samedi 3 novembre 2007

La Virevolte - Ce chant profond

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C’est une histoire simple, lente, presque statique. Celle de Lin, femme ordinaire ou presque, mère de famille, amie fidèle et danseuse de renom. Une femme comme les autres dont la vie semble aller pour le mieux : l’amour, le bonheur familial, l’aisance matérielle. Un mari qui l’aime et la désire – et inversement. Bref le verni parfait de la famille idéale, qui pourtant craque lentement au fil des pages. Tout semble aller à la perfection et pourtant rien ne va, ou alors de travers. Pourquoi ? Celui qui cherche des réponses risque de détester ce livre qui fait vaciller les certitudes ; à tout le moins de s’y perdre, de se noyer dans cette prose ravagée et sinueuse. Bien sûr il y a du post-partum là-dessous, de la dépression sans doute. L’expression chaotique d’une solitude indicible, la création progressive d’une vie parallèle (famille d’un côté, métier-passion de l’autre). Mais il y a d’autre choses, d’autres émotions pour lesquelles il n’existe aucun mot.

Alors, Nancy Huston décrit des gestes. Glisse du sens là où il ne devrait pas y en avoir. Crée le décalage :

« Tu as l’air tellement épanouie, dit Rachel au bout d’un moment.
- Oui, je sais, dit Lin. Ca m’inquiète.
- Ah. Ca m’aurait inquiétée que ça ne t’inquiète pas.
- Oh, Rachel ! Je me sens tellement bien, c’est terrifiant.
- Ecoute, tu as toute ma sympathie
[…] Allez, on peut toujours être amies, tu sais. Même si tu es heureuse. »

Dans sa construction, La Virevolte est un roman beaucoup plus « normal », romanesque au sens traditionnel du terme, que d’autres de la même auteure. Mais il n’en est pas moins complexe, sulfureux et hanté ; tout en atmosphères, sensations, suggestions. Et ainsi Nancy Huston touche-t-elle à ce qu’il ne faut pas dire, ce que tout le monde sait mais que personne ne formule : être parent, c’est d’une manière ou d’une autre amputer une partie de sa vie. Le sens des responsabilités qui se dégage de cette fonction induit une part, plus ou moins importante selon les gens, d’oubli de soi – soit donc de renoncement. Part que Lin finit par rejeter dans une seconde partie qui gagne en émotion ce qu’elle perd en acuité. Non pas tant parce que l’attitude de la jeune femme est réprouvée tant par la société que par la morale… que parce que ce faisant, cette dernière devient une héroïne romantique de base ; à savoir une fascinante égomaniaque qui, en quête d’un Absolu absolument inaccessible, finit par faire ce qu’aucun de nous n’oserait faire dans la vie courante – pour comme de juste s’y brûler les ailes.

Dans son dernier quart, donc, le roman se fait moins fort car plus prévisible, moins singulier. Et pour autant il demeure touchant. Parce que sublimement écrit. Et aussi parce que, dans le fond, les héroïnes romantiques sont toujours un peu nous.


👍👍 La Virevolte 
Nancy Huston | Actes Sud "Babel", 1994