...
Suite à une discussion avec Gaël et Lily, qui elle-même faisait suite à ma chronique de Doggy Bag, Saison 2, j’ai fini par me lancer dans une relecture des premiers livres de Philippe Djian (ou plus généralement de ceux dont je ne me souviens plus vraiment). On va encore me demander comment je peux relire un auteur… je ne saurais pas répondre. Tout au plus me permettrais-je de préciser qu’il y a des auteurs plus agréables que d’autres à relire – il est évident que dans le cas des très cérébraux Kundera ou Rushdie j’aurais hésité un peu plus longtemps.
Alors voilà. Zone érogène. Second roman de l’auteur, mais premier que j’ai lu. A quinze ans, peut-être même un peu moins. Allais-je encore aimer ? C’est un fait, les livres du Djian des années 80 se ressemblent tous. Hormis Échines (qui d’ailleurs est le dernier de cette décennie – y a po d’hasard ma brav’dame) je ne m’en souviens même pas vraiment. Lorsque je les recommande, je suis toujours un peu géné : neuf fois sur dix quand je cite un passage de Bleu comme l’Enfer je m’aperçois qu’il s’agit d’un passage de Zone érogène, que je mélange pour sa part avec Maudit manège que… Je ne voudrais pas être méchant à l’égard d’un des auteurs qui m’ont le plus marqué durant mes folles années, mais très franchement si on faisait du cut-up dans ses bouquins de l’époque je ne suis pas certain qu’on verrait la différence. D’ailleurs il a dû s’en rendre compte : à partir de 1988, son œuvre s’est sacrément renouvelée (quitte à frôler par moment l’hétéroclite mais c’est un autre débat).
En ressortant Zone érogène de ma bibliothèque, j’ai vécu l’espace d’un instant un effet madeleine de Proust rapidement chassé par la lecture du quatrième de couverture :
… Parce qu’il n’est pas facile d’écrire un roman et d’aimer une femme en même temps. Parce que l’écriture est une nana tyrannique qui n’admet pas de rivale.
Ah ! Les éditions J’ai Lu et leurs quatrièmes racoleuses toutes pleines de phrases creuses essayant piteusement d’imiter le style de l’auteur. Il paraîtrait que cette maison existe encore…
Autant vous dire qu’après avoir lu ça, j’étais refroidi. Je m’attendais à retomber sur les passages que j’avais soulignés plus jeune et à chialer de honte à l’idée d’avoir noté des citations aussi nulles…
… sauf que non. Je suis rentré dans le roman sans problème et j’en suis ressorti un sourire béat sur les lèvres.
Ce n’est sans doute pas le meilleur de Djian. Il n’y a pas vraiment d’histoire (juste un écrivain loser au milieu de nanas forcément canons, qui essaie de survivre à la médiocrité de sa vie et accessoirement d’écrire un bouquin), quelques faiblesses dans la narration… mais ces portraits sont exquis, mordants, drôles et tendres à la fois (on a déjà dû l’écrire, ça)… et l’écriture, elle fait mouche, elle en jette. Style simple, concis. Pas un mot de trop, juste ce qu’il faut pour laisser passer les émotions. La sobriété, une autre forme de pudeur.
Dans mon souvenir c’était vraiment brut de décoffrage, du Bukowski transposé dans la campagne franchouillarde, du Brautigan où le héros bouffait du fromage et roulait en Peugeot. Tout faux : Zone érogène transpire d’un amour sincère et profond pour l’humanité dans son ensemble, même lorsqu’elle est conne ou insensée. De la Folie Ordinaire, certes, mais aucune noirceur et même, par instant, de vrais morceaux d’optimisme à l’intérieur. Le tout mêlé à un parfum d'adolescence envolée qui ne peut laisser indifférent le jeune vieux que je suis...
Bien sûr, ceux qui n’ont jamais remarqué que la ville avait une odeur particulière après une averse, qui ne se sont jamais senti totalement dépassés par le monde dans lequel ils vivent, qui n’ont jamais été angoissés par des choses de rien… ceux-là n’aimeront pas. Ils détesteront. Ils diront qu’il y a trop de cul, trop de gros mots, que c’est pas du langage soigné et que l’histoire n’a pas d’intérêt. Peut-être diront-ils que ce n’est pas de la grande et belle littérature. Le baratin habituel, quoi. Il ne faudra pas les écouter : Zone érogène est un bon livre, et Djian un grand écrivain. Pas de ceux qui bâtissent des univers. De ceux qui transcendent le quotidien pour en extraire la poésie. Et qui finissent, vils corrupteurs, par pousser un ado de quinze ans à chercher dans le dictionnaire ce que c’est qu’une zone érogène. Ce n’est certes pas aussi vénérable qu’un sermon sur les dangers de la drogue ou le Devoir de Mémoire, mais c’est autrement plus excitant à lire. Dans tous les sens du terme.
