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Il est aisé de se moquer de Beigbeder, et pas grand monde ne s’en prive. Faut-il cogner à loisir sur un type prêtant si volontairement et si complaisamment le flanc à la critique ? Vaste débat. Je me suis souvent abstenu de le faire, essayant de dégager un point de vue à peu près nuancé – ce qui n’a rien d’évident en face d'un auteur déchaînant tellement les passions. Et puis d’autres fois ai-je cédé à une tentation irrésistible, car il est bien sûr éminemment comique que le grand pope (c’est le cas de le dire ) autoproclamé de la critique littéraire french touch soit parallèlement un écrivain si décevant, si limité et aux exigences vis-à-vis de lui-même inversement proportionnelles à celles qu’il a (souvent à juste titre) vis-à-vis des autres. Beigbeder est loin d’être le nase que prétendent certains : critique de talent, chroniqueur souvent inspiré… il a une plume et sait s’en servir – son gros problème c’est qu’il s’en sert bien souvent pour des conneries. Si je n’étais pas moi-même trop bien placé pour le comprendre, je me demanderais comment on peut placer si haut la littérature sur son échelle de valeurs, tout en s’y adonnant paradoxalement de manière aussi peu convaincante – Beigbeder le critique a-t-il jamais été dupe des insuffisances de Beigbeder l’écrivain ?...
Au fil des années je crois avoir fini par lire tous les livres de Beigbeder, ce qui est pour le moins étonnant si l'on considère que je n’en ai jamais adoré aucun... tout en n'en ayant pas profondément détesté beaucoup. Je ne crois cela dit pas être le seul dans ce cas : curieux, tout de même, cette manière qu’ont tant de gens de se jeter sur ses livres… pour mieux les dégommer après. Curieux mais pas forcément contradictoire, tant la bête médiatique occupe toute la place, à tort ou à raison (le plus souvent à tort, en fait). Une petite dizaine de livres plus tard (déjà) mon opinion sur l’« œuvre » n’a pas beaucoup évolué. Beigbeder n’est pas dénué de talent. A l’instar de ceux d’une Nothomb la plupart de ses livres s’avalent vite, plutôt bien, s’oublient parfois aussitôt (je n’ai plus le moindre de souvenir de L’Égoïste romantique - pourtant lu il n’y a pas si longtemps…). Ceux-ci sont généralement plutôt bien fichus, car le bonhomme connaît la littérature et est pourvu d’une réelle maîtrise. Si l'on était salaud on dirait que son meilleur est sans doute Dernier inventaire avant liquidation , dans lequel il exerce sa plume en tant que… critique. Mais on ne sera pas trop salaud (même si c’est vrai). Disons que globalement ses romans souffrent tous peu ou prou des mêmes défauts, des mêmes faiblesses, et qu'au fil des années son incapacité à les affronter se prête de moins en moins à l’indulgence tant elle confine à la paresse pure et simple. Ainsi la plupart du temps ça démarre tambour battant, efficace et enlevé, toujours prometteur… et ça se casse la gueule aux alentours des pages soixante / soixante-dix. Le plus symptomatique de cela étant assurément 99 francs, tout à fait excellent dans sa première partie (celle du « Je ») et absolument bassinant le reste du temps. En toute logique son seul livre qui soit réussi de bout en bout est ainsi Vacances dans le coma - soit donc : le plus court. Et bien sûr son recueil de nouvelles.
Depuis Windows on the World (2003) cependant, Beigbeder semble avoir non plus stagné mais carrément régressé : passablement raté, ce roman racontant un monceau de conneries autour du 11 septembre l’a amené à prendre une dimension encore plus importante, et voilà que loin d’être renvoyé à ses cours de création littéraire (ça lui aurait fait du bien) comme le mec potentiellement doué qu’il était, Frédéric s’est retrouvé invité partout, sur des plateaux sérieux ou dans des conférences, adoptant des postures de grand écrivain qui auraient fait rire tout le monde si le sujet du bouquin n’avait pas été si horrible (et le bouquin en lui-même, si désespérément dénué d’intérêt). Les choses se sont corsées et quand bien même le lancement promotionnel de ce brûlot de 2007 stipulait-il que Beigbeder avait décidé de tout arrêter à part la littérature … c’est pourtant bien dans la lignée de Windows que se situe Au secours pardon .
Il faudrait sans doute passer sur ce titre absolument ridule, seulement voilà : il est à l’image du reste, il dit déjà tout – ou presque. Accoucher d’un titre aussi nullissime quand même vos détracteurs s’accordent pour louer votre sens de la formule… voilà qui annonce le pire. Banco : dans ce nouveau roman, Beigbeder s’applique méthodiquement à foirer absolument tout – y compris les trucs pour lesquels il était doué jusqu’alors. A tel point qu’arrivé au bout, on hésite : et si c’était volontaire ? Et si quitte à faire pisser de rire les trois quarts des lettreux du pays Beigbeder avait décidé d’y aller à fond ? L’hypothèse prête à sourire, il n’empêche : la pure charité chrétienne imposera à tous de souhaiter qu’elle soit juste.
