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Il y a des auteurs qu’il vaut mieux éviter de lire à la chaîne… dont il faut apprendre à profiter. Cela s’applique sans doute à la grande majorité des écrivains, bien entendu, mais il en existe aussi, plus rares, qu’une lecture à la file risquerait de dévaluer considérablement. Henry Miller est de ceux-là. En fait, Henry Miller est même un faux ami, puisqu’il est précisément l’archétype de l’auteur qu’on aurait envie de lire à la file. Tous ses livres se répondant et leur nombre étant considérable, on n’en a jamais terminé avec lui. Je n’ai pas souvenir d'avoir déjà croisé quelqu'un qui ait lu tout Miller. Je ne suis même pas certain que ça existe (bien sûr en écrivant cela je me doute qu’il y aura bien une personne pour me dire Si, moi j’ai tout lu ; qu’elle s’abstienne : je parie que je pourrais trouver des titres qu’elle ne connaît pas).
Un faux ami, disais-je, parce que son œuvre colossale on en sort jamais. Si vous décidez de lire n’importe qui à la file (même Proust !), ça va être long mais vous allez quand même finir au bout d’un moment. Avec Miller, pas possible : vous serez lassés, écoeurés voire overdosés avant. Car si ses livres sont régulièrement géniaux ils sont aussi particulièrement redondants les uns par rapport aux autres – plus spécialement les plus autobiographiques qui se recoupent quasiment tout le temps. Au fil des années, j’ai appris à picorer dans son œuvre pour ne pas m’en lasser, à n’en lire qu’un par un an, deux maximum, pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur… Si on avait dit à Henry Miller que quelqu’un un jour le ménagerait de la sorte, ça l’aurait sans doute franchement agacé…
Quiet Days in Clichy fait partie des innombrables bouquins de Miller enterrés au fin fond de son opulente bibliographie. Il est remarquable. Tout à la fois promenade dans le Paris des années 30 et ouvrage pornographique de premier plan, il surprend régulièrement par la vivacité de l’écriture ou la modernité du propos. Coïncidence : dans le livre que j’avais lu juste avant (Shop Talk), Kundera confiait à Philip Roth qu’il trouvait Henry Miller totalement daté – plus spécialement dans son rapport au sexe. La phrase m’avait un peu turlupiné, pas au point que je lise Quiet Days in Clichy dans la foulée pour vérifier – juste assez pour que cela me revienne à présent. Bien entendu, je suis on ne peut moins d’accord. J’irai même jusqu’à dire que la réflexion de Kundera sur Miller est totalement conne, et relève de la provocation rockeuse à deux balles : à l'époque Miller était encore en vie et au sommet de sa popularité.
(notez ce n’est sans doute pas la première fois que le grand Kundera dit une connerie, soit, mais c’est la première fois que je le gaule)
Je ne me lancerai pas dans un long développement sur le sujet (quoiqu’il serait sans doute intéressant de comparer l’érotisme totalement cérébral de Kundera à l’expression sexuelle brute de Miller), en revanche je ne peux que récuser cette idée aussi curieuse que stupide : dans ce court texte publié en 1956 (mais écrit en 1940), le style de Miller est plus tranchant que jamais, d’une incroyable pureté (pureté ne signifiant pas nécessairement préciosité ; le cas échéant l’écriture de Miller est pure parce que dépourvue de tout apparat, épurée à l’extrême), précisément dans les passages pornographiques, dont le tout premier est pour le moins inhabituel : très sobre, presque pudique, cru mais pas brutal comme ailleurs chez l’auteur. Assez poétique, en fait, à l’image des promenades de l’auteur–narrateur dans un Paris qu’il commence alors tout juste à découvrir. Le titre n’est pas mensonger : Quiet Days in Clichy est effectivement un roman très quiet – apaisé et même apaisant. Typiquement le genre de truc qu’on n'attend pas du tout de Henry Miller et qui réjouit du début à la fin. Le ton y est pour beaucoup : on a l’impression que Miller traverse toutes ces aventures pourvu d’un genre de placidité douce-amère, presque flegmatique, jetant un regard distancié sur les gens et les évènements les plus sombres. Il apparaît tout simplement charmant, au point qu’il semble presque logique que toutes les femmes croisant sa route se retrouvent dans son lit – il est teeeeeeeeeeeeellement sympa ce Miller. Quand on sait qu’en fait Miller était un enfoiré de première catégorie, on se dit qu’on touche là au Miracle de la Littérature. A la transcendance, ni plus ni moins.
Excellent bouquin.