Allez, promis : la prochaine chronique sur Djian sera littéraire
Suite à une discussion avec Gaël et Lily, qui elle-même faisait suite à ma chronique de Doggy Bag, Saison 2, j’ai fini par me lancer dans une relecture des premiers livres de Philippe Djian (ou plus généralement de ceux dont je ne me souviens plus vraiment). On va encore me demander comment je peux relire un auteur… je ne saurais pas répondre. Tout au plus me permettrais-je de préciser qu’il y a des auteurs plus agréables que d’autres à relire – il est évident que dans le cas des très cérébraux Kundera ou Rushdie j’aurais hésité un peu plus longtemps.
Alors voilà. Zone érogène. Second roman de l’auteur, mais premier que j’ai lu. A quinze ans, peut-être même un peu moins. Allais-je encore aimer ? C’est un fait, les livres du Djian des années 80 se ressemblent tous. Hormis Échines (qui d’ailleurs est le dernier de cette décennie – y a po d’hasard ma brav’dame) je ne m’en souviens même pas vraiment. Lorsque je les recommande, je suis toujours un peu géné : neuf fois sur dix quand je cite un passage de Bleu comme l’Enfer je m’aperçois qu’il s’agit d’un passage de Zone érogène, que je mélange pour sa part avec Maudit manège que… Je ne voudrais pas être méchant à l’égard d’un des auteurs qui m’ont le plus marqué durant mes folles années, mais très franchement si on faisait du cut-up dans ses bouquins de l’époque je ne suis pas certain qu’on verrait la différence. D’ailleurs il a dû s’en rendre compte : à partir de 1988, son œuvre s’est sacrément renouvelée (quitte à frôler par moment l’hétéroclite mais c’est un autre débat).
En ressortant Zone érogène de ma bibliothèque, j’ai vécu l’espace d’un instant un effet madeleine de Proust rapidement chassé par la lecture du quatrième de couverture :
… Parce qu’il n’est pas facile d’écrire un roman et d’aimer une femme en même temps. Parce que l’écriture est une nana tyrannique qui n’admet pas de rivale.
Ah ! Les éditions J’ai Lu et leurs quatrièmes racoleuses toutes pleines de phrases creuses essayant piteusement d’imiter le style de l’auteur. Il paraîtrait que cette maison existe encore…
Autant vous dire qu’après avoir lu ça, j’étais refroidi. Je m’attendais à retomber sur les passages que j’avais soulignés plus jeune et à chialer de honte à l’idée d’avoir noté des citations aussi nulles…
… sauf que non. Je suis rentré dans le roman sans problème et j’en suis ressorti un sourire béat sur les lèvres.
Ce n’est sans doute pas le meilleur de Djian. Il n’y a pas vraiment d’histoire (juste un écrivain loser au milieu de nanas forcément canons, qui essaie de survivre à la médiocrité de sa vie et accessoirement d’écrire un bouquin), quelques faiblesses dans la narration… mais ces portraits sont exquis, mordants, drôles et tendres à la fois (on a déjà dû l’écrire, ça)… et l’écriture, elle fait mouche, elle en jette. Style simple, concis. Pas un mot de trop, juste ce qu’il faut pour laisser passer les émotions. La sobriété, une autre forme de pudeur.
Dans mon souvenir c’était vraiment brut de décoffrage, du Bukowski transposé dans la campagne franchouillarde, du Brautigan où le héros bouffait du fromage et roulait en Peugeot. Tout faux : Zone érogène transpire d’un amour sincère et profond pour l’humanité dans son ensemble, même lorsqu’elle est conne ou insensée. De la Folie Ordinaire, certes, mais aucune noirceur et même, par instant, de vrais morceaux d’optimisme à l’intérieur. Le tout mêlé à un parfum d'adolescence envolée qui ne peut laisser indifférent le jeune vieux que je suis...
Bien sûr, ceux qui n’ont jamais remarqué que la ville avait une odeur particulière après une averse, qui ne se sont jamais senti totalement dépassés par le monde dans lequel ils vivent, qui n’ont jamais été angoissés par des choses de rien… ceux-là n’aimeront pas. Ils détesteront. Ils diront qu’il y a trop de cul, trop de gros mots, que c’est pas du langage soigné et que l’histoire n’a pas d’intérêt. Peut-être diront-ils que ce n’est pas de la grande et belle littérature. Le baratin habituel, quoi. Il ne faudra pas les écouter : Zone érogène est un bon livre, et Djian un grand écrivain. Pas de ceux qui bâtissent des univers. De ceux qui transcendent le quotidien pour en extraire la poésie. Et qui finissent, vils corrupteurs, par pousser un ado de quinze ans à chercher dans le dictionnaire ce que c’est qu’une zone érogène. Ce n’est certes pas aussi vénérable qu’un sermon sur les dangers de la drogue ou le Devoir de Mémoire, mais c’est autrement plus excitant à lire. Dans tous les sens du terme.
Allez, promis : la prochaine chronique sur Djian sera littéraire
👍👍 Zone érogène
Philippe Djian | J'ai lu, 1984