...
Écouter cette réédition de Gold a quelque chose d’étrange, voire même d’un peu douloureux.
En fait non : l’existence même de cette réédition d’un album si relativement récent a quelque chose de douloureux. Tout est dit ou presque (dans tous les sens du terme) : si après 2001 Ryan Adams a publié de grands disques (Love Is Hell, Cold Roses), couché sur le papier certaines chansons remarquables (« One More Kiss Before I Go », « She Wants to Play Heart », « Chin up, Cheer up », « Sweet Illusions » ou plus rémment « These Girls »)… il n’a sans doute plus jamais atteint le niveau de Gold. Son second album solo. Seulement. Bloqué, coincé, atteint de viellissement prématuré ? Difficile de diagnostiquer ce mal très répandu chez les génies (son copain Beck n’ira pas le contredire) : une fois qu’on a publié un chef-d’œuvre à vingt-sept ans, on fait quoi ? Six ans plus tard Ryan Adams a eu beau tenter beaucoup de trucs et s’essayer à de nombreux genres, il n’est toujours pas parvenu à trouver la réponse et rappelle un autre folkeux surdoué : Elliott Smith, éternellement bloqué, éternellement incapable de dépasser Either/Or et survivant momentanément avec X.O.… soit donc un petit frère fantomatique du premier, réenregistrant des chansons de ses sessions et donnant brièvement l’illusion que le miracle perdure.
La comparaison continue encore et encore, puisque si depuis 2001 Adams a publié sept albums et trois EPs il n’a paradoxalement pas écrit grand chose de neuf, puisant indéfiniment dans son monumental coffret de 2001 : The Suicide Handbook, dont proviennent l’intégralité de Gold et une bonne moitié de Demolition (2002)… mais dont proviennent également cinq ou six titres des deux Love Is Hell, deux de Jacksonville City Nights, quatre du récent Easy Tiger… étrange, bizarre, curieux. Avec Demolition Ryan avait voulu enregistrer son Blood on the Tracks personnel (le garçon est modeste). Avait-il prévu que tous ses disques suivants suivraient le même modèle que le chef-d’œuvre de Dylan (composé de plusieurs sessions différentes) ? Qu’importe : certains fans (j’en suis) commencent à se lasser un poil d’acheter des nouveaux albums dont ils connaissent déjà certains titres depuis des lustres (et les plus cyniques d’ajouter que ce doit être de peur de tuer la vache sacrée que le Suicide Handbook intégral n’est toujours pas sorti officiellement !). Ce n’est pas manquer de respect à Ryan Adams que de le dire, d’autant que les lecteurs habitués savent que le kid de Jacksonville demeure l'un des chouchous de ce blog.
La réédition de Gold un aveu d’échec évident, donc… mais tout de même un sacré plaisir – tout comme le disque d’origine. Certes les aigris se permettront de faire remarquer qu’il n’était peut-être pas nécessaire de rajouter cinq titres à un album qui faisait déjà la taille d’un triple vinyle, et on ne s’aventurera pas à les contredire. Cependant par rapport à toutes les rééditions foireuses avec leurs deux bonus live et leur demi-version alternative celle-ci l’emporte haut la main : ce sont bels et bien cinq nouveaux titres (qui plus est excellents) qu’on retrouve en cadeau, de l’inédit, du vrai, du fort – et histoire de rappeler que sur Le Golb on ne sert pas la soupe on notera qu’à la limite il y a plus d’inédits dans les bonus de Gold que dans le dernier album d’Adams. Qu’on ne s’y trompe pas : tous viennent de The Suicide Handbook (sauf « Cannonball Days », issue de l’autre gros morceau non-officiel du bonhomme : Exile On Franklin Street). Mais ici, ils sont à leur juste place.
