dimanche 11 novembre 2007

Billy Corgan (Part 1)

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Avec la reformation des Smashing Pumpkins, Billy Corgan a d’abord surpris tout le monde, puis fait rire la terre entière. Mauvaise foi ? Procès d’intentions ? Même pas. Juste que pour beaucoup, y compris parmi leurs fans les plus fervents, les Smashing Pumpkins sont indissociables d’une époque (les années 90), d’un son (grunge) et d’une démarche artistique exigeante s’accommodant mal du concept de reformation. Ce n’est pas par hasard si de toutes les reformations des dernières années celle-ci a été la plus critiquée, conspuée ou sifflée. C’est aussi parce qu’avec celle des Pixies elle est la plus décalée. En attendant qu’un verdict définitif (donc forcément rétroactif) se dégage du controversé Zeitgeist, retour sur la discographie du songwriter le plus mégalo de sa génération. L’histoire d’un type qui aurait bien voulu être connu comme artiste à part entière plutôt que comme rockstar. Et aura lutté toute sa carrière contre les sirènes du succès… pour mieux s’y vautrer à l’approche de la quarantaine. Comme tous les autres, quoi !

1/ ALBUMS STUDIOS

On a connu discographie plus fournie : tous projets confondus, Billy Corgan n’aura enregistré que neuf albums studios en vingt ans. Le grand chauve alors très chevelu n’a jamais pu être accusé de surcharger le marché, y compris durant la période 1995-97 où les Pumpkins étaient au faîte de leur gloire. Ceci étant, il m'a paru impossible d'organiser le Rékapituléidoscope en périodes comme je l'avais fait pour Bowie et Cave.

Assez curieusement, on a aussi connu discographie plus réussie. Non pas que le répertoire de Corgan soit mauvais, mais même le fan indulgent que je suis dois reconnaître qu’il n’a enregistré que trois véritables chefs-d’œuvre : Mellon Collie (bien sûr), Adore (forcément) et Machina (évidemment). Tous ses autres disques sont absolument dispensables, contenant autant de faiblesses que de coups de génie, sans doute parce que sur la ligne de départ l’ami Billy a parfois fait preuve de goûts douteux. Avoir été adoubé par Bowie ou bossé avec New Order ne suffit pas à faire oublier que le gaillard est un grand fan de Fleetwood Mac (argh), admire Grateful Dead (double argh) et ne rechigne pas devant un petit Queen (théoriquement, là, la moitié de ses fans vient de se pendre).

Autre constante de l’œuvre, qui tendra d’ailleurs à relativiser les réactions tiédasses suscitées par le récent Zeitgeist, même les grands classiques du groupe le sont devenus a posteriori. Certes, « Disarm », « Zero » et « 1979 » ont été entubés dès leur parution. Mais la plupart des albums de Corgan, avec ou sans les Smashing Pumpkins, se sont littéralement faits déchirer par la critique pour ne susciter l’adhésion qu’au fil du temps. Rarement classic-album aura été autant conchié par la presse que Mellon Collie & The Infinite Sadness, pourtant considéré aujourd’hui comme un incontournable des années 90 y compris par les détracteurs du groupe. Quant à l’indifférence totale suscitée par Zwan ou l’album solo de Billy Corgan, elles sont justes totalement incompréhensibles (certes ces disques ne sont pas les meilleurs de tous les temps, mais de là à n’avoir quasiment aucune presse il y a une marge !).

Cette relation assez particulière entre le bonhomme et les professionnels de la profession met curieusement en perspective ses propos, lorsqu’il argua en 2000 dissoudre le groupe parce qu’il n’intéressait plus personne : ce faisant, Corgan s’est coupé non-seulement des critiques, mais aussi surtout d’un public qui avait continué à le soutenir en dépit de l’orientation moins rock de sa musique. Rien d’étonnant à ce qu’il finisse par remettre le couvert sept ans plus tard, avec un succès des plus… relatifs ! si l’on considère que par rapport à la plupart des reformations actuelles (les plus médiocres comprises) celle des Smashing Pumpkins n’a pas tellement mobilisé les foules. Sans doute parce que trop rapide, et sans doute aussi parce que ce n’en est pas une vraie : seul le nom du groupe est de nouveau d’actualité. Le personnel n’est plus le même, quant à la musique… Billy Corgan ayant toujours tout composé, il n’a jamais cessé de faire du Smashing Pumpkins avec ou sans ses camarades.

