...
Le rock’n’roll ç’a l’air tout con comme ça, mais en fait c’est vachement compliqué et tout plein de règles tacites qu’on ne peut saisir qu’après de longues années d’étude. Notre exemple du jour est un des plus vicieux qui soient – c’est bien pourquoi cette introduction est plus que capitale pour les jeunes qui nous lisent.
Imaginons que vous soyez jeunes (allons allons : un effort et tout le monde participe). Vous tombez sur le live d’un artiste connu, ou dont on vous a beaucoup parlé mais que vous ne connaissez pas, suivi de la mention : At Max’s Kansas City. Dans votre imaginaire de jeune rockeur, cette salle new-yorkaise occupe le second rang au top des salles mythiques – derrière (évidemment) le CBGB’s. Vous vous jetez donc dessus – seulement c’est un piège grossier ! Car il est connu des initiés que tout disque enregistré live au Max’s Kansas City est toujours une daube publiée après mort de l’artiste ou split du groupe à des fins bassement commerciales, systématiquement affublée qui plus est d’un son à peine digne d’une démo que votre cousin fan d’Alkaline Trio a enregistré dans le garage de ses parents.
Je sais les p’tits, vous tombez des nues. Et encore vous ignorez le meilleur : on vous ment tout le temps. On vous fait croire qu’un disque avec un son pourri c’est bien parce que c’est résolument punk – autant dire qu’on essaie de vous faire gober n’importe quoi. Il est vrai que Sham 69 et ses clones sont parvenus à faire admettre que punk = crade = tout pourri. Tant pis si Never mind the bollocks, excusez-moi de vous le faire remarquer, est pourvu d’un son on ne peut plus léché. De même que quasiment tous les vrais monuments du punk – dont le L.A.M.F. de Johnny Thunders & The Heartbreakers.
(vous noterez avec quel subtilité je fais la jonction entre le Max’s Kansas City et les Heartbreakers, je sais : vous êtes impressionnés mais c’est tout un art vous savez…)
Justement Johnny Thunders, le punk ultime (disent tous ceux qui n’aiment pas Richard Hell) a (on s'y serait attendu) enregistré un live au Max’s Kansas City. Et là, vous vous doutez évidemment que si je vous en parle c'est qu'il s'agit de l'exception qui confirme la règle précédemment établie. Cela va sans dire. Normal du reste puisque, précisément, le Live at Max’s Kansas City de Johnny Thunders & The Heartbreakers n’est pas un vieux pirate officialisé suite au split… mais le fruit d’une poignée de concert de reformation (d’un seul, en fait, sur l’édition orginale). Oui oui : en 1979. 1978, même, pour l’enregistrement.
Bref rappel des faits : en 1976, Johnny Thunders, ex guitariste destroy des New York Dolls, fonde The Heartbreakers avec son copain Richard Hell, qui lui sortira son live tout pourri au CBGB’s, précisons-le, même s'il n'a jamais été prouvé que cette divergence artistique majeure ait été à l'origine de son rapide licenciement. L’année suivante Thunders s’approprie tout le groupe (et tout le répertoire, oubliant de créditer Hell sur plusieurs titres) et publie (pile en 1977, quel pif tout de même) l’un des plus grands albums de tous les temps : L.A.M.F. – aka Like A Mother Fucker. Déjà que les punks anglais vénéraient les Dolls, il n’en fallait pas plus pour qu’ils se mettent tous à appeler John Anthony Genzale Jr papa (ou plutôt tonton… ou plutôt non, tenez : cousin d’Amérique – vu son âge…). Quelques moqueries potaches et la vénéneuse « New York » des Pistols plus tard… euh… rien, en fait : les Heartbreakers ont volé en éclat avant qu’il se passe quoi que ce soit d’autre, officiellement parce qu’ils n’étaient pas satisfaits du mix de l’album (motif tout de même assez peu convaincant). Voilà Johnny Thunders seul en Angleterre, très seul, tellement seul qu’il enregistre en 1978 So Alone – un disque majeur porté par tout le gotha rock du moment (on a vu solitude plus désespérée, on en conviendra). Disque sur lequel figurent Walter Lure et Billy Rath, fraîchement évadés des… Heartbreakers. Disque, aussi, dont le batteur se nomme… Jerry Nolan, ex-Dolls mais surtout… ex-Heartbreakers. Mouais : ça tourne en rond tout ça.