Et l’album, donc ? Evidemment on ne s’attendait pas à une remasterisation complète d’un disque publié en 2001 ; a priori et à moins que cela ait échappé à notre oreille attentive (hypothèse peu probable tant cette dernière a usé le Gold originel) c’est le même disque, à savoir un condensé de folk et de rock à faire pâlir de jalousie le Boss et Neil Young réunis. Il faut dire qu’à une série de titres absolument exceptionnels (le bondissant « Firecracker » et l’aérienne « Where the Stars Go Blue » en tête) s’ajoutent les arrangements parfaits d’Ethan Johns, digne fils de son père et heureux producteur fétiche du Ryan (on lui doit également Poses – le meilleur Rufus Wainwright, les premiers et derniers King Of Leons ou l’adorable Rainy Day Music des Jayhawks). Avec lui aux manettes les compos de l’ex-Whiskeytown s’envolent dans les sphères, atmosphère sexy et calfeutrée ici (« The Ballad of Sylvia Plath », « Goodnight, Hollywood Boulevard »), folk déglingo là (« Answering Bell », un des plus grands morceaux de Ryan ici transcendé par rapport à sa version suicidhandbookienne)…
Mais bon : ne nous focalisons tout de même pas trop sur Johns, car le principal artisan de Gold demeure ce diablotin d’Adams, dopé à on ne sait trop quoi et déchaîné comme sur aucun autre de ses innombrables albums. Qu’il chante son amour pour sa ville d’adoption (« New York, New York », nerveuse et entêtante) ou pleure sur une fille qui l’a largué après qu’il ait pété un boulon (et la gueule de son rival ! – « Harder Now that It’s over »), qu’il fasse dans le blues rock 70’s déjanté (« Touch, Feel, Lose ») ou parte chasser sur les terres du Loner (« Nobody Girl »)… Adams est égal à lui-même (mais en mieux), incapable de se prendre au sérieux plus d’un couplet et maniant sans cesse cette distance ironique qui pose tant de problèmes aux frenchies amateurs de Belles Voix En Or Sur Guitares Acoustiques. Peut-on décemment faire confiance à un mec qui adresse ses deux plus belles chansons d’amour à une poétesse morte depuis des lustres et à… une ville pleine de buildings et de pollution ? Peut-on confier les ondes de RTL2 à un mec qui confond Springsteen et AC/DC (« Gonna Make You Love Me ») ? Qui parodie les protestsingers bon chic bon genre sur le sardonique « Enemy Fire » ? Qui ringardise Lenny Kravitz en deux coups de cuiller à riff (« Tina’s Toledo Street Walking Blues ») ? Qui…
…ah non vraiment, il a du panache le Ryan. Car Gold réussit la prouesse d’être un album à la fois on ne peut plus radiophoniquement correct et un antidote à la folk consensuelle, jamais complètement sérieux, toujours sur la brèche – en décalage perpétuel. Vous en avez marre de ce gros balot de James Blunt ? « Firecracker » et ça repart. Vous ne pouvez plus supporter la rebellitude bon teint de Ben Harper ? Un zest de « Rescue Blues » suffira à vous remettre d’aplomb. Quel grand disque que celui-là…
Écouter cette réédition de Gold a quelque chose d’étrange, voire même d’un peu douloureux.
En fait non : l’existence même de cette réédition d’un album si relativement récent a quelque chose de douloureux. Tout est dit ou presque (dans tous les sens du terme) : si après 2001 Ryan Adams a publié de grands disques (Love Is Hell, Cold Roses), couché sur le papier certaines chansons remarquables (« One More Kiss Before I Go », « She Wants to Play Heart », « Chin up, Cheer up », « Sweet Illusions » ou plus rémment « These Girls »)… il n’a sans doute plus jamais atteint le niveau de Gold. Son second album solo. Seulement. Bloqué, coincé, atteint de viellissement prématuré ? Difficile de diagnostiquer ce mal très répandu chez les génies (son copain Beck n’ira pas le contredire) : une fois qu’on a publié un chef-d’œuvre à vingt-sept ans, on fait quoi ? Six ans plus tard Ryan Adams a eu beau tenter beaucoup de trucs et s’essayer à de nombreux genres, il n’est toujours pas parvenu à trouver la réponse et rappelle un autre folkeux surdoué : Elliott Smith, éternellement bloqué, éternellement incapable de dépasser Either/Or et survivant momentanément avec X.O.… soit donc un petit frère fantomatique du premier, réenregistrant des chansons de ses sessions et donnant brièvement l’illusion que le miracle perdure.
La comparaison continue encore et encore, puisque si depuis 2001 Adams a publié sept albums et trois EPs il n’a paradoxalement pas écrit grand chose de neuf, puisant indéfiniment dans son monumental coffret de 2001 : The Suicide Handbook, dont proviennent l’intégralité de Gold et une bonne moitié de Demolition (2002)… mais dont proviennent également cinq ou six titres des deux Love Is Hell, deux de Jacksonville City Nights, quatre du récent Easy Tiger… étrange, bizarre, curieux. Avec Demolition Ryan avait voulu enregistrer son Blood on the Tracks personnel (le garçon est modeste). Avait-il prévu que tous ses disques suivants suivraient le même modèle que le chef-d’œuvre de Dylan (composé de plusieurs sessions différentes) ? Qu’importe : certains fans (j’en suis) commencent à se lasser un poil d’acheter des nouveaux albums dont ils connaissent déjà certains titres depuis des lustres (et les plus cyniques d’ajouter que ce doit être de peur de tuer la vache sacrée que le Suicide Handbook intégral n’est toujours pas sorti officiellement !). Ce n’est pas manquer de respect à Ryan Adams que de le dire, d’autant que les lecteurs habitués savent que le kid de Jacksonville demeure l'un des chouchous de ce blog.
