mardi 26 février 2008

Jeronimo - Tout un programme

...
Peut-être parce qu’il est belge, Jeronimo fait partie de ces rares élus capables de jouer du rock dans la langue de Molière – c’est à dire une musique qui rocke (voire qui rolle) avec des textes francophones et qu’on aurait bien du mal à jeter dans le bac marasmique de la nouvelle-chanson-française-qui-ressemble-beaucoup-à-l’ancienne. Nulle révélation là-dedans : vous savez bien que dans le cas contraire, je ne vous en parlerais même pas.

Mais ce qui vaut pour ses albums studio vaut encore plus pour ce disque live enregistré dans un endroit non identifié à une époque jamais confirmée. A vrai dire je ne sais même pas où on peut le trouver, je l’ai reçu en service de presse à l’époque et je ne suis pas du tout certain qu’il ait jamais été commercialisé. Je sais : en parlant de ce disque je vais à l’encontre de tous mes principes, mais c’était juste histoire de sortir des choix consensuels… qui s’ils ne frappent pas l’ensemble du blog s’appliquent hélas de manière irréfutable à notre série Live, At Last.

Toujours est-il que le live de Jeronimo a bénéficié d’un tirage microscopique et vaut infiniment mieux. Sans doute un des lives que j’ai écoutés le plus souvent ces dernières années, d’abord parce que j’adorais la reprise in french d’ « I’m Afraid of Americans » (de qui vous savez…),  puis parce que je me suis surpris à flasher sur quasiment tous les morceaux – que j’eus par ailleurs bien du mal à découvrir plus tard sur les albums officiels. C’est un lieu commun que de dire : Machin prend sa vraie dimension sur scène… n’empêche que dans le cas qui nous intéresse, c’est absolument exact. Si sur disque Jeronimo sonne comme un Dominique A qui aurait de l’humour (