J’ai souvenir d’un épisode de feu l’excellente série « Boston Public » dans lequel l’une des enseignante constatait, stupéfaite, que statistiquement elle mettait des notes plus basses à ses élèves noirs, ce qui faisait vaciller ses convictions : était-il possible qu’elle soit raciste sans le savoir ? Inconsciemment ?
Quand je relis mes notes sur tous ces albums chroniqués depuis des années, je me demande : serais-je un misogyne qui s’ignore ? Ou disons : un misogyne du rock’n’roll ? La question est sérieuse. Reprendre tous les albums chroniqués dans le Mes disques à moi (et rien qu’à moi) s’avère confondant : on trouvera au maximum six, sept nanas, pour la plupart isolées dans des groupes. Quant aux deux ayant eu droit à des articles entiers juste en leur nom (Tori Amos et Emmylou Harris)… peut-on vraiment les considérer comme des rockeuses… ?
J’aimerais vous promettre qu’il y a aura plus de nanas dans vingt-deux numéros restants, mais c’est faux. Je suis un misogyne du rock’n’roll. Je devais vous le dire.
Allons : bien entendu ma réflexion est on ne peut plus provocatrice. Elle ouvre néanmoins sur un constat qui m’interloquait beaucoup lorsque j’étais petit journaleux de province et que je fréquentais de près plein de groupes amateurs : chez eux, les chanteuses sont légion, presque majoritaires. Mais dès qu’on arrive dans la sphère des musiciens pros, en matière de rock… on les voit beaucoup moins, les filles. Un peu comme pour les profs finalement : plus vous montez dans l’organigramme de l’Educ Nat, moins il y a de femmes – alors qu’au niveau du primaire elles sont largement majoritaires (écrasantes, même). Faudrait-il en déduire que le rock, courant prétendument libertaire, reproduit les schémas d’à peu près tous les microcosmes de l’univers ? Cela mériterait une étude plus poussée, mais je ne serais pas surpris que la réponse soit oui. La Riiiiiiiiott Girl sommeillant en moi me souffle que Polly Jean et Patti ne sont que des alibis pour les rockeux de tout crin. Que Janis n’a jamais été remplacée et que si on prend les 200 disques les plus importants du rock, qu’ils soient compilés par Philippe Manœuvre ou par Robert Bidule… il va pas y avoir des masses de nanas dans le lot. De manière assez injuste, assez cruelle.
Non vraiment : pour s’imposer dans le rock comme dans le n’importe quoi, la nana a intérêt à avoir un caractère en acier trempé et un univers bien à elle, être à l’épreuve des balles comme des belles et devra véhiculer dix fois plus de trucs qu’un mec. Le bon côté des choses étant que du coup on aura jamais qu’une seule PJ Harvey pour deux cents clones d’Alex Kapranos.
Lorsqu’arbobo nous a invités à évoquer notre découverte 2007, j’ai d’abord pensé à Hellwood (des mecs, évidemment), groupe dont l’excellent album est sorti en 2006 mais qui, aux croisements de Beck et de Nine Inch Nails, fut un de mes plus gros coups de cœur de l’année écoulée. Je n’ai pas pensé à l’album d’Ultra Orange & Emmanuelle, logique : pour tout amateur de rock français qui se respecte Ultra Orange fait partie des meubles depuis plus d’une décennie. D’abord plutôt orienté rock synthétique, la paire Lesage/Emery s’est décomplexée avec le retour en grâce du rock électrique pour signer l’excellent Seven Lonely Girls. Ni vraiment expérimental ni complètement passéiste, c’était l’archétype du groupe indé français aimé d’amour par les quelques rares élus à avoir eu le bonheur de croiser sa route… mais à qui il manquait un petit quelque chose, un petit plus qu’une femme providentielle va lui apporter : le charisme, le sexy, la transcendance par l’interprétation… qui mieux qu’une actrice pouvait fournir tout ça ?
De son côté Emmanuelle Seigner manquait elle aussi d’un petit quelque chose pour être plus qu’une icône glamour et mystérieuse. Quand on y regarde de plus près, la qualité de sa filmographie est inversement proportionnelle à sa popularité : à l’exception du bien aimé Frantic de son futur époux Polanski, dans lequel elle ne joue par ailleurs pas très bien(litote), et de l’attachant (mais pas non plus transcendant) Backstage , peu de rôles vraiment marquants et encore moins de grands films. Rien qui justifie son statut d’icône pour papier glacé mis à part… le charisme, évident. Ca, elle en avait à revendre, et depuis longtemps. La collision avec Ultra Orange lui fournira donc à l’avenir ce qui lui faisait jusqu’alors cruellement défaut : le contenu, l’humanité. Jusqu’à cet album on était sûrement nombreux à fantasmer sur Emmanuelle, mais personne n’aurait eu l’idée d’aller lui taper la discute.
