shall We Part (« She Passed by My Window ») ou de The Boatman’s Call (le jazzy « He Wants You »). Au pire ils sont totalement insipides (« Rock of Gibraltar »).
Nettement plus convaincante, la face rock voit des Bad Seeds sinon regonflées à bloc (elles sonnent plus teigneuses que vraiment énervées) du moins prêtes à en découdre. « Dead Man in My Bed » est une compo furax comme elles n’en avaient plus pondu depuis longtemps, et « Bring It on » voit le groupe verser dans un registre « classic rock » jusqu’alors inédit, à la fois puissant et mélodique (curieux que cette chanson ne soit pas devenu un hit, elle en avait largement le potentiel). Quand arrive le dernier titre, on jubile : jam explosive de quatorze minutes, « Babe, I’m on Fire » est sans doute l’un titre « excités » les plus réussis de Nick Cave & The Bad Seeds… et conclut en beauté un album honnête à défaut d’être grandiose, annonçant le meilleur pour la suite.
👍👍👍 Abattoir Blues / The Lyre of Orpheus (Nick Cave & The Bad Seeds, 2004)
Difficile de dire s’il s’agit d’un double album ou bien de deux albums distincts… ce qui est certain, c’est que rien ne prédestinait ce disque à devenir une référence. Nocturama avait laissé sur leur faim beaucoup de fans… qui avaient achevé de craindre le pire en apprenant le départ de Blixa Bargeld, compagnon de toujours et certainement le dernier membre des Bad Seeds qu’on imaginait prendre un jour tangente.
Pourtant dès les premières mesures on se dit que quelque chose a changé… sur Nocturama la colère était devenue une simple indignation et la langueur tendait vers la paralysie… et là CRAC ! Les Bad Seeds envoient d’entrée leur titre le plus puissant depuis une éternité, « Get Ready for Love », quasi hard-rock néanmoins classe et racé. On se dit alors que les effets d’annonce sont parfois terribles. Car les titres suivants, « Cannibal’s Hymn » et le monument « Hiding All Away », sont loin d’être aussi rageurs que la presse ne l’avait prédit… oui, mais ils sont heavy, ce qui n’est pas loin d’être mieux. Et arrivé à mi-chemin, après la giffle « There She Goes, My Beautiful World », force est d’admettre qu’on n’a pas encore entendu une seule ballade.
On a coutume de dire (car c’est déjà un classique) que les chansons dures sont sur Abattoir Blues et les chansons calmes sur The Lyre of Orpheus. Ce n’est pas forcément faux, mais c’est très réducteur : encore faudrait-il pour cela que le premier soit réellement dur (ce qu’il n’est jamais complètement) et le second réellement lent (ce n’est le cas que sur la moitié des titres – au contraire la chanson au tempo le plus rapide est sur celui-ci : « Supernaturally »). Au final on a surtout deux immenses albums qui se ressemblent plus qu’ils en ont l’air et montrent un groupe absolument survitaminé, à l’aise dans la pop (ou quasiment : « Abattoir Blues »), la déglingue (« The Lyre of Orpheus »), le rock de stade (« Nature Boy ») voire même la folk-song joyeuse (si ! je vous jure, c’est « Breathless », la première chanson gaie de Nick depuis 1979)… formidable ! Au point qu’à peine quelques semaines après sa sortie certains fans de ma connaissance annonçaient déjà le meilleur album de Nick Cave. Que ce soit le cas ou non, respect : ils sont nombreux les « vieux » à publier de grands disques, mais combien sont-ils vraiment à pouvoir s’entendre dire ça après vingt-cinq ans de carrière ?
Comment ? Un bémol ? Bon alors si vous insistez : sur dix-sept titres, j’aurais bien viré une ou deux mid-tempo (il n’y a quasiment que ça) pour rééquilibrer l’ensemble. Mais bon, c’est un faux bémol, puisque Nick Cave lui-même partage cet avis…
👍 The Proposition (Nick Cave & Warren Ellis, 2005)
Depuis le temps que ça traînait il fallait bien qu’un jour Cave et Ellis s’évadent des Bad Seeds pour s’offrir un (forcément) charmant tête à tête. Comme l'on pouvait s’y attendre il s’agit d’une BO, mais comme on ne l’avait pas prévu c’est extrêmement réussi – à savoir que quelqu’un n’ayant pas vu le film peut tout à fait l’apprécier. Il s’agit en effet pour une bonne part de véritables chansons, et pas des mauvaises, « The Rider Song » et « Gun Thing » se hissant sans problème parmi la crème de la crème de la production cavienne. Les titres instrumentaux, très western dans l’esprit (et devinez de quel genre de film il s’agit ?) se laissent écouter sans déplaisir et même avec une pointe de jubilation par instant. A découvrir !
👍👍 B-Sides & Rarities (Nick Cave & The Bad Seeds, 2005)
Longtemps attendu par les fans, le coffret Bad Seeds en a enchanté certains agacé d’autres… sans vouloir se cramer il n’est pas stupide de suggérer que l’objet – au demeurant très beau – aurait certainement gagné à être réduit à un double album – voire à un simple. Il aurait probablement attiré plus de monde, et n’aurait déçu personne dans la mesure où il faut bien reconnaître que seul un fan peut avoir envie d’acheter ce monument de cinquante six titres… et que le fan, parce qu’il est justement un fan, possède déjà les premiers albums. Quel intérêt donc de présenter des versions absolument identiques de « The Six Strings that Drew Blood », « The Moon Is in the Gutter », « Scum » ou « Black Betty » ? Aucun.