Au-delà de ces considérations évidentes, un autre aspect de sa personnalité rejaillit d’une étude approfondie de son œuvre et de ses (multiples) interviews (sans parler du journal passionnant et actualisé presque quotidiennement qu’il tint un temps sur son myspace). Il s’agit d’une frustration immense et directement corollaire de sa mégalomanie, à l’idée d’être éternellement condamné à être le numéro 2. Numéro 2 derrière Kurt Cobain, bien sûr, l’ami et rival dont le fantôme l’a poursuivi jusque dans sa vie amoureuse. Numéro 2 aussi derrière Radiohead, dont l’OK Computer balaya toute la planète rock en 1997-98 – moment où Corgan estimait naïvement qu’enfin son heure était venue. Numéro 2 derrière Trent Reznor, à qui on eut de cesse de le comparer au moment de The Future Embrace. Numéro 2 au top des « survivants des 90’s », derrière l’indéboulonnable Eddie Vedder…

… il n’est donc pas interdit de penser que cette volonté farouche de se démarquer de tous les courants et de toutes les modes soit directement issue du fait que Corgan aura été toute sa vie mésestimé, considéré comme un second couteau par les gens sérieux, voirr même par certains autres artistes (j’ai souvenir, notamment, d’une interview de Jonny Greenwood où « ce ringard de Corgan » s’en prenait plein la gueule durant cinq bonnes minutes). Être réduit sans cesse au niveau d’habile faiseur alors qu’on a de cesse d’imposer un univers complexe et des compositions ambitieuses… voilà qui peut froisser le moins exigeant des égos. Devoir toujours se cogner les mêmes réflexions sur sa voix nasillarde au bout de vingt ans de carrière, ça doit franchement agacer. Et supporter pendant sept années de silence citrouillesque d’être rabaissé au rang de sympathique souvenir d’une époque révolue alors qu’on se troue pour proposer quelque chose de différent… ça doit effectivement donner envie de reformer son ancien groupe.

Mais ne nous perdons pas dans un trop long et didactique éditorial, et venons-en aux disques en eux-mêmes. Neuf albums, tous différents, tous complémentaires. Dont certains sont d’ores et déjà devenus indispensables à toute bonne discothèque, quand d’autres gagneraient sans doute à être redécouverts.


👎 Gish (THE SMASHING PUMPKINS, 1991)

A l’instar du premier Radiohead, le premier Smashing Pumpkins est un début-album rétrospectivement assez déroutant, puisque donnant assez peu de pistes quant à la suite de l’œuvre. Un premier album synonyme de premiers malentendus pour le groupe de Chicago, affilié fort hâtivement à un mouvement grunge avec lequel il présente assez peu de points communs. Rien d’étonnant à cela : de même que tout disque électrique énervé sorti en 1977-78 aura été classé punk, tout disque de rock US publié entre 1990 et 1992 sera catalogué grunge sans autre forme de procès. Or le punk, précisément, est ce qui différencie d’emblée les Smashing Pumpkins des autres formations rattachées (à tort ou à raison) au mouvement. Corgan s’en balance totalement, et vous conviendrez que du grunge non influencé par le punk (ou éventuellement le hardcore), ce n’est pas vraiment du grunge. Si l’on se fie à la définition de ce courant établie au début des années 90 et voulant que la vague originaire de Seattle soit influencée par les trois B (Black Sabbath / Black Flag / Big Black), il paraît évident que les Pumpkins de Gish (tout comme le Radiohead de « Creep ») ne sont pas grunge. A la limite (j’ai bien écrit à la limite) si le mot avait existé à l’époque on aurait éventuellement pu les rattacher au stoner (quoique Gish ne tache jamais comme du Kyuss ou du Cathedral).

