mercredi 24 octobre 2007

Rire. Chialer. Ou l'inverse, ou les deux en même temps.

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°1]
Le Cosmonaute - Philippe Jaenada (2002)

Le Cosmonaute, je ne sais même plus dans quelles circonstances je l’ai acheté. Ça commence mal. Cela dit je peux quand même vous dire un truc, c’est que c’est le premier au livre auquel j’ai pensé en créant cette nouvelle rubrique – juste après As I Lay Dying de Faulkner. C’est vous dire s’il compte pour moi. Pourtant à l’époque aussi enthousiaste que je fusse, j’étais bien loin de penser qu’il allait me marquer à ce point. Pour tout dire une simple relecture en diagonale m’a suffi pour rédiger cette chronique tant je m’en souviens encore comme si c’était hier. Alors, certes, je veux bien reconnaître que :

1/ j’en avais déjà écrit une critique à l’époque, que je vais réutiliser dans sa quasi intégralité aujourd’hui

2/ cette époque n’est pas si ancienne, puisqu’elle remonte à la semaine précédant l’ouverture de ce blog (donc avril 2006).

Mais justement : un coup d’œil à la liste des catégories ci-contre vous permettra de voir que j’ai lu un nombre des livres pour le moins conséquent depuis, dont je dois bien admettre que beaucoup même parmi les meilleurs ont été totalement effacés par le temps (l’index des livres me servant parfois de pense-bête, tenez : l’autre jour j’ai été très surpris d’apprendre que j’avais déjà étrillé Hervé Bazin par le passé, je l’avais complètement oublié, pourtant ce n’est pas si vieux).

J’ai bien conscience que ce que je raconte-là n’est pas franchement à mon honneur, mais très honnêtement que celui qui ne s’est jamais dit avec un peu de recul qu’il avait sur ou sous-estimé un bouquin me jette la première pierre. N’importe quel gros lecteur comprendra ce que je veux dire – c’est tout simplement d’autant plus marqué chez moi que je suis un ogre.

Or précisément la critique que j’avais faite du Cosmonaute n’a tout simplement pas pris une ride. Je n’en ôterais pas un mot. Un livre susceptible de provoquer ça chez moi mérite je crois d’être (re)mis en avant. A l’époque je ne connaissais pas franchement Jaenada (pour tout dire je le connais à peine plus aujourd'hui). Je n’avais lu que Le Chameau sauvage, et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne m’avait pas fait du tout le même effet vu que je m’en rappelais juste assez pour savoir que c’était très bon (je songe d’ailleurs à le relire, du coup). Et je m’étais ainsi plongé dans Le Cosmonaute sans trop savoir où je foutais les pieds – attitude surtout agréable quand vous tombez sur un grand livre. C’en est un, de ceux que je préfère parce qu’ils s'ouvrent dans la joie et l'allégresse : le narrateur, Hector, se fait expulser de la salle dans laquelle sa compagne, Pimprenelle, est en train d'accoucher. Une ouverture un peu chaotique (mais l'écriture de Jaenada est en elle-même assez chaotique) qui se clôt sur l'image de la sage-femme sortant de la salle avec le bébé inerte dans les bras.... rien que de très pimpant, donc.

Suite à cela, Hector va nous raconter l'avant, l'après, le pendant, de nouveau l'après, dans un genre de bordel structurel totalement volontaire et terriblement bien vu si l'on considère qu'à aucun moment le narrateur ne prétend être en train d'écrire son histoire. On est en fait, littéralement, dans la tête du personnage. Et d'entrée de jeu, on est frappé par le style fulgurant de Jaenada, sa capacité à capter n’importe quelle émotion en deux phrases (certes plutôt longues, mais ne soyons pas trop regardants). Je ne sais pas si je dois en remettre une couche à propos de ses célèbres parenthèses multiples ? J’imagine sans peine que c’est un peu son marronnier perso, seulement pensons tout de même à ceux qui ne verraient pas de quoi il s’agit. Par exemple (je dis bien par exemple (et vous noterez au passage que je ne prétends pas avoir le style de l'auteur (excellent au demeurant))) voilà à quoi ça ressemble (et ne me dites pas s’il vous plaît que je suis le soixantième kéké à illustrer ainsi ce petit procédé (je n’ai aucune envie d’entendre ça (même si c’est vrai))). Évidemment, et ce sera mon bémol, il en use et abuse un peu. Arrivé à la moitié, ce qui était une trouvaille est devenu un gimmick (d’autant que depuis j’ai lu La Grande à bouche molle, publié avant, et que c’est beaucoup moins prononcé – ce qui tend à suggérer que le truc s’est développé et que dans dix livres Jaenada risque d'écrire tout le roman entre parenthèses, voire même de supprimer les mots), mais un gimmick sympa et pas trop agaçant puisque le fond suit et que, finalement, ces multiples parenthèses ne sont que le reflet du chaos psychologique dans lequel est plongé le narrateur. Je vous l’ai je crois déjà raconté, mais mon prof de français de première disait toujours que la parenthèse dans un texte devait toujours pouvoir être supprimée, il appelait ça "la faillite de la pensée"... mon prof de français de première était génial, mais sur ce coup là il avait tort : si on s'amuse à sucrer toutes les parenthèses du roman il diminue d'un bon quart - mais perd son intérêt.