Fascinant à plus d’un titre voilà son personnage public enrichi d’une palette nouvelle, plus douce et plus chaleureuse, plus souriante (car à présent Emmanuelle Seigner sourit sur les photos !) et bien plus intéressante du point de vue artistique. Sympathique sur le papier, l’association de malfaiteurs fait très, très mal sur platine. On a parlé d’un disque velvietien. C’est faux : c’est surtout Emmanuelle qui prend une dimension nicoéenne du plus bel effet, transcendant un répertoire des plus classes et des plus violemment rock’n’roll. Arrangements garage, riffs simplex, Ultra Orange joue la carte de la sobriété et de l’efficacité – et ça le fait. Dans un monde meilleur, « Won’t Lovers Revolt Now », rythmique irrésistible et piaillements sex’n’roll, serait le mega-tube de l’année. Le genre de morceau nerveux que vous entendez le matin au réveil et qui ne vous quitte plus de la journée, sale juste ce qu’il faut – comme l’ensemble d’un album plein de petites pépites faussement innocentes.
Les premières écoutes imposent évidemment la circonspection. Chanter en anglais quand on est pourvue d’un accent aussi piteux ("Poule eup if aïe poule eup"), ça peut la foutre mal. Bizarrement cela renforce le charme, allez savoir pourquoi : ça donne un côté bricolo à des chansons de toute façon très épurées, attachant, et puis aussi cela participe de la singularité de l’objet. Car si fondamentalement Ultra Orange & Emmanuelle sonne comme beaucoup de choses (Velvet donc, mais aussi Stooges ici, Kinks là, et même Hole – l’intro de « The Good from the Bad » évoquant immanquablement « Asking for It »), il ne ressemble à rien de connu, à rien de ce qu’on a pu entendre en France ces dernières années. Même pas vraiment aux trois albums « solos » d’Ultra Orange, ce qui n’a pas grand chose de surprenant tant le trio formé avec Emmanuelle s’impose dès les premières minutes de « Sing Sing » comme un groupe réel et cohérent.
Album découverte ne signifiant pas dans mon esprit album de l’année, tout n’est évidemment pas parfait sur Ultra Orange & Emmanuelle : l’ensemble aurait facilement pu être allégé d’un titre ou deux (la relecture poussive de « Rosemary's Lullaby » par exemple), les slows (« Simple Words » et « One Day ») sont un cran en dessous… mais les bons titres le sont tellement que, chose rare, il rachètent les point faibles du disque. Surtout, Ultra Orange & Emmanuelle propose tout ce qui manque cruellement même au plus grands fleurons du rock français : un vrai groove (« Bunny », « Touch My Shadow »), une vraie fraîcheur dans les mélodies (« Lines on My Hand ») et surtout une immédiateté faisant que deux écoutes suffisent pour être conquis quand le dernier Eiffel en demande une dizaine au minimum (ce qui ne le rend pas mauvais, bien sûr). Ce disque-ci ne fait pas mal au crâne, il éclate, il détend et il excite même parfois. Du fun, de la sueur, du sexy et un son en velours vrai… que demander de mieux ?
Alors oui, découverte de l’année. Un nouveau groupe est né, en tout cas est-ce ma conviction. Et dès 2008 Le Golb militera pour que cet album soit le premier d’une longue lignée de disques de ce calibre, plus que vitaux dans la France sarkozyste.
A bientôt, et vive le rock’n’roll décomplexé !
Quand je relis mes notes sur tous ces albums chroniqués depuis des années, je me demande : serais-je un misogyne qui s’ignore ? Ou disons : un misogyne du rock’n’roll ? La question est sérieuse. Reprendre tous les albums chroniqués dans le Mes disques à moi (et rien qu’à moi) s’avère confondant : on trouvera au maximum six, sept nanas, pour la plupart isolées dans des groupes. Quant aux deux ayant eu droit à des articles entiers juste en leur nom (Tori Amos et Emmylou Harris)… peut-on vraiment les considérer comme des rockeuses… ?
J’aimerais vous promettre qu’il y a aura plus de nanas dans vingt-deux numéros restants, mais c’est faux. Je suis un misogyne du rock’n’roll. Je devais vous le dire.
Allons : bien entendu ma réflexion est on ne peut plus provocatrice. Elle ouvre néanmoins sur un constat qui m’interloquait beaucoup lorsque j’étais petit journaleux de province et que je fréquentais de près plein de groupes amateurs : chez eux, les chanteuses sont légion, presque majoritaires. Mais dès qu’on arrive dans la sphère des musiciens pros, en matière de rock… on les voit beaucoup moins, les filles. Un peu comme pour les profs finalement : plus vous montez dans l’organigramme de l’Educ Nat, moins il y a de femmes – alors qu’au niveau du primaire elles sont largement majoritaires (écrasantes, même). Faudrait-il en déduire que le rock, courant prétendument libertaire, reproduit les schémas d’à peu près tous les microcosmes de l’univers ? Cela mériterait une étude plus poussée, mais je ne serais pas surpris que la réponse soit oui. La Riiiiiiiiott Girl sommeillant en moi me souffle que Polly Jean et Patti ne sont que des alibis pour les rockeux de tout crin. Que Janis n’a jamais été remplacée et que si on prend les 200 disques les plus importants du rock, qu’ils soient compilés par Philippe Manœuvre ou par Robert Bidule… il va pas y avoir des masses de nanas dans le lot. De manière assez injuste, assez cruelle.