Le second malentendu (de taille) découle directement du premier : dès cette première fournée, Billy Corgan sera considéré comme un vendu surfant sur la vague. Pour avoir signé chez une major (Virgin) sans passer par la case indé (son travail pour Sub Pop n’excéda pas le seul single Tristessa, mi-1990), le géant torturé puera longtemps des pieds auprès des critiques américains (tout comme d’autres d’ailleurs, Alice In Chains en tête). L’injustice est d’autant plus flagrante que ce pacte avec le diable multinationalesque n’a rien de surprenant de la part d’un mec n’ayant jamais goûté ni le punk, ni l’alternatif – encore moins l’underground. Quand Kurt Cobain listait parmi ses groupes préférés les Melvins, Dinosaur Jr ou Sonic Youth, Corgan, lui, écoutait en boucle les papes du hard-rock des 70’s : Led Zeppelin, Black Sabbath et Blue Öyster Cult. A la fois plus nostalgique et par bien des aspects plus visionnaire, son œuvre s’en ressent. A commencer par Gish qui figure la rencontre plutôt contre nature des Pixies trash-rock de Bossanova et du Sabbath obèse de plomb de Masters of Realtiy. Particulièrement massif (pléonasme) et très seventies dans l’esprit (aussi), ce premier opus ne sonne même pas vraiment grunge, quand bien même Butch Vig en est le producteur assez malheureux vu le son terriblement daté dont l’objet a hérité (tout comme son successeur Siamese dream… et la plupart des productions Vig, à vrai dire ; Cobain lui-même n’a t’il pas fait remixer Nevermind par Andy Wallace tellement il était déçu du boulot du futur batteur de Garbage ?).

Les réactions de l’époque seront aussi virulentes que l’attente était grande suite au succès du maxi I Am One et à une poignée de prestations prometteuses en première partie des demi-dieux de l’époque : Jane’s Addiction. Gish sera littéralement pilé par les critiques du monde entier, les uns raillant la voix du chanteur (sans souligner ses similitudes avec celle d’Ozzy Osbourne, dont ils encensaient pourtant au même moment le ridicule No More Tears), les autres taxant le groupe de carriériste, quelques uns n’hésitant pas à y voir les premiers signes de récupération du grunge par le music-business. Du côté du public les échos ne seront guère meilleurs : le succès de Siamese dream a fini par totalement effacer le flop considérable de Gish, alors même que Virgin avait mis les petits plats dans les grands pour faire de sa sortie l’événement de l’année. Tout le problème étant qu’en effet, cet album n’a rien d’exceptionnel. Sans aucun doute le moins intéressant du groupe, parce que le moins original mais aussi plus simplement parce que son répertoire est moins bon. « I Am One » est un chanson correcte et « Siva » la première d’une longue série de pièces montées psycho-metal qui atteindra son apogée sur Mellon Collie. Mais le reste n’est qu’un magma métallique manquant un peu de finesse, parfois inutilement bourrin (« Bury Me ») ou ridiculement pompeux (« Rhinoceros », sans doute la pire chanson-phare du groupe). Quelques fulgurances dans ces ballades oniriques typiques de Corgan (« Snail », surtout), mais rien qui méritât vraiment d’être mis en avant l’année où paraissaient Badmotorfinger et Ten – on ne parlera même pas de Nevermind, ce serait méchant.


👍👍👍 Siamese Dream (THE SMASHING PUMPKINS, 1993)

Publié au terme d’une tournée à guichets fermés en première partie de la double tête d’affiche Red Hot/ Pearl Jam, Siamese Dream est devenu un classique du... grunge, sans doute une fois de plus à tort : si la classification de Gish, disque de heavy-metal assez traditionnel, était juste hâtive… celle de Siamese Dream frôle carrément le contresens. Comment désigner autrement un disque considéré comme classique d’un mouvement dont il n’est en rien représentatif ? Autant on pouvait comprendre (sinon excuser) le malentendu sur l’album précédent, autant là c’est d’autant plus grotesque que treize plages durant Billy Corgan et ses acolytes font tout pour se démarquer du grunge !

