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Entre nous : le dixième anniversaire de The Colour & The Shape, ça intéresse qui ? Pas grand monde, à n’en pas douter. C’est même assez incongru… il y a des rééditions de chefs-d’œuvre qui n’ont aucun sens, alors la réédition d’un disque absolument et totalement mineur, que ce soit dans l’histoire de la musique, dans l’histoire du rock, dans l’histoire du rock des années 90 et même dans l’histoire du rock de 1997… vous pensez bien que ça risque de ne pas trouver beaucoup de preneurs. A plus forte raison parce que The Colour & The Shape n’a jamais cessé d’être disponible dans n’importe quelle FNAC, qu’on le trouve hyper facilement dans les médiathèques et que personne n’a réellement envie de payer une réédition totalement boursouflée, double à s’en faire péter la sous-ventrière… et surtout principalement à base de reprises pour la plupart anodines ! Le simple fait que ce genre d’objet existe est une justification au téléchargement gratuit et illimité de toute la discographie d’un Dave Grohl qui de toute façon n’a aucun problème d’argent.
On comprend bien l’idée : depuis quelques années (depuis 2002 et le revival rock en fait) les Foo Fighters ont changé de statut et ont été redécouverts par une cohortes de jeunes gens voyant en eux les parrains des Vines, Hives et autres Strokes – ce qui n’est d’ailleurs pas totalement faux : les Foo Fighters ont fait partie des hérauts du rock à guitares sous le règne du DJ, aux côtés de gens aussi différents que les Dandy Warhols, Jon Spencer, Pearl Jam… etc. Et aujourd’hui Dave Grohl compte bien profiter du nouveau statut des Foos, genre de grand groupe à l’ancienneté, qui a toujours été diablement efficace à défaut d’avoir jamais fait preuve de génie.
Il y a cependant quelque chose d’assez merveilleux dans l’histoire de ce groupe et dans la manière dont il s’est imposé à contre-courant d’à peu près tout et n’importe quoi – et même d’une certaine manière à contre-courant de lui-même : qui aurait pu prévoir le succès du premier album ? Qui aurait pu dire que « This Is a Call », « I’ll Stick Around » et « Big Me » allaient devenir des tubes indies au côté des classiques de… Nirvana ! Personne. Pas même Dave Grohl, dont Foo Fighters était au départ le pseudonyme : l’idée était de publier anonymement tous les morceaux qu’il avait composé pendant des années sans jamais pouvoir les placer sur les albums ou les singles de Nirvana (à l’exception du délicieux « Marigold »). Ce n’est qu’après coup et poussé par son épouse qu’il forma un groupe de bras-cassés dont les atermoiements furent un temps plus célèbres que la musique. Avec à sa tête l’impétueux Pat Smear, ex-Germs et ex-Nirvana, qui n’a jamais composé un seul titre pour le groupe et ne joue que sur le second album mais aura toujours été considéré paradoxalement comme un de ses pilliers.
Premier véritable disque des Foos en tant que groupe à part entière, The Colour & The Shape n’est franchement pas leur meilleur et il n’a pas fédéré grand monde à sa sortie. Pourtant il fait partie de ces disques un peu curieux qui sans être des chefs d’œuvre ont fini par s’imposer avec le temps à quasiment toutes les personnes qui l’ont acheté à l’époque. On ne saurait pas trop dire pourquoi, mais il a marqué ses acquéreurs au point qu’aujourd’hui tout le monde s’accorde pour dire qu’ « Everlong » est un morceau incontournable – alors que franchement à l’époque les trois quarts de la planète n’en avaient rien à carrer. En fait c’est plus fort que ça encore : en ce qui me concerne (et je sais qu’il en va de même pour beaucoup de gens) je n’écoute cet album qu’une fois par an depuis dix ans… mais je continue à connaître toutes les chansons par cœur. Sans exception. Peut-être tout bêtement parce que ce sont de bonnes chansons, bien fichues et bien produites ?... Hum…Je ne sais pas. Tout ceci est assez étonnant, quoique plus courant qu’on ne le croit (le plus bel exemple du genre étant sans aucun doute Antichrist Superstar de Marilyn Manson, devenu un classique "en creux" alors qu’objectivement ce n’est pas l’album le plus réussi de son temps).