Non vraiment : pour s’imposer dans le rock comme dans le n’importe quoi, la nana a intérêt à avoir un caractère en acier trempé et un univers bien à elle, être à l’épreuve des balles comme des belles et devra véhiculer dix fois plus de trucs qu’un mec. Le bon côté des choses étant que du coup on aura jamais qu’une seule PJ Harvey pour deux cents clones d’Alex Kapranos.
De son côté Emmanuelle Seigner manquait elle aussi d’un petit quelque chose pour être plus qu’une icône glamour et mystérieuse. Quand on y regarde de plus près, la qualité de sa filmographie est inversement proportionnelle à sa popularité : à l’exception du bien aimé Frantic de son futur époux Polanski, dans lequel elle ne joue par ailleurs pas très bien(litote), et de l’attachant (mais pas non plus transcendant) Backstage , peu de rôles vraiment marquants et encore moins de grands films. Rien qui justifie son statut d’icône pour papier glacé mis à part… le charisme, évident. Ca, elle en avait à revendre, et depuis longtemps. La collision avec Ultra Orange lui fournira donc à l’avenir ce qui lui faisait jusqu’alors cruellement défaut : le contenu, l’humanité. Jusqu’à cet album on était sûrement nombreux à fantasmer sur Emmanuelle, mais personne n’aurait eu l’idée d’aller lui taper la discute.
Fascinant à plus d’un titre voilà son personnage public enrichi d’une palette nouvelle, plus douce et plus chaleureuse, plus souriante (car à présent Emmanuelle Seigner sourit sur les photos !) et bien plus intéressante du point de vue artistique. Sympathique sur le papier, l’association de malfaiteurs fait très, très mal sur platine. On a parlé d’un disque velvietien. C’est faux : c’est surtout Emmanuelle qui prend une dimension nicoéenne du plus bel effet, transcendant un répertoire des plus classes et des plus violemment rock’n’roll. Arrangements garage, riffs simplex, Ultra Orange joue la carte de la sobriété et de l’efficacité – et ça le fait. Dans un monde meilleur, « Won’t Lovers Revolt Now », rythmique irrésistible et piaillements sex’n’roll, serait le mega-tube de l’année. Le genre de morceau nerveux que vous entendez le matin au réveil et qui ne vous quitte plus de la journée, sale juste ce qu’il faut – comme l’ensemble d’un album plein de petites pépites faussement innocentes.
Les premières écoutes imposent évidemment la circonspection. Chanter en anglais quand on est pourvue d’un accent aussi piteux ("Poule eup if aïe poule eup"), ça peut la foutre mal. Bizarrement cela renforce le charme, allez savoir pourquoi : ça donne un côté bricolo à des chansons de toute façon très épurées, attachant, et puis aussi cela participe de la singularité de l’objet. Car si fondamentalement Ultra Orange & Emmanuelle sonne comme beaucoup de choses (Velvet donc, mais aussi Stooges ici, Kinks là, et même Hole – l’intro de « The Good from the Bad » évoquant immanquablement « Asking for It »), il ne ressemble à rien de connu, à rien de ce qu’on a pu entendre en France ces dernières années. Même pas vraiment aux trois albums « solos » d’Ultra Orange, ce qui n’a pas grand chose de surprenant tant le trio formé avec Emmanuelle s’impose dès les premières minutes de « Sing Sing » comme un groupe réel et cohérent.
Album découverte ne signifiant pas dans mon esprit album de l’année, tout n’est évidemment pas parfait sur Ultra Orange & Emmanuelle : l’ensemble aurait facilement pu être allégé d’un titre ou deux (la relecture poussive de « Rosemary's Lullaby » par exemple), les slows (« Simple Words » et « One Day ») sont un cran en dessous… mais les bons titres le sont tellement que, chose rare, il rachètent les point faibles du disque. Surtout, Ultra Orange & Emmanuelle propose tout ce qui manque cruellement même au plus grands fleurons du rock français : un vrai groove (« Bunny », « Touch My Shadow »), une vraie fraîcheur dans les mélodies (« Lines on My Hand ») et surtout une immédiateté faisant que deux écoutes suffisent pour être conquis quand le dernier Eiffel en demande une dizaine au minimum (ce qui ne le rend pas mauvais, bien sûr). Ce disque-ci ne fait pas mal au crâne, il éclate, il détend et il excite même parfois. Du fun, de la sueur, du sexy et un son en velours vrai… que demander de mieux ?
Alors oui, découverte de l’année. Un nouveau groupe est né, en tout cas est-ce ma conviction. Et dès 2008 Le Golb militera pour que cet album soit le premier d’une longue lignée de disques de ce calibre, plus que vitaux dans la France sarkozyste.
A bientôt, et vive le rock’n’roll décomplexé !
👍👍 Ultra Orange & Emmanuelle
Ultra Orange & Emmanuelle | V2 Music, 2007