Toujours est-il que Siamese Dream s’avère en tout point supérieur à son grand frère (c’est peu de le dire) principalement parce que… Corgan y prend les choses en main. Si Gish était encore le disque d’un groupe, dès le second passage en studio le leader et principal compositeur va mettre la main sur le répertoire, l’enregistrement, la direction artistique… conciliant ainsi son penchant naturel pour le cannibalisme avec les exigences d’une situation collective totalement chaotique (James Iha et D’Arcy viennent de rompre et passent leur temps à s’empailler, Jimmy Chamberlin est perpétuellement stone). Au final Corgan va rejouer quasiment toutes les parties de guitare et de basse, secouer Butch Vig, et là où une telle prise de pouvoir aurait ruiné n’importe quel autre groupe, cette attitude sauvera les Pumpkins du naufrage qui les guette (les démos pré-Siamese Dream jetées en pâture aux fans il y a quelques années montrent des citrouilles absolument lessivées – notamment Iha qui joue effectivement comme une grosse patate écrasée).

S’il conserve quelques faiblesses, notamment dues à un trop plein de compos heavy (encore la faute à Iha, qui s’il fut le premier à virer pop sur son très bon album solo fut également le plus farouche défenseur de la face metal du groupe), Siamese Dream pose les premiers jalons de l’univers de Corgan en perfectionnant l’aspect onirique (très… « Space Oddity », pour tout dire !) entr’aperçu dans les meilleurs moments de Gish. « Soma », complètement évanescente et enrichie de l’intervention inattendue de Mike Mills (R.E.M.), est en ce sens une bande annonce particulièrement réussie des « Thru the Eyes of Ruby » et autre « Porcelina of the Vast Oceans » à venir sur l’album suivant.

Ailleurs, Billy Corgan décoche des hymnes en pagaille, à commencer par « Today » et « Disarm » (ses « Come as You Are » à lui), sans parler du fulgurant « Cherub Rock » (son « Smells Like Teen Spirit » ?), qui restera longtemps LE moment fort des concerts du groupe. Avec en prime des pépites introspectives d’une rare délicatesse (« Spaceboy » pour son frère autiste ; « Mayonaise » pour cette mère biologique qu’il n’a jamais connu - par ailleurs la chanson plus représentative de la face onirico-rock du groupe), Corgan donne ici un bel exemple de… premier album ! Car par bien des aspects, Siamese Dream peut-être considéré comme le véritable début de son œuvre. Quand bien même, à l’instar de celui de Gish, son son a vieilli.


👑 Mellon Collie & The Infinite Sadness (The SMASHING PUMPKINS, 1995)

De nos jours, il faudrait être soit fou soit idiot pour oser publier un double-album, surtout affublé d’un titre aussi ridicule…

… ainsi commençait une chronique restée fameuse du multiplatiné Mellon Collie & The Infinite Sadness, album mythique sur lequel tout a été dit et même un peu plus. Testament du grunge, The Wall métallique – on en passe et des meilleurs. Disque générationnel par excellence, il figure en bonne place dans la discothèque de quiconque a eu entre dix et dix-huit ans en 1995, mais à la différence de la plupart des disques générationnels il vieillit extrêmement bien, quitte à ce que l’on se mette à détester les chansons qu’on préférait à l’époque. J’avoue personnellement être en ce moment en train d’écouter « (Fuck You) An Ode to No One » pour la première fois depuis 1998 et trouver que cela le fait grave à donf – quand bien même ce genre de musique n’est plus came depuis une bonne décennie.

La comparaison avec The Wall n’est pas idiote en cela qu’il s’agit d’un (double) concept-album éclectique à tendance prog vendu à des dizaines de millions d’exemplaires. Ils ne sont probablement que deux à répondre à tous ces critères, mais les appliquer sans fioriture comme ce fut fait il y a douze ans n’a guère de sens. En effet pour la première (et hélas dernière) fois la musique de Corgan ne sonne ici comme rien d’autre que du Corgan. Le son caractéristique des Pumpkins (guitares épaisses, breaks a capella, alternance de heavy abrasif et de langueurs dépressives) audiocopié à l’infini par pléthore de losers post-grunge, c’est en fait le son du seul Mellon Collie, tricoté de main de maître par une paire Flood – Moulder au sommet de son art.

