jeudi 20 décembre 2007

Philip Roth délivré ?...

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Voilà, c’est fini – comme dirait l’autre. Ainsi s’achève notre long, très long parcours avec Philip Roth. Sur The Facts , son autobiographie, ce texte court dont on suppose de prime abord qu’il livre quelques clés à l’œuvre. Un objet littéraire non identifié, sinueux et des plus ambitieux, qui laissera perplexe même le spécialiste le plus éclairé de l’auteur new-yorkais.

Commençons par énoncer une évidence : The Facts n’aurait probablement aucun intérêt pour qui n’aurait jamais rien lu de l’icône du Golb. Philip Roth a eu globalement une vie très ordinaire, une enfance juive newarkaise comme il y en a tant… la seule véritable révélation du livre… c’est qu’il n’y en a aucune. Qu’au terme de ce texte se lisant comme un très bon roman (le minimum syndical rothien quand on connaît la plume du gaillard) le mythe est on ne peut plus intact et le personnage toujours aussi fascinant.

Mais c’est sans doute parce que le pari initial est biaisé : en cela les courriers que Zuckerman adresse à son créateur sont-ils sans doute bien plus que des private jokes réjouissantes – des réflexions de Roth à lui-même. Or Nathan (auquel Philip vient de consacrer pas moins de cinq livres de suite et presqu’une décennie de sa vie… d’homme) est farouchement opposé à cette idée d’autobiographie. Par jalousie d’abord (« Tu t’es lassé de moi… » gémit-il, ce en quoi il n’a pas tort : une décennie s’écoulera avant son retour dans American Pastoral ), puis par principe littéraire ensuite (car Zuckerman est peut-être un débatteur littéraire encore meilleur que celui qui l'a inventé) : il trouve un peu balot, après avoir si bien réussi à parler de lui-même sans jamais sombrer dans le narcissisme autobiographique, que Roth cède à cette facilité l’âge aidant.

Qu’est-ce à dire sinon que Roth en personne a conscience des limites de l’exercice ? Sinon qu’une part de lui-même n’a aucune envie de se livrer à l’expérience autobiographique ? Dont acte : The Facts est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins qu’une autobiographie. Une réflexion abyssale sur la création et le double ; un texte curieux dont le ton neutre, presque timide et on ne peut plus…f actuel évoque immanquablement deux autres autobiographies (bien plus récentes) aussi géniales que foirées au sens purement auto-biographique : celle d’Aharon Appelfeld et le fameux Pedigree de Modiano. Trois auteurs aussi labyrinthiques et sinueux les uns que les autres, trois approches différentes de la fiction comme de l’autofiction mais trois quêtes identitaires des plus similaires. La question cependant n’est pas là, et vous m’en voudriez sans doute de privilégier une analyse globale de la bibliographie rothienne au détriment d’un avis précis sur ce livre-ci.

The Facts , donc, est un bon livre. Rien de plus, rien de moins. Un livre qu’on prend évidemment beaucoup de plaisir à avaler d’une traite tant Roth écrit décidément merveilleusement bien (ça coule tout seul ; le style le plus limpide qu’on puisse trouver dans la littérature contemporaine, et de loin), tout en étant assailli de questions quant au pourquoi du comment de l’objet. Paradoxalement, c’est un ouvrage rassurant : on est soulagé de constater que Philip Roth est infiniment meilleur lorsqu’il verse dans la fiction. C’est un peu la morale du livre – peut-être même son but ultime : brosser une ode quasi inégalable à la littérature de fiction. Comme le dit Zuckerman dans son dernier courrier :

« J’ai lu ton manuscrit une seconde fois. Voilà la franchise que tu me demandais : ne le publie pas. […] Je te dirais que tu as toujours autant besoin de moi que moi de toi. […] Je suis ta permission, ton indiscrétion, la clé de ton exhibition. […] Tu peut être tellement plus vrai, dans ta fiction… »


👍 The Facts : A Novelist's Autobiography [Les Faits] 
Philip Roth | Simon & Schuster, 1988