Évidemment on se doute que sur cinquante-six titres de Nick Cave ce serait bien la mort si on en trouvait pas un ou deux de potables. Dont acte : il y a toute une kyrielle de pépites sur ce coffret, dont la meilleure pourrait bien être (ironie du sort)… « Nocturama », titre écarté de l’album mal aimé du même non. Mais on pourrait aussi citer l’étonnamment pop « Come Into My Sleep », le très beau « She’s Leaving You » (disponible sur les 10 000 premiers exemplaires d’Abattoir Blues) ou encore le délicieusement rétro « Opium Tea » (Chris Isaak peut aller se rhabiller).
Ajoutez à ces quelques vingt-cinq inédits (j’avoue ne pas avoir compté) :
> des versions alternatives parfois très réussies (l’acoustique « Deanna » ou les quatre parties d’ « O’Malley’s Bar »)
> des reprises comme toujours à tomber (« Helpless » de Neil Young, « Tower of Song » de Leonard Cohen, « Running Scared » de Roy Orbison, « Knoxville Girl » d’on-n’a-jamais-trop-su-qui…)
… et vous obtiendrez un joli cadeau si votre frère ou votre nana est fan de Nick Cave.
👍👍👍 The Abattoir Blues Tour (Nick Cave & The Bad Seeds, 2007)
L’objet est superbe, son contenu renversant. Pourtant, durant les premières minutes, on enrage.
Quand d’autres (la plupart, en fait) publient un live après chaque tournée, les Bad Seeds ont attendu quatorze pour donner une suite à l’incontournable Live Seeds. Cette honnêteté (authenticité, même) les honore, mais The Abattoir Blues Tour a fatalement le défaut de cette qualité. Impossible de tout mettre. Deux CDs, dix sept-titres, pour recouvrir une période riche de six albums dont un double, c’est le minimum. On y verrait aucun inconvénient si Abattoir Blues, tout grand disque qu’il soit, n’était surreprésenté au détriment des autres : dix titres sur dix-sept, pas moins. Excellents au demeurant, là n’est pas la question… simplement il est horriblement frustrant de se dire qu’il faudra peut-être encore attendre quatorze ans voire l’Eternité pour entendre des versions lives décentes (c’est à dire pas bootleguées à tout va) de choses aussi grandioses que « Do You Love Me? », « Loverman », « O' Malley’s Bar », « Into My Arms », « …and No More Shall We Part », « Fifteen Feet of Pure White Snow », « Dead Man in My Bed »… etc. Surtout quand d’autres comme « The Ship Song », « Weeping Song » et « Deanna » étaient déjà présentes sur Live Seeds.
De tous les albums de cette période 1994–2004, Let Love in est celui s’en sort le mieux, avec deux titres (et non des moindres) dont une version absolument poignante de « Lay Me, Low ». Warren Ellis, qui ne figurait pas encore au générique à l’époque du disque, y brille de mille feux… comme sur tout l’album d’ailleurs, au point qu’on eût aimé entendre un peu plus de ses revisitations des antiques compos caviennes. Las ! Pas de place pour ça : les albums d’avant 94 (à l’exception des trois morceaux en doublette suscités) sont blacklistés, et parmi ceux d’après deux sont tout simplement punis (The Boatman’s Call et Nocturama). Restent encore un remarquable « Stagger Lee » et un « God Is in the House » absolument fabuleux – ce qui n’est déjà pas si mal.
Si Live Seeds était une parfaite synthèse des dix premières années des Bad Seeds, The Abattoir Blues Tour se révèle donc nettement moins exhaustif… mais loin d’être raté ! Car l’album de boucher qui venait de sortir au moment de la tournée est tout de même un des meilleurs de ses auteurs. Ici, « Breathless » est absolument lumineuse, « Get Ready for Love » et « There She Goes, My Beautiful World » sont d’une rare férocité, et si certains morceaux auraient pu être avantageusement remplacés par d’autres (« Babe, You Turn Me on » est une bonne chanson, mais certainement pas la meilleure que Cave ait enregistrée dans le genre) impossible de ne pas flancher en écoutant ces chansons qu’on connaît déjà toutes par cœur livrées dans des versions absolument sublimes, épurées, evanescentes… un très mauvais résumé de la période « crooner » de Nick Cave, donc… mais paradoxalement une excellente introduction à son œuvre pour les auditeurs réfractaires aux décibels des premiers albums.
👍👍 Grinderman (Grinderman, 2007)
J’avoue être un peu honteux, mais je n’ai pas très bien compris (ni suivi) le pourquoi du comment de cette nouvelle (ré)incarnation de Nick Cave. Son « nouveau » groupe est en effet composé de Sclavunos, Harvey, Ellis… bref : des Bad Seeds. Ok, il manque l’orgue de Johnston et le piano de Casey… qui doivent faire la gueule parce qu’il y a bel et bien du piano et de l’orgue sur cet album ! En somme à quoi bon monter un groupe avec les Bad Seeds, surtout si c’est pour faire une musique dans la droite lignée d’Abattoir Blues ?
Bref, peu importe : le premier (et dernier ?) opus de Grinderman est particulièrement réussi, dans un registre heavy-rock 70’s (Cave s’est même laissé pousser la moustache pour l’occasion) nettement plus convaincant que le dernier Queens Of The Stone Age. « Get It on! », « Electric Alice », « Love Bomb »… les titres des chansons sont éloquents, et en dépit d’un « Chain of Flowers » encore plus loukoum que son titre ne le laisse supposer l’ensemble est de très, très haute tenue. C’est là l’essentiel.
Il n’aura échappé à personne que j’ai négligé trois disques de Nick Cave, dont deux best of très dispensables, et l’album de reprises Kicking Against the Pricks… c’est que comme certains d’entre vous le savent je suis fort hostile au concept d’album de reprises (j’avais d’ailleurs négligé Pin ups pour Bowie). Aussi réussi soit-il, c’est un exercice qui ne m’a jamais pleinement convaincu.
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