Nous ne reviendrons pas sur le concept. Non par flemme (enfin si, un peu…) mais parce qu'en règle générale le simple concept de concept-album est absolument inepte, tout comme celui d’opéra-rock ou de comédie musicale. Ziggy Stardust, Tommy, The Wall... au mieux racontent des niaiseries manichéennes pour ados en manque de sensations fortes. Mellon Collie, pour sa part, veut offrir un disque pour le jour et un autre pour la nuit, et sans doute a-t-on vu plus con dans l’histoire de la musique, cela dit les titres du CD2 ne sont ni plus ni moins diurnes que ceux du CD1 nocturnes. L’objectivité force même à reconnaître que le morceau le plus crépusculaire de l’ensemble est « To Forgive »… sur le disque diurne. Et que la sublime « 1979 » est franchement trop festive pour bercer qui ce soit.

Longtemps cet album occupa une place plus que symbolique dans l’œuvre studio des Smashings Pumpkins dont le milieu se trouvait pile poil entre ses deux faces. Une ironie du sort qui amusa les gens pendant un bon moment avant d’être rendue caduque par la parution du septième album inespéré, mais néanmoins toujours sensée tant Mellon Collie est un album charnière dans la carrière de Corgan. A défaut de dire adieu à un grunge qu’il n’a jamais vraiment apprécié, le géant de moins en moins chevelu mais pas encore complètement chauve fait effectivement au revoir au heavy metal traditionnel, ce dans un déluge de décibels proprement assourdissant (« Jellybelly », « Where the Boys Fear to Tread », « X.Y.U. », « Tales of a Scorched Earth »…). Si d’aventure elle sonnera parfois abrasive, sa musique ne sera plus jamais du metal au sens strict du terme, et sera toujours contrebalancée par une majorité de compos calmes.

En route pour l’apaisement ? Pas vraiment. Car si désormais les tempos lents sont largement majoritaires, si Corgan et Iha (qui fait des merveilles au micro de « Take Me Down ») dévoilent leur face pop et s’imposent comme de véritables songwriters auprès du grand public (exactement comme Cobain l’année précédente – est-ce vraiment un hasard ?)… les climats sont loin d’être apaisés, entre un « Here Is No Why » tordu et un « Galapogos » malheureux comme un coucher de soleil en hiver. L’onirisme enfin est plus que jamais à l’ordre du jour, cette fois magnifié sur l’ensemble d’un album et appliqué aussi bien aux titres les plus vaporeux (« 33 ») qu’aux chansons les plus catchy (« Tonight », « Muzzle »), sans oublier la monumentale « Thru the Eyes of Ruby » - peut-être leur plus grande chanson à ce jour.

Bref ! Si avec le temps quelques passages se sont affadis (fanitude oblige, ne comptez pas sur moi pour les citer), Mellon Collie reste tout de même l’un des disques essentiels des années 90, plus riche et plus émouvant que la grande majorité de ses concurrents.



👑 Adore (The SMASHING PUMPKINS, 1998)

Plus dure sera la chute. Après la consécration, des tubes à en pleuvoir et une tournée mondiale interminable, le groupe manque de voler en éclats. Nouveau single caricatural pour la BO du grotesque Batman & Robin, départ (puis retour) d’Iha et D’Arcy, décès par O.D. d’un claviériste qui n’aura jamais été connu que parce qu’il est mort, limogeage de son fournisseur – à savoir Jimmy Chamberlin lui-même… les Pumpkins sont mal barrés, et alors que paraît début 1998 le charmant premier album solo de James, on apprend que Billy est parti en tournée avec… son père. Les premières rumeurs de split vont bon train, et avec elles naît une (ex) arlésienne digne du fameux album solo de Robert Smith : l’annonce persistante d’un solo de Corgan. Qui verra finalement le jour en 2005…

… ou en 1998 ? La légende (jamais vérifiée, mais jamais démentie non plus) veut que cet album solo soit devenu le magnifique Adore, idée qui ne choque pas outre mesure tant le meilleur album des Pumpkins est avant tout l’introspection d’un seul homme. Une ex-idole des jeunes rentrant douloureusement dans l’âge adulte et exposant des plaies béantes : chronique déchirante d’un divorce douloureux (« To Sheila », « Ava Adore », « Crestfallen »), hommage à la mère enfin retrouvée et déjà reperdue (« Once Upon a Time », « For Martha »), Adore distille ici une new-wave chaleureuse (« Perfect », « Apples + Oranges »), là une pop suave et décharnée (« Annie Dog », « Blank Page »)… pour ne récolter que l’incompréhension d’un public en quête d’un rock totalement absent du disque, à l’exception de l’hybride (et étrange) « Pug ». A la fois extrêmement varié et étonnamment compact, Adore ne fait que se révéler avec le temps, quitte à mettre d’accord fans comme mauvaises langue : oui, ce disque est sans doute plus riche que tous ceux de Corgan réunit. D’une incroyable humanité tout en étant des plus ambitieux du point de vue sonique, il ne ressemble ni à ses prédécesseurs ni à ses successeurs… et demeure encore à ce jour l’un de mes (sinon mon) disque(s) préféré(s) de tous les temps. A tel point que depuis 1998, j’ai dû le chroniquer au moins cinq ou six fois.



