vendredi 6 juillet 2007

Chansons pour les sourds, les fous, les bêtes.

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°72]
Songs for the Deaf - Queens Of The Stone Age (2002)

Il y a quelque chose d’assez déprimant dans le fait d’évoquer les Queens Of The Stone Age au moment où ils publient ce qui restera sans doute comme le premier ratage de leur carrière. Et personnellement, je le vis comme le premier accroc dans une longue et belle histoire d’amour. Qui a commencé en 1992 avec Blues for the Red Sun, de Kyuss. Un vrai coup de foudre, comme on en vit souvent à l’âge de… onze ans. Pas étonnant que Josh et moi soyons un peu en froid cet an-ci. On change pas mal en quinze ans, même quand on s’aime très fort.

 
Or donc Kyuss me mit KO dès mon plus jeune… Kyuss, franchement… vous admettrez qu’il y a pire que Kyuss pour démarrer dans la vie. A l’époque beaucoup de mes camarades vibraient avec Hélène et Jean-Jacques Goldman… je crois qu’on peut dire que je m’en suis plutôt bien tiré.
 
Mais la belle aventure Kyuss a fait long feu… il y a eu ce split en 1997, bien sûr, hélas, mais je mentirais si je disais que dès 1995 et l’album … and the Circus Leaves Town je n’étais pas déjà un peu moins enthousiaste. Il faut bien dire ce qui est : j’étais jeune et con ; plus Kyuss était connu moins je l’aimais. On réagit souvent comme ça avec ses groupes fétiches quand on est ado, je crois. Aujourd’hui j’en suis bien heureusement revenu, et je considère (comme beaucoup) cet album de 95 comme un chef-d’œuvre. MAIS je ne peux m’empêcher de trouver qu’il s’agit d’un petit chef-d’œuvre comparé aux deux albums précédents (Blues for the Red Sun, donc, et le tout aussi indispensable KyussWelcome to Sky Valley pour les intimes).
   
Bref ! Voilà que Kyuss se sépare et laisse plein d’ados aux oreilles encrassées orphelins. Too bad ! Jusqu’à une étonnante résurrection sous le nom de… Queens Of The Stone Age. Ca, c’était du nom. On aurait pu croire que les mecs ne feraient jamais plus curieux que Kyuss. Mais Queens Of The Stone Age, ça en jette carrément plus encore – tout en étant parfaitement prononçable. Étonnante parce que lorsque sort le premier EP en import (je ne crois pas que sa première édition ait été commercialisée avant 1998) Queens Of The Stone Age n’était pas le nom du groupe, mais le titre du disque. Le groupe, lui, s’appelait toujours Kyuss. Plus pour très longtemps : Josh Homme et ses potes adoptent littéralement le nom de leur disque quelques mois plus tard, puis sortent un album valent surtout pour sa jolie pochette, montrant une non moins jolie culotte de nana… enfin bref : ça posait l’ambiance, rock’n’roll et sans complexe.
 
Aujourd’hui faire bêtement du rock’n’roll pied au planché peut sembler assez banal (de fait c’est peut-être bien la raison pour laquelle les Queens n’en font plus vraiment). Mais en 1998… ça restait quand même relativement marginal, la plupart des groupes de rock old-school étant pour la plupart soit confidentiels, soit très peu médiatisés (pensée émue pour les excellents Hellacopters, qui tinrent longtemps seuls la baraque rock’n’punk). Et ce fut pour beaucoup une vraie belle baffe… pensez donc ! Du rock gras, qui tache et fait planer, à l’époque où même Rock & Folk faisait ses couvertures avec Moby (car bien sûr la presse a pris le train QOTSA en marche : en 1998 à part Hard Rock Mag il n’y avait pas grand monde pour s’y intéresser). Ça, c’était beau… je me souviens encore avec une réelle émotion de ma première écoute d’ « Avon »… depuis combien d’années n’avait-on pas entendu un truc aussi bon dans le genre ?
   