Il y a des auteurs qu’il vaut mieux éviter de lire à la chaîne… dont il faut apprendre à profiter. Cela s’applique sans doute à la grande majorité des écrivains, bien entendu, mais il en existe aussi, plus rares, qu’une lecture à la file risquerait de dévaluer considérablement. Henry Miller est de ceux-là. En fait, Henry Miller est même un faux ami, puisqu’il est précisément l’archétype de l’auteur qu’on aurait envie de lire à la file. Tous ses livres se répondant et leur nombre étant considérable, on n’en a jamais terminé avec lui. Je n’ai pas souvenir d'avoir déjà croisé quelqu'un qui ait lu tout Miller. Je ne suis même pas certain que ça existe (bien sûr en écrivant cela je me doute qu’il y aura bien une personne pour me dire Si, moi j’ai tout lu ; qu’elle s’abstienne : je parie que je pourrais trouver des titres qu’elle ne connaît pas).
Un faux ami, disais-je, parce que son œuvre colossale on en sort jamais. Si vous décidez de lire n’importe qui à la file (même Proust !), ça va être long mais vous allez quand même finir au bout d’un moment. Avec Miller, pas possible : vous serez lassés, écoeurés voire overdosés avant. Car si ses livres sont régulièrement géniaux ils sont aussi particulièrement redondants les uns par rapport aux autres – plus spécialement les plus autobiographiques qui se recoupent quasiment tout le temps. Au fil des années, j’ai appris à picorer dans son œuvre pour ne pas m’en lasser, à n’en lire qu’un par un an, deux maximum, pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur… Si on avait dit à Henry Miller que quelqu’un un jour le ménagerait de la sorte, ça l’aurait sans doute franchement agacé…
Quiet Days in Clichy fait partie des innombrables bouquins de Miller enterrés au fin fond de son opulente bibliographie. Il est remarquable. Tout à la fois promenade dans le Paris des années 30 et ouvrage pornographique de premier plan, il surprend régulièrement par la vivacité de l’écriture ou la modernité du propos. Coïncidence : dans le livre que j’avais lu juste avant (Shop Talk), Kundera confiait à Philip Roth qu’il trouvait Henry Miller totalement daté – plus spécialement dans son rapport au sexe. La phrase m’avait un peu turlupiné, pas au point que je lise Quiet Days in Clichy dans la foulée pour vérifier – juste assez pour que cela me revienne à présent. Bien entendu, je suis on ne peut moins d’accord. J’irai même jusqu’à dire que la réflexion de Kundera sur Miller est totalement conne, et relève de la provocation rockeuse à deux balles : à l'époque Miller était encore en vie et au sommet de sa popularité.
(notez ce n’est sans doute pas la première fois que le grand Kundera dit une connerie, soit, mais c’est la première fois que je le gaule)
Je ne me lancerai pas dans un long développement sur le sujet (quoiqu’il serait sans doute intéressant de comparer l’érotisme totalement cérébral de Kundera à l’expression sexuelle brute de Miller), en revanche je ne peux que récuser cette idée aussi curieuse que stupide : dans ce court texte publié en 1956 (mais écrit en 1940), le style de Miller est plus tranchant que jamais, d’une incroyable pureté (pureté ne signifiant pas nécessairement préciosité ; le cas échéant l’écriture de Miller est pure parce que dépourvue de tout apparat, épurée à l’extrême), précisément dans les passages pornographiques, dont le tout premier est pour le moins inhabituel : très sobre, presque pudique, cru mais pas brutal comme ailleurs chez l’auteur. Assez poétique, en fait, à l’image des promenades de l’auteur–narrateur dans un Paris qu’il commence alors tout juste à découvrir. Le titre n’est pas mensonger : Quiet Days in Clichy est effectivement un roman très quiet – apaisé et même apaisant. Typiquement le genre de truc qu’on n'attend pas du tout de Henry Miller et qui réjouit du début à la fin. Le ton y est pour beaucoup : on a l’impression que Miller traverse toutes ces aventures pourvu d’un genre de placidité douce-amère, presque flegmatique, jetant un regard distancié sur les gens et les évènements les plus sombres. Il apparaît tout simplement charmant, au point qu’il semble presque logique que toutes les femmes croisant sa route se retrouvent dans son lit – il est teeeeeeeeeeeeellement sympa ce Miller. Quand on sait qu’en fait Miller était un enfoiré de première catégorie, on se dit qu’on touche là au Miracle de la Littérature. A la transcendance, ni plus ni moins.
Excellent bouquin.
👍👍 Quiet Days in Clichy [Jours tranquilles à Clichy]
Henry Miller | Olympia Press, 1956
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