Dans Au secours pardon on retrouve donc Octave, héros tête-à-claques de 99 francs . Passé le trouble naturel provoqué par des retrouvailles si émouvantes (à vrai dire on se demande s’il y a une personne dans ce pays qui ait jamais vraiment espéré que les aventures de ce personnage aient une suite), on note qu’il est dans de sales draps, puisqu’il est en pleine prise d’otages dans une cathédrale russe, menace de se faire sauter si on ne lui rend pas la gamine qu’il aime… Consternation dans l’assistance et consternation du lecteur : c’est QUOI cette intrigue débile ? On imagine bien que tout cela n’est pas censé être sérieux (on n'est pas complètement cons – nous) mais tout de même : à défaut de verser dans le réalisme on est en droit d’attendre un brin de vraisemblance de la part d’un auteur prétendant brosser une satire des dérives du monde occidental. La Décadence ne s’est certes jamais complètement prise au sérieux, en revanche elle a toujours été une affaire sérieuse, et si Des Esseintes porte des tenues pour le moins extravagantes on l’imagine mal enguirlandé dans de la dynamite en train de gémir niaisement après son amour perdu. Et pourquoi pas Patrick Bateman en string à paillettes, pendant qu’on y est ? Le résultat de cela est qu’Octave (dont le seul nom est déjà un repoussoir) revêt un côté franchouillard en contradiction totale avec tout ce qu’il est censé représenter, comme si Bret Easton Elis avait décidé de prendre Jean-Claude Dusse pour figurer au casting de Glamorama. Du coup lorsque Beigbeder veut entraîner le lecteur dans une plongée dans les bas-fond de Moscou, ses bordels et ses paillettes, ses occidentaux vivant en vase clos et ses milliardaires russes sans foi ni loi… on a déjà cessé de le prendre au sérieux depuis un moment. On est même à la limite de pleurer de rire tellement tout ceci ressemble à une vaste fumisterie, même pas écrite avec la plume vive qu’on n’avait pas forcément détestée ailleurs.
Reste l’espoir que cette partie satirique soit réussie, à défaut d’être totalement cohérente… espoir qui bien sûr va rapidement s’envoler tant Beigbeder semble préférer les digressions bavardes à une narration rigoureuse. A priori incapable de se documenter un tant soit peu pour donner du corps à son histoire, il retombe exactement dans le même plan fumeux que pour Windows on the World – à savoir qu’il pontifie à n’en plus finir et termine le livre en se triturant le nombril (notez que ça boucle la boucle). Ce ne serait sans doute pas bien grave si ses divagations pseudos existentielles (on peut légitimement se demander, vu ce qu’il écrit sur la vie, à quoi ressemble sa vie de bobo starifié par hasard – et pas rasé) et ses délires potaches parfois franchement craignos ne venaient pas se greffer sur des sujets autrement plus complexes, profonds et sérieux (situation de la Russie contemporaine, milieux jet-set corrompus jusqu’à la moelle, prostitution adolescente – sans oublier son inaugurale et piteuse parodie de terrorisme kamikaze). De tout cela, Beigbeder ne fait qu’une vulgaire pantalonnade, un roman de Houellebecq revisité par Stéphane Collaro ; à la fin, j’avais presque honte pour lui (même si j’avais surtout honte pour moi de perdre mon temps avec un livre aussi indigent). A trop vouloir être tout le monde, c’est bien connu, on finit par n'être plus personne.
Ici Beigbeder essaie à l’évidence d’être tout à la fois Easton Ellis, Tom Wolfe et Hunter S. Thompson… pas de chance il n’a ni la vision du premier, ni la verve satirique du second ni la rigueur quasi-documentaire du troisième. On lui aurait bien conseillé du coup d’essayer la prochaine fois de faire du Beigbeder, seulement voilà : dix-huit ans et sept romans plus tard, on a pas la moindre idée de qui c’est, ce Beigbeder. A part bien sûr le mec de la télé. Peut-être qu’il aurait dû arrêter la littérature et continuer tout le reste – plutôt que le contraire ? A voir. Ce qui est certain c’est qu’à force de se foutre de la gueule du monde, ses lecteurs même les plus fanatiques finiront par ne plus lui pardonner. Et qu’avec ce roman si profondément nul, il a largement dépassé le stade où on pouvait le critiquer gentiment et le mettre au coin pour le forcer à bosser. On optera donc avec insistance pour un passage en Conseil de Discipline Littéraire, en espérant pour lui qu’il se mettra à la littérature pour de bon avant le violent retour de bâton qu’on peut d’ores et déjà lui prédire. Capitaliser sur son seul nom pendant des années, même Britney Spears est en train de s’y casser les dents.
Il est aisé de se moquer de Beigbeder, et pas grand monde ne s’en prive. Faut-il cogner à loisir sur un type prêtant si volontairement et si complaisamment le flanc à la critique ? Vaste débat. Je me suis souvent abstenu de le faire, essayant de dégager un point de vue à peu près nuancé – ce qui n’a rien d’évident en face d'un auteur déchaînant tellement les passions. Et puis d’autres fois ai-je cédé à une tentation irrésistible, car il est bien sûr éminemment comique que le grand pope (c’est le cas de le dire ) autoproclamé de la critique littéraire french touch soit parallèlement un écrivain si décevant, si limité et aux exigences vis-à-vis de lui-même inversement proportionnelles à celles qu’il a (souvent à juste titre) vis-à-vis des autres. Beigbeder est loin d’être le nase que prétendent certains : critique de talent, chroniqueur souvent inspiré… il a une plume et sait s’en servir – son gros problème c’est qu’il s’en sert bien souvent pour des conneries. Si je n’étais pas moi-même trop bien placé pour le comprendre, je me demanderais comment on peut placer si haut la littérature sur son échelle de valeurs, tout en s’y adonnant paradoxalement de manière aussi peu convaincante – Beigbeder le critique a-t-il jamais été dupe des insuffisances de Beigbeder l’écrivain ?...
Au fil des années je crois avoir fini par lire tous les livres de Beigbeder, ce qui est pour le moins étonnant si l'on considère que je n’en ai jamais adoré aucun... tout en n'en ayant pas profondément détesté beaucoup. Je ne crois cela dit pas être le seul dans ce cas : curieux, tout de même, cette manière qu’ont tant de gens de se jeter sur ses livres… pour mieux les dégommer après. Curieux mais pas forcément contradictoire, tant la bête médiatique occupe toute la place, à tort ou à raison (le plus souvent à tort, en fait). Une petite dizaine de livres plus tard (déjà) mon opinion sur l’« œuvre » n’a pas beaucoup évolué. Beigbeder n’est pas dénué de talent. A l’instar de ceux d’une Nothomb la plupart de ses livres s’avalent vite, plutôt bien, s’oublient parfois aussitôt (je n’ai plus le moindre de souvenir de L’Égoïste romantique - pourtant lu il n’y a pas si longtemps…). Ceux-ci sont généralement plutôt bien fichus, car le bonhomme connaît la littérature et est pourvu d’une réelle maîtrise. Si l'on était salaud on dirait que son meilleur est sans doute Dernier inventaire avant liquidation , dans lequel il exerce sa plume en tant que… critique. Mais on ne sera pas trop salaud (même si c’est vrai). Disons que globalement ses romans souffrent tous peu ou prou des mêmes défauts, des mêmes faiblesses, et qu'au fil des années son incapacité à les affronter se prête de moins en moins à l’indulgence tant elle confine à la paresse pure et simple. Ainsi la plupart du temps ça démarre tambour battant, efficace et enlevé, toujours prometteur… et ça se casse la gueule aux alentours des pages soixante / soixante-dix. Le plus symptomatique de cela étant assurément 99 francs, tout à fait excellent dans sa première partie (celle du « Je ») et absolument bassinant le reste du temps. En toute logique son seul livre qui soit réussi de bout en bout est ainsi Vacances dans le coma - soit donc : le plus court. Et bien sûr son recueil de nouvelles.
Depuis Windows on the World (2003) cependant, Beigbeder semble avoir non plus stagné mais carrément régressé : passablement raté, ce roman racontant un monceau de conneries autour du 11 septembre l’a amené à prendre une dimension encore plus importante, et voilà que loin d’être renvoyé à ses cours de création littéraire (ça lui aurait fait du bien) comme le mec potentiellement doué qu’il était, Frédéric s’est retrouvé invité partout, sur des plateaux sérieux ou dans des conférences, adoptant des postures de grand écrivain qui auraient fait rire tout le monde si le sujet du bouquin n’avait pas été si horrible (et le bouquin en lui-même, si désespérément dénué d’intérêt). Les choses se sont corsées et quand bien même le lancement promotionnel de ce brûlot de 2007 stipulait-il que Beigbeder avait décidé de tout arrêter à part la littérature … c’est pourtant bien dans la lignée de Windows que se situe Au secours pardon .
Dans Au secours pardon on retrouve donc Octave, héros tête-à-claques de 99 francs . Passé le trouble naturel provoqué par des retrouvailles si émouvantes (à vrai dire on se demande s’il y a une personne dans ce pays qui ait jamais vraiment espéré que les aventures de ce personnage aient une suite), on note qu’il est dans de sales draps, puisqu’il est en pleine prise d’otages dans une cathédrale russe, menace de se faire sauter si on ne lui rend pas la gamine qu’il aime… Consternation dans l’assistance et consternation du lecteur : c’est QUOI cette intrigue débile ? On imagine bien que tout cela n’est pas censé être sérieux (on n'est pas complètement cons – nous) mais tout de même : à défaut de verser dans le réalisme on est en droit d’attendre un brin de vraisemblance de la part d’un auteur prétendant brosser une satire des dérives du monde occidental. La Décadence ne s’est certes jamais complètement prise au sérieux, en revanche elle a toujours été une affaire sérieuse, et si Des Esseintes porte des tenues pour le moins extravagantes on l’imagine mal enguirlandé dans de la dynamite en train de gémir niaisement après son amour perdu. Et pourquoi pas Patrick Bateman en string à paillettes, pendant qu’on y est ? Le résultat de cela est qu’Octave (dont le seul nom est déjà un repoussoir) revêt un côté franchouillard en contradiction totale avec tout ce qu’il est censé représenter, comme si Bret Easton Elis avait décidé de prendre Jean-Claude Dusse pour figurer au casting de Glamorama. Du coup lorsque Beigbeder veut entraîner le lecteur dans une plongée dans les bas-fond de Moscou, ses bordels et ses paillettes, ses occidentaux vivant en vase clos et ses milliardaires russes sans foi ni loi… on a déjà cessé de le prendre au sérieux depuis un moment. On est même à la limite de pleurer de rire tellement tout ceci ressemble à une vaste fumisterie, même pas écrite avec la plume vive qu’on n’avait pas forcément détestée ailleurs.
Reste l’espoir que cette partie satirique soit réussie, à défaut d’être totalement cohérente… espoir qui bien sûr va rapidement s’envoler tant Beigbeder semble préférer les digressions bavardes à une narration rigoureuse. A priori incapable de se documenter un tant soit peu pour donner du corps à son histoire, il retombe exactement dans le même plan fumeux que pour Windows on the World – à savoir qu’il pontifie à n’en plus finir et termine le livre en se triturant le nombril (notez que ça boucle la boucle). Ce ne serait sans doute pas bien grave si ses divagations pseudos existentielles (on peut légitimement se demander, vu ce qu’il écrit sur la vie, à quoi ressemble sa vie de bobo starifié par hasard – et pas rasé) et ses délires potaches parfois franchement craignos ne venaient pas se greffer sur des sujets autrement plus complexes, profonds et sérieux (situation de la Russie contemporaine, milieux jet-set corrompus jusqu’à la moelle, prostitution adolescente – sans oublier son inaugurale et piteuse parodie de terrorisme kamikaze). De tout cela, Beigbeder ne fait qu’une vulgaire pantalonnade, un roman de Houellebecq revisité par Stéphane Collaro ; à la fin, j’avais presque honte pour lui (même si j’avais surtout honte pour moi de perdre mon temps avec un livre aussi indigent). A trop vouloir être tout le monde, c’est bien connu, on finit par n'être plus personne.
Ici Beigbeder essaie à l’évidence d’être tout à la fois Easton Ellis, Tom Wolfe et Hunter S. Thompson… pas de chance il n’a ni la vision du premier, ni la verve satirique du second ni la rigueur quasi-documentaire du troisième. On lui aurait bien conseillé du coup d’essayer la prochaine fois de faire du Beigbeder, seulement voilà : dix-huit ans et sept romans plus tard, on a pas la moindre idée de qui c’est, ce Beigbeder. A part bien sûr le mec de la télé. Peut-être qu’il aurait dû arrêter la littérature et continuer tout le reste – plutôt que le contraire ? A voir. Ce qui est certain c’est qu’à force de se foutre de la gueule du monde, ses lecteurs même les plus fanatiques finiront par ne plus lui pardonner. Et qu’avec ce roman si profondément nul, il a largement dépassé le stade où on pouvait le critiquer gentiment et le mettre au coin pour le forcer à bosser. On optera donc avec insistance pour un passage en Conseil de Discipline Littéraire, en espérant pour lui qu’il se mettra à la littérature pour de bon avant le violent retour de bâton qu’on peut d’ores et déjà lui prédire. Capitaliser sur son seul nom pendant des années, même Britney Spears est en train de s’y casser les dents.
👎👎 Au secours pardon
Frédéric Beigbeder | Grasset, 2007
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