Pourtant je ne suis pas tombé en arrêt complet devant ce disque, puissant et efficace mais objectivement assez peu original. A dire vrai l’appellation initiale Kyuss / Queens Of The Stone Age n’était pas totalement mensongère : ce premier opus ressemblait beaucoup à du Kyuss, à tout point de vue. Le chanteur John Garcia n’était plus là, mais sinon c’était du pareil au même. Non, vraiment, c’est avec Rated « R », deux ans plus tard, que les choses sérieuses ont commencé. Josh Homme y injectait une bonne dose de pop dans son metal-rock-punk et là, c’était plus du tout le même topo. Les chansons étaient puissantes et mélodiques, les riffs étaient gras et catchy… et derrière, Nick Oliveri, mastodonte de la basse, faisait groover le tout. Que du bonheur, comme dise les djeuns. Même Mark Lanegan (une de mes idoles comme le savent les lecteurs les plus fidèles) était de la partie.
 
Pas étonnant que les Queens Of The Stone Age soient devenus des superstars avec le proverbial troisième album. Ils écoutaient toujours Motörhead, mais voilà qu’ils (re)découvraient Blue Cheer, Love… et sans jamais renier leur background plutôt métallique ils allaient de l’avant. Ecouter aujourd’hui à la suite les trois premiers Queens en devient presque fascinant tant on a l’impression que la musique de Homme se décante album après album. La voix qui se fait plus mélodique, la production plus chiadée, les mélodies plus travaillées… Voici mes amis un bel exemple de ce terme qui effraie souvent les rockers : évolution. Lentement mais sûrement les Queens Of The Stone Age se sont imposées, sont nées – tout simplement. Pour accoucher finalement du chef d’œuvre Songs for the Deaf, unanimement considéré aujourd’hui comme l’un des sinon le meilleur disque des années 2000.
 
(ok, vous trouverez toujours un ou deux grincheux pour vous expliquer que non, il y a machin et bidule qui sont mieux, et puis même, les Queens ont fait un album meilleur, mais si mais si… ouais ouais, c’est ça, on y croit : même ma mère aime Songs for the Deaf, alors me racontez pas la messe, des disques capables d’accéder à un tel degré d’universalité il en paraît moins d’un par décennie)
 
On a beaucoup goisé à l’époque sur le fameux retour de Dave Grohl derrière les fûts. C’était sans doute un événement important : depuis le premier Foo Fighters, le plus grand batteur de sa génération n’avait effectivement plus jamais joué de batterie (sur disque, parce qu’on imagine bien que dans le privé il devait quand même toucher l’instrument à l’occasion). Et bien entendu si les Queens Of The Stone Age n’ont jamais eu une puissance de feu équivalente à cet opus et aux quelques concerts qui l’ont suivi, c’est sans aucune doute parce que Grohl est retourné à ses moutons par la suite. Cependant, réduire Songs for the Deaf aux Queens meets Grohl, comme la presse l’a fait à l’époque, est assez injuste : Josh Homme n’a besoin de personne pour composer des hymnes rock’n’roll, comme il l’a prouvé par la suite. Et la qualité de cet album doit bien plus à ce curieux sosie d’Elvis qu’à un quelconque apport extérieur – quand bien même les Queens Of The Stone Age sont un véritable gang multipliant les duos et collaborations.
   