Autre grand talent de l'auteur : quand certains de ses contemporains usent jusqu'à la corde de la narration à la première personne (dois-je donner des noms ? ), Jaenada lui redonne toute sa noblesse : le côté extrêmement "réaliste" du livre pose la question de l'autobiographie, mais bien malin celui qui arrivera à démontrer que ça l'est ou que ça l'est pas (je ne suis pas du tout malin, cela dit en passant, et si je sais ce qu'il en est c'est parce que je l'ai appris par la suite à mon corps défendant). Car l'ensemble est constamment sur le fil et à part… oui : à part Philip Roth (allez-y, bidonnez-vous, traitez-moi d'obsessionnel), je n’ai pas souvenir d’avoir croisé un écrivain capable de si parfaitement jouer de la confusion auteur/narrateur/personnage (ce sans pour autant nuire à son texte).

Bon : à ce stade, il est peut-être temps de dire de quoi il nous parle ce narrateur ! Il nous parle de sa vie de couple, pour le moins bordélique, avec une femme maniaco-dépressive souffrant de tocs (l'un entraînant probablement l'autre, sans qu'on sache trop dans quel ordre). Il nous parle de comment la vie de couple peut être autant source de bonheur que d'horreur. Plutôt que de me reporter à un quatrième de couverture qui (comme d'habitude) nous en dit beaucoup trop, je préfère citer quelques lignes qui résument à elles seules le nœud de l'histoire :


"...vivre avec quelqu'un, je crois, ce n'est pas ne plus exister ailleurs. Ce n'est pas mourir pour tout le reste."

... voilà ce que tente d'expliquer Hector à Pimprenelle, et voilà ce qu'elle refuse de comprendre et que lui refuse d'accepter.

La littérature a parfois quelque chose de magique... je ne connais pas personnellement Philippe Jaenada (cependant je l'ai peut-être croisé, je ne sais même pas la tête qu'il a !) mais en racontant des épisodes pour le moins sordides de ma propre vie il est parvenu à me faire éclater de rire. La légèreté du ton, le côté bordel totalement maîtrisé du texte m'ont touché en plein cœur, m'ont désarçonné, m'ont même dérangé tant par instant j'avais l'impression que c'était mon histoire que j'étais en train de lire (à l’époque hélas on ne parlait pas encore de plagiat psychique TM, sans quoi j’aurais pu me faire des ronds). Un sentiment étrange, curieux... qui m'empêchera toujours d'être totalement objectif sur le sujet, et qui surtout m'obligea à terminer ma première critique en queue de poisson. Il va sans dire que je n’aurais peut-être pas autant aimé ce livre s’il ne m’avait perpétuellement renvoyé à moi-même, cependant je ne peux que vous dire de le lire à votre tour, sinon pour connaître une partie de ma vie aujourd’hui fort lointaine du moins pour apprendre à rire et chialer en même temps. Voilà bien longtemps que je ne vous avais plus ressorti ma traditionnelle marotte des auteurs capables de raconter des choses très tristes tout en étant très drôles – qui bien entendu comptent parmi les meilleurs. C’est désormais chose faite.

A noter que ce roman n’est pas tout à fait à moi et rien qu’à moi, puisque peu après je l’ai offert (oui je sais, c’est pas très cohérent) à ma lectrice–test. Verdict de ma grand-mère : « Il est génial ce livre ! Tu attends quoi pour dire aux lecteurs de ton blog de le lire ? ».

Bonne question.


Deux autres livres pour découvrir Philippe Jaenada :

Le Chameau sauvage (1997)
La Grande à bouche molle (2001)