Faut-il donc revoir à la hausse le jugement qu’on avait porté à l'époque sur The Colour & The Shape ? En fait non, même pas : c’est toujours un très bon disque de power-pop, un peu inégal mais frais et très varié. Son principal problème étant qu’il contient beaucoup de pépites et quelques ratages tellement foireux qu’ils font baisser le niveau de l’ensemble. « My Poor Brain », par exemple, ainsi que le désastreux « Wind up », sont si insupportables que même avec la meilleure volonté du monde je ne pourrais pas donner à l’album une note supérieur à 5 (on croit souvent que mes notes sont arbitraires, mais non, pas du tout : deux titres piteux gâchent mon plaisir, et donc mon impression sur un disque – tout bêtement). Je pourrais même ajouter à cette paire « My Hero », morceau typiquement gavant : la première fois qu’on l’entend on aime, la seconde on trouve ça un peu long… au bout de dix écoutes beaucoup commencent à saturer, son côté rock épique beuglard cristallisant à peu près tout ce qui fait le mauvais rock’n’roll depuis plus de cinquante ans.
Et à côté les Foo Fighters, qui n’ont rien d’une bande de bourrins, se révèlent capables de choses sublimes, comme l’héroïque « February Stars », les délicats « Doll » et « Walking After You »… même si bien sûr ce sont les tempos les plus enlevés qui leur vont le mieux. En témoigne les deux meilleures chansons jamais composées par Dave Grohl : l’entêtante « Everlong » et la furibarde « Monkey Wrench », punk-pop comme vous n’en entendrez jamais sur aucun disque d’Offspring. C’est ce côté « racé » qui différenciera toujours Foo Fighters du premier Stereophonics venu : ces mecs-là, contrairement à d’autres, sont cultivés, malins… ils connaissent par cœur leur Pixies (l’album est d’ailleurs produit par Gil Norton), leur Melvins et leur Husker Dü. Et ne manquent jamais une bonne occasion de leurs rendre hommage (« Up in Arms » pour Hüsker Dü, par exemple). De plus au-delà de cela, Dave Grohl a une qualité que beaucoup lui envient : il est sympa. C’est à dire qu’il est l’incarnation du type sympa, par excellence, ce qui fait qu’il pourrait bien se lancer dans la folk-musette qu’on n’arriverait jamais vraiment à le détester. Cet aspect de sa personnalité rejaillit presque toujours sur sa musique, pour laquelle le terme "positive" semble avoir été spécialement inventé. A tel point qu'il y a quelques années, quand les Foos sont devenus (Zidane sait comment) groupe du mois sur le forum dont je m'occupais, le mot "sympa" est revenu dans 99 % des commentaires. Dave, il ne se prend pas au sérieux, écrit des paroles souvent très drôles… et sait qu’il n’est ni le plus grand chanteur ni le plus grand guitariste du monde. Punk dans l’âme, il fait d’ailleurs involontairement de ces (grosses) limites l’un des principaux points forts de son groupe : sa voix n’est pas exceptionnelle, mais elle ne ressemble à aucune autre. Idem pour son son de gratte… du coup il y a bel et bien une touche Foo Fighters. Une marque de fabrique faisant qu’on reconnaîtra toujours le groupe à la première note, même si on n’a jamais entendu la chanson. Quel que soit le disque ou le genre abordé (et avec le temps leur œuvre est de plus en plus variée), on sait quand ce sont eux. Toujours. Et c’est sur The Colour & The Shape qu’ils en posent les bases, bien plus que sur le premier album. Des bases affinées au fil des ans… ce qui fait qu’à chaque fois, le nouveau Foo Fighters est meilleur que ceux d’avant. Autant dire qu’ils ne sont pas beaucoup à en être capables. Et autant dire aussi que personne ne leur aurait jamais prédit une telle carrière. Pourtant tout était déjà là. Même pas dans ce disque : dans la seule chanson « New Way Home », étonnant patchwork, comme une carte de visite de tous ce que sait faire Dave Grohl.
👍👍 The Colour & The Shape
Foo Fighters | Capitol, 1997
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