Décrire Songs for the Deaf à quelqu’un ne l’ayant jamais entendu relève du supplice pour une raison toute bête : c’est tout de même une œuvre particulièrement torturée et abrasive. La décrire telle quelle découragerait beaucoup de lecteurs de s’y égarer, quand justement sa principale spécificité est de séduire à peu près tout le monde, de ma mère au plus gros fan de black-metal. Le secret de cette palette de fans potentiels ? Outre un son dément et unique en son genre, tout à la fois très clean et surpuissant, qui lui permit en son temps de passer en rotation lourde sur les radios sans jamais avoir à faire dans le putassier, le secret, donc, réside à mon sens dans un truc tout con (mais pas si facile que ça à obtenir) : le groove. Une de mes marottes, comme vous le savez déjà presque tous. A lui tout seul Songs for the Deaf groove plus que 90 % de la production rock ou metal des quinze dernières années, ce qui lui confère une supériorité confinant à l’intouchable. Expliquer pourquoi ici ça groove plutôt que là est impossible… l’idéal est encore à mon avis de s’essayer à écouter des trucs qui ne groovent pas en comparaison. La différence vous sautera alors aux oreilles. Un bel exemple pourrait être le dernier Stooges, au demeurant très sympa mais qui ne groove quasiment jamais. Du coup la musique revêt un aspect extrêmement rigide, mécanique… là où lorsqu’on écoute Songs for the Deaf on a l’impression que la musique glisse littéralement dans les enceintes tant les rythmiques y sont souples et aérées. Mine de rien, un groupe de rock qui groove est assuré d’avoir réussi une bonne moitié du parcours menant à la gloire (tout du moins à la gloire golbienne). Le groove, c’est ce qui fait qu’un titre comme « A Song for the Dead », qui n’est pas non plus le truc le plus terrifiant du monde tout en restant relativement bruyant pour le commun des mortels, sonnera abrasif sans sonner violent. Le groove pourrait être littéralement défini comme ce qui différencie le rock du metal. Le metal, j’adore ça, mais la plupart du temps ça ne groove jamais (évidemment il y a dérogation pour Slayer, qui groove à mort, et tenez : comme de par hasard voilà un groupe de metal qui a largement dépassé le cadre de sa chapelle musicale – étonnant, non ?). D’ailleurs, par définition, un truc heavy est beaucoup trop lourd pour bouger. Simple question de sémantique.
 
Bien entendu le groove ne fait pas tout non plus, et l’on peut affirmer sans trop s’avancer que le génie de Josh Homme pour brosser des mélodies immédiatement mémorisables n’est pas pour rien dans son succès. C’est à dire que quand on veut faire de la musique rock l’idéal demeure, envers et contre tout, d’écrire des chansons. Dit comme ça, ç’a l’air con. Pas tant que ça : les vraies belles et grandes chansons sont devenues très rares. Or sur Songs for the Deaf, il n’y a que ça. C’est du grand, du beau, du fort et surtout : de l’immédiat autant que de l’impérissable. Pas besoin de trente six écoutes pour rentrer dedans… en contrepartie, quiconque a entendu ce disque plus d’une fois le gardera en tête pour très, très très longtemps. Choisir un titre parmi cette livrée de rock-songs parfaites relèverait presque du sacerdoce : préférez-vous vous réveiller ce matin avec « Gonna Leave You », « Go with the Flow » ou bien « No One Knows » ? L’idéal, c’est encore de s’envoyer l’album d’une traite. Parce que même lorsqu’elles versent dans le psychédélisme, les Queens le font avec classe : « The Sky Is Fallin’ » est tout simplement (du moins à mon sens) l’un des plus grands morceaux « planants » jamais écrits. Du niveau des grands classiques du Floyd, de tous ces titres qui donnent juste envie de s’allonger sur son lit et de s’envoler – accessoirement d’allumer un joint énorme.
   
Le rock’n’roll devrait-il jamais être autre chose que ce mélange délicieux de fun, de rage et de délire ? Des années que les spécialistes se penchent sur la question sans pouvoir y apporter de réponse… alors ce n’est certainement pas Le Golb qui va vous éclairer sur ce point. En revanche à force d’écouter des trucs estampillés rock alors qu’il s’agit d’autre chose (souvent bien d’ailleurs, la question n’est pas là) je dois avouer qu’il m’arrive de m’éloigner… de m’éloigner du truc. Du rock. D’oublier ce que c’est.
 
Et dans ces cas-là, je me passe Songs For the Deaf.
   
 
Trois autres disques pour découvrir Queens Of The Stone Age :
 
Rated « R » (2000)
Lullabies to Paralyze (2005)
Over the Years and Through the Woods
(live / 2005)