👑 MACHINA / The Machines of God (The SMASHING PUMPKINS, 2000)

Certains effets d’annonce font plus de mal que de bien : vendu par Virgin comme par des journalistes sourds comme le retour au rock des Smashing Pumpkins, MACHINA n’a fait que retourner le couteau dans la plaie béante d’un public espérant du fond du cœur un nouveau « Zero ». Certes il est (relativement) regrettable que Corgan ait littéralement laissé en plan les pistes ouvertes par Mellon Collie. Mais MACHINA, tout comme Adore, est un disque suffisamment grandiose pour qu’on le lui pardonne. Principal point commun entre les deux : ce sont des albums revêches, extrêmement difficiles d’accès, celui-ci peut-être plus encore que le précédent. En dépit d’un single inaugural fulgurant (et trompeur), « The Everlasting Gaze », MACHINA ne se laisse pas appréhender facilement et demande de nombreuses écoutes pour en saisir les subtilités.

S’il s’agit là encore d’un concept album (totalement abscons, et qui plus est mystique – autant dire qu’il n’a rien pour lui), on considérera de manière assez objective qu’il se divise en deux faces qu’on aurait mélangées, l’une franchement pop, l’autre opérant dans un registre assez indéfinissable (quoique passionnant), genre de goth-prog-rock au départ complètement déroutant. Pourtant les ambitions de Corgan, de plus en plus à la hausse à chaque album, ont été couronnées de succès : ok, aucun tube, peu de ventes… en revanche les fans ont rapidement adopté des compositions pourtant pas franchement directes, « Blue Skies Bring Tears » ou la grandiose « Glass & The Ghost Children » (qui évoque une espèce de Cure heavy absolument enthousiasmant).

Ce sont cependant les titres les plus pops qui trônent au sommet de l’édifice : comment résister à l’élégance d’un « Stand Inside Your Love » ou d’un « I of Morning », hymnes post-ados dont on pensait sincèrement que Corgan n’était plus capable ? Et que dire de ces textes, cryptés mais sublimes, presque symbolistes par instant (« The Crying Tree of Mercury ») ? A se demander comment un morceau aussi parfait que « The Sacred & Profane » a pu ne pas devenir un hit !

Sept ans plus tard, l’impression générale qui ressort de ce premier MACHINA est que personne ne l’a compris (et je m’inclus dans le personne). Sans doute a t’il pâti d’un très mauvais choix de singles (à cet « Everlasting Gaze » pas du tout représentatif de l’ensemble a succédé « This Time », soit donc la moins bonne chanson du disque). Vendre un disque sur un faux retour au rock et un changement de bassiste sexy n’a sans doute pas été la meilleure idée du siècle, et l’on ne peut que comprendre les propos de Corgan quelques mois plus tard, accusant Virgin de lui avoir savonné la planche. Le fait est que MACHINA, album ambitieux, complexe et extrêmement abouti, a été extrêmement mal soutenu par une major n’ayant à l’époque plus rien à secouer d’un groupe de rock (surtout quand les prises de risques dudit groupe ont déjà divisé ses ventes par deux en moins de cinq ans). Pas étonnant que le groupe se soit séparé après. L’album mal aimé des Smashing Pumpkins, troisième et dernier as avant longtemps (longtemps renvoyant en l'occurrence au-delà de 2007), méritait assurément mieux que ça. Unanimement considéré comme leur plus raté, y compris derrière Gish – ce qui pose quand même pas mal de questions – il demeure pourtant le plus fascinant de tous. Sans doute parce que sept ans plus tard, on n’en a toujours pas fait le tour.




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