[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°70]
Seventeen Seconds - The Cure (1980)
Si vous vous êtes déjà demandé ce que désignait l’appellation cold-wave, il y a fort à parier que vous n’avez jamais posé la moindre oreille sur le second album de The Cure. Ou que vous l’avez mal écouté. De toute façon dans le deux cas sachez qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Donc nous disions : la cold-wave. Mouvement à ne surtout pas confondre avec la new-wave, autre mouvement à ne surtout pas confondre avec le post-punk, autre mouvement à ne surtout pas confondre avec l’after-punk, qui évidemment n’a rien avoir avec le gothique et… hum… conneries que tout ça ! N’est-il pas possible, une fois de temps en temps, d’appeler le rock rock (ou rock’n’roll éventuellement) et la pop pop (voire pop-music) ? Avec Cure ces brouillages entres genres et mouvements prennent tout leur sens dans la mesure où je suis le premier (mais certainement pas le dernier) à commettre la bourde récurrente de parler d’un « Cure face pop » et d’un « Cure face cold-wave »… parce que la cold-wave, n’en déplaisent aux journalistes qui adorent citer son nom (généralement ceux qui n’y connaissent rien, genre Rolling Stone ou Inrocks), c’est justement très précisément… de la pop ! Et s’il y a manifestement deux facettes à la musique de Robert Smith, il s’agit et s’agira toujours de pop-music.
Maintenant « quel genre de pop » c’est une autre question… le premier album de Cure (Three Imaginary Boys), c’est aussi de la pop, mais ce n’est clairement pas la même pop. Celle de Seventeen Seconds est assurément plus complexe, plus sombre, plus atmosphérique, plus… froide. D’où l’appellation cold-wave, qui veut tout et rien dire et ne désigne à ma connaissance que le second Joy Division et le second Cure. Deux disques pop glaciaux, tordus, fascinants mais éprouvants. Et qui déjà, en soi, ne se ressemblent pas tant qu’on a tendance à le dire : celui de The Cure s’avère franchement plus léger, tant dans les orchestrations que dans le mode de composition, ainsi que nettement plus planant – presque floydien par moments. Si chez Joy les compositions sont totalement torturées (nous y reviendrons), chez Cure ce sont principalement les atmosphères qui le sont – les mélodies pour sont la plupart du temps limpides : « A Reflection » en est une excellente illustration. Huit notes de désolation absolue qui disent l’essentiel. Pas besoin de plus, d’enluminures quelconques ni même de chant : l’auditeur aura tout de suite compris l’idée. Ce sens de l’épure pour le moins original régit l’ensemble de l’album, dont le principal artisan n’est jamais cité : Mike Hedges, producteur et ami de Robert Smith, qui tricota à ce disque ce son cotonneux devenu depuis caractéristique de The Cure (Hedges n’a certes produit0 outre cet album, que Faith, le suivant, mais ses successeurs aux manettes n’eurent de cesse de décliner la formule claire et aérienne qu’il établit sur ces deux chefs-d’œuvre). C’est à lui qu’on doit l’idée de placer une batterie totalement répétitive au centre de l’album, donnant l’impression d’avoir affaire à une boite à rythme, et c’est à nouveau lui qui se chargea de la plupart des arrangements afin de donner un côté harmonique supportable à un album sur le papier assez rebutant. Pour le reste, Robert Smith n’a jamais eu besoin de personne pour donner l’impression de chanter au saut du lit, en revanche il est de notoriété publique que Hedges retint volontairement les lignes de chants les plus éthérées possibles. Pour compléter le tout, il participa avec Smith à la sélection des titres et les situa de manière à alterner en permanence véritables chansons et morceaux instrumentaux ou semi-instrumentaux étranges, comme des petits fragments poétiques (« Three », « Secrets ») se glissant au milieu de compositions nettement plus catchy telles « Play for Today » ou l’inaltérable « A Forest ».
Le résultat surpasse de loin toute les espérances de Robert Smith. Lui qui voulait orchestrer la rencontre du Pink Moon de Nick Drake et du Low de Bowie a réussi au-delà du projet à créer une musique unique en son genre, étrange, aux accents presque… désertiques : il y a tellement peu de notes dans Seventeen Seconds qu’on a la sensation d’un voyage au-dessus du vide, ce qu’indique d’ailleurs plus ou moins la pochette. Là encore difficile de ne pas se dire que l’histoire a été injuste avec le groupe, mettant cet album dans la même balance que le Kaleidoscope des Banshees, certes publié la même année dans un registre similaire mais totalement sur-arrangé et surproduit par rapport au minimalisme élégant de Smith et de ses comparses (nommons-les : Lol Tholhurst et Simon Gallup). Mais bon : l’histoire rend rarement justice aux chefs-d’œuvre en leur temps – ça ne vient pas non plus de sortir. Longtemps resté dans l’ombre de Closer ou de Kaleidoscope, Seventeen Seconds dût attendre l’explosion planétaire de The Cure, cinq ans plus tard, pour être (re)découvert par un public rongé de remords en voyant que ce groupe fabuleusement inventif était en train de se changer en machine à tubes à force d’insuccès. Mieux vaut tard que jamais me direz-vous, il n’empêche : en dépit de louables efforts, The Cure ne retrouvera jamais la majesté de sa désormais célèbre Trilogie Glacée. Et la dépression de Robert Smith sera pour sa part condamnée à paraître de la pose quasiment pour l’éternité…
Trois autres disques pour découvrir The Cure :
Faith (1981)
Pornography (1982)
The Head on the door (1985)