La réédition de Gold un aveu d’échec évident, donc… mais tout de même un sacré plaisir – tout comme le disque d’origine. Certes les aigris se permettront de faire remarquer qu’il n’était peut-être pas nécessaire de rajouter cinq titres à un album qui faisait déjà la taille d’un triple vinyle, et on ne s’aventurera pas à les contredire. Cependant par rapport à toutes les rééditions foireuses avec leurs deux bonus live et leur demi-version alternative celle-ci l’emporte haut la main : ce sont bels et bien cinq nouveaux titres (qui plus est excellents) qu’on retrouve en cadeau, de l’inédit, du vrai, du fort – et histoire de rappeler que sur Le Golb on ne sert pas la soupe on notera qu’à la limite il y a plus d’inédits dans les bonus de Gold que dans le dernier album d’Adams. Qu’on ne s’y trompe pas : tous viennent de The Suicide Handbook (sauf « Cannonball Days », issue de l’autre gros morceau non-officiel du bonhomme : Exile On Franklin Street). Mais ici, ils sont à leur juste place.
Et l’album, donc ? Evidemment on ne s’attendait pas à une remasterisation complète d’un disque publié en 2001 ; a priori et à moins que cela ait échappé à notre oreille attentive (hypothèse peu probable tant cette dernière a usé le Gold originel) c’est le même disque, à savoir un condensé de folk et de rock à faire pâlir de jalousie le Boss et Neil Young réunis. Il faut dire qu’à une série de titres absolument exceptionnels (le bondissant « Firecracker » et l’aérienne « Where the Stars Go Blue » en tête) s’ajoutent les arrangements parfaits d’Ethan Johns, digne fils de son père et heureux producteur fétiche du Ryan (on lui doit également Poses – le meilleur Rufus Wainwright, les premiers et derniers King Of Leons ou l’adorable Rainy Day Music des Jayhawks). Avec lui aux manettes les compos de l’ex-Whiskeytown s’envolent dans les sphères, atmosphère sexy et calfeutrée ici (« The Ballad of Sylvia Plath », « Goodnight, Hollywood Boulevard »), folk déglingo là (« Answering Bell », un des plus grands morceaux de Ryan ici transcendé par rapport à sa version suicidhandbookienne)…
Mais bon : ne nous focalisons tout de même pas trop sur Johns, car le principal artisan de Gold demeure ce diablotin d’Adams, dopé à on ne sait trop quoi et déchaîné comme sur aucun autre de ses innombrables albums. Qu’il chante son amour pour sa ville d’adoption (« New York, New York », nerveuse et entêtante) ou pleure sur une fille qui l’a largué après qu’il ait pété un boulon (et la gueule de son rival ! – « Harder Now that It’s over »), qu’il fasse dans le blues rock 70’s déjanté (« Touch, Feel, Lose ») ou parte chasser sur les terres du Loner (« Nobody Girl »)… Adams est égal à lui-même (mais en mieux), incapable de se prendre au sérieux plus d’un couplet et maniant sans cesse cette distance ironique qui pose tant de problèmes aux frenchies amateurs de Belles Voix En Or Sur Guitares Acoustiques. Peut-on décemment faire confiance à un mec qui adresse ses deux plus belles chansons d’amour à une poétesse morte depuis des lustres et à… une ville pleine de buildings et de pollution ? Peut-on confier les ondes de RTL2 à un mec qui confond Springsteen et AC/DC (« Gonna Make You Love Me ») ? Qui parodie les protestsingers bon chic bon genre sur le sardonique « Enemy Fire » ? Qui ringardise Lenny Kravitz en deux coups de cuiller à riff (« Tina’s Toledo Street Walking Blues ») ? Qui…
…ah non vraiment, il a du panache le Ryan. Car Gold réussit la prouesse d’être un album à la fois on ne peut plus radiophoniquement correct et un antidote à la folk consensuelle, jamais complètement sérieux, toujours sur la brèche – en décalage perpétuel. Vous en avez marre de ce gros balot de James Blunt ? « Firecracker » et ça repart. Vous ne pouvez plus supporter la rebellitude bon teint de Ben Harper ? Un zest de « Rescue Blues » suffira à vous remettre d’aplomb. Quel grand disque que celui-là…
👑 Gold
Ryan Adams | Universal Music, 2001