Thunders retourne alors aux Etats-Unis, et comme il est toujours très seul (et sans le sou, et sans groupe), à quoi pense-t-il le coco ? A reformer le groupe à peine déformer et qui de toute façon est encore loin d’être complètement séparé. Les trois autre disent banco – on en déduira donc qu’ils étaient satisfaits du mix de So Alone (qui pourtant est franchement plus discutable que celui de L.A.M.F. mais bon : la drogue fait des ravages, c’est connu).
Et voilà comment moins d’un an après sa séparation le groupe repart sur les routes d’USA et de Navarre, pulvérisant quelques salles sur leur passage, dont ce fameux Max’s Kansas City le temps d’une prestation mémorable… et mémorisé par un ingé son ayant eu la bonne idée d’enregistrer le concert ce soir-là.
L’histoire ne dit pas si les Heartbreakers, qui se sont définivitement séparés juste après, furent satisfaits du mix de leur premier live (le seul qui vaille vraiment la peine, les suivants illustrant pour leur part la règle évoquée en début d’article). Ce qui est sûr c’est ce disque ne laisse pas de place au doute quant à la puissance de feu d’un quatuor au sommet de sa forme. Jerry Nolan fait feu de tout bois, les deux autres jouent juste et fort. Thunders pour sa part a presque l’air concerné par ce qui se passe autour de lui et éructe ses hymnes salement romantiques avec toute la fougue qu’on lui connaît : « I Love You », « Get off the Phone », « All by Myself » (rien à voir, bien entendu, avec Céline Dion), le toujours impec « One-track Mind»…et évidemment l’immortel « Chinese Rocks » - ici jeté en pâture à une foule éparse mais délirante. Seulement deux titres de So Alone (dont un « London » plus percutant que jamais), quelques pépites écartées de L.A.M.F. et remarquablement réhabilitées (à commencer par l’imparable « Can’t Keep My Eyes on You ») et une grosse dose d’adrénaline pour palier à la faiblesse de certains titres… rien à redire, ça cartonne. Quand bien même il manque le joyau à la couronne – « Born to Lose » ayant été (de manière incompréhensible) écarté de la set-list. Tant pis : Live At Max’s Kansas City reste un témoignage vivant et franchement punk de l’énergie dégagée par l’un des groupes les plus mésestimés de cette époque, qui ne manquait ni de scies rock’n’roll ni de malice dans des textes aussi cons que ceux des Ramones – mais plus chiadés aussi.
Un peu plus, je vous le laisse ?
Of course : comme tout disque de Johnny Thunders depuis le début des années 2000, celui-ci est désormais disponible agrémenté de titres supplémentaires chaudement recommandables. Moins que sur les autres (ce qui n’est pas plus mal puisqu’à force d’être réhaussés on finit par avoir des doutes quant aux morceaux présents sur les originaux), mais mieux que sur les autres : quelques résidus plus qu’enthousiasmants des autres shows (dont un en Angleterre… soit donc assez loin du Max’s Kansas City !), dont deux hymnes tout aussi immortels que les autres : « Pirate Love » et « Too Much Junkie Business ». Ce qui donne au final une track-list des plus impressionnantes... ouch ! En voilà qui ne font pas les choses à moitié.
Bon… à noter tout de même que l’objet de cette chronique est la version remasterisée au début des années 90. Non parce que le vinyle original, comme de juste, était affublé d’un mix catastrophique. Raison pour laquelle on entendit plus jamais parler des Heartbreakers par la suite ? Difficile à dire, ils étaient déjà reséparés quand l’album est sorti. La force de l’habitude, sans aucun doute.
Le rock’n’roll ç’a l’air tout con comme ça, mais en fait c’est vachement compliqué et tout plein de règles tacites qu’on ne peut saisir qu’après de longues années d’étude. Notre exemple du jour est un des plus vicieux qui soient – c’est bien pourquoi cette introduction est plus que capitale pour les jeunes qui nous lisent.
Imaginons que vous soyez jeunes (allons allons : un effort et tout le monde participe). Vous tombez sur le live d’un artiste connu, ou dont on vous a beaucoup parlé mais que vous ne connaissez pas, suivi de la mention : At Max’s Kansas City. Dans votre imaginaire de jeune rockeur, cette salle new-yorkaise occupe le second rang au top des salles mythiques – derrière (évidemment) le CBGB’s. Vous vous jetez donc dessus – seulement c’est un piège grossier ! Car il est connu des initiés que tout disque enregistré live au Max’s Kansas City est toujours une daube publiée après mort de l’artiste ou split du groupe à des fins bassement commerciales, systématiquement affublée qui plus est d’un son à peine digne d’une démo que votre cousin fan d’Alkaline Trio a enregistré dans le garage de ses parents.
Je sais les p’tits, vous tombez des nues. Et encore vous ignorez le meilleur : on vous ment tout le temps. On vous fait croire qu’un disque avec un son pourri c’est bien parce que c’est résolument punk – autant dire qu’on essaie de vous faire gober n’importe quoi. Il est vrai que Sham 69 et ses clones sont parvenus à faire admettre que punk = crade = tout pourri. Tant pis si Never mind the bollocks, excusez-moi de vous le faire remarquer, est pourvu d’un son on ne peut plus léché. De même que quasiment tous les vrais monuments du punk – dont le L.A.M.F. de Johnny Thunders & The Heartbreakers.
(vous noterez avec quel subtilité je fais la jonction entre le Max’s Kansas City et les Heartbreakers, je sais : vous êtes impressionnés mais c’est tout un art vous savez…)
Justement Johnny Thunders, le punk ultime (disent tous ceux qui n’aiment pas Richard Hell) a (on s'y serait attendu) enregistré un live au Max’s Kansas City. Et là, vous vous doutez évidemment que si je vous en parle c'est qu'il s'agit de l'exception qui confirme la règle précédemment établie. Cela va sans dire. Normal du reste puisque, précisément, le Live at Max’s Kansas City de Johnny Thunders & The Heartbreakers n’est pas un vieux pirate officialisé suite au split… mais le fruit d’une poignée de concert de reformation (d’un seul, en fait, sur l’édition orginale). Oui oui : en 1979. 1978, même, pour l’enregistrement.
Bref rappel des faits : en 1976, Johnny Thunders, ex guitariste destroy des New York Dolls, fonde The Heartbreakers avec son copain Richard Hell, qui lui sortira son live tout pourri au CBGB’s, précisons-le, même s'il n'a jamais été prouvé que cette divergence artistique majeure ait été à l'origine de son rapide licenciement. L’année suivante Thunders s’approprie tout le groupe (et tout le répertoire, oubliant de créditer Hell sur plusieurs titres) et publie (pile en 1977, quel pif tout de même) l’un des plus grands albums de tous les temps : L.A.M.F. – aka Like A Mother Fucker. Déjà que les punks anglais vénéraient les Dolls, il n’en fallait pas plus pour qu’ils se mettent tous à appeler John Anthony Genzale Jr papa (ou plutôt tonton… ou plutôt non, tenez : cousin d’Amérique – vu son âge…). Quelques moqueries potaches et la vénéneuse « New York » des Pistols plus tard… euh… rien, en fait : les Heartbreakers ont volé en éclat avant qu’il se passe quoi que ce soit d’autre, officiellement parce qu’ils n’étaient pas satisfaits du mix de l’album (motif tout de même assez peu convaincant). Voilà Johnny Thunders seul en Angleterre, très seul, tellement seul qu’il enregistre en 1978 So Alone – un disque majeur porté par tout le gotha rock du moment (on a vu solitude plus désespérée, on en conviendra). Disque sur lequel figurent Walter Lure et Billy Rath, fraîchement évadés des… Heartbreakers. Disque, aussi, dont le batteur se nomme… Jerry Nolan, ex-Dolls mais surtout… ex-Heartbreakers. Mouais : ça tourne en rond tout ça.
Thunders retourne alors aux Etats-Unis, et comme il est toujours très seul (et sans le sou, et sans groupe), à quoi pense-t-il le coco ? A reformer le groupe à peine déformer et qui de toute façon est encore loin d’être complètement séparé. Les trois autre disent banco – on en déduira donc qu’ils étaient satisfaits du mix de So Alone (qui pourtant est franchement plus discutable que celui de L.A.M.F. mais bon : la drogue fait des ravages, c’est connu).
Et voilà comment moins d’un an après sa séparation le groupe repart sur les routes d’USA et de Navarre, pulvérisant quelques salles sur leur passage, dont ce fameux Max’s Kansas City le temps d’une prestation mémorable… et mémorisé par un ingé son ayant eu la bonne idée d’enregistrer le concert ce soir-là.
L’histoire ne dit pas si les Heartbreakers, qui se sont définivitement séparés juste après, furent satisfaits du mix de leur premier live (le seul qui vaille vraiment la peine, les suivants illustrant pour leur part la règle évoquée en début d’article). Ce qui est sûr c’est ce disque ne laisse pas de place au doute quant à la puissance de feu d’un quatuor au sommet de sa forme. Jerry Nolan fait feu de tout bois, les deux autres jouent juste et fort. Thunders pour sa part a presque l’air concerné par ce qui se passe autour de lui et éructe ses hymnes salement romantiques avec toute la fougue qu’on lui connaît : « I Love You », « Get off the Phone », « All by Myself » (rien à voir, bien entendu, avec Céline Dion), le toujours impec « One-track Mind»…et évidemment l’immortel « Chinese Rocks » - ici jeté en pâture à une foule éparse mais délirante. Seulement deux titres de So Alone (dont un « London » plus percutant que jamais), quelques pépites écartées de L.A.M.F. et remarquablement réhabilitées (à commencer par l’imparable « Can’t Keep My Eyes on You ») et une grosse dose d’adrénaline pour palier à la faiblesse de certains titres… rien à redire, ça cartonne. Quand bien même il manque le joyau à la couronne – « Born to Lose » ayant été (de manière incompréhensible) écarté de la set-list. Tant pis : Live At Max’s Kansas City reste un témoignage vivant et franchement punk de l’énergie dégagée par l’un des groupes les plus mésestimés de cette époque, qui ne manquait ni de scies rock’n’roll ni de malice dans des textes aussi cons que ceux des Ramones – mais plus chiadés aussi.
Un peu plus, je vous le laisse ?
Of course : comme tout disque de Johnny Thunders depuis le début des années 2000, celui-ci est désormais disponible agrémenté de titres supplémentaires chaudement recommandables. Moins que sur les autres (ce qui n’est pas plus mal puisqu’à force d’être réhaussés on finit par avoir des doutes quant aux morceaux présents sur les originaux), mais mieux que sur les autres : quelques résidus plus qu’enthousiasmants des autres shows (dont un en Angleterre… soit donc assez loin du Max’s Kansas City !), dont deux hymnes tout aussi immortels que les autres : « Pirate Love » et « Too Much Junkie Business ». Ce qui donne au final une track-list des plus impressionnantes... ouch ! En voilà qui ne font pas les choses à moitié.
Bon… à noter tout de même que l’objet de cette chronique est la version remasterisée au début des années 90. Non parce que le vinyle original, comme de juste, était affublé d’un mix catastrophique. Raison pour laquelle on entendit plus jamais parler des Heartbreakers par la suite ? Difficile à dire, ils étaient déjà reséparés quand l’album est sorti. La force de l’habitude, sans aucun doute.
👑 Live at Max's Kansas City
Johnny Thunders & The Heartbreakers | Beggars Banquet, 1979
tient, puisque je suis dans ma période Thunders, il va falloir que je l'écoute, celui là.
RépondreSupprimer(étonnant, en 2008, tu faisais déjà des supers chroniques.... ;)
Et je ne te parle même pas de 2007 ! :-)
RépondreSupprimer(mais sinon, le live dont tu parles est mieux que le mien, en tout cas niveau son)
RépondreSupprimerwaow, tu connais le Add Water and Stir!
RépondreSupprimereffectivement sa qualité de son m'avait scotché, car je n'étais tombé jusque là que sur des trucs que tu décrits bien dans cet article. Du coup, je suis bien intéressé quand meme par ce max kansas city, ca me permettra de varier les plaisirs. reste à le trouver, j'imagine qu'on ne doit pas le voir à la première fnuc venue...
C'est un live officiel, quand même.
RépondreSupprimer"D.T.K Live At The Speakeasy" sorti par Jungle Records en 1982 est aussi un bon live des Heartbreakers même chose pour le Johnny Thunders & The Heartbreakers: "Live at the Lyceum" sorti par Lolita en France et ABC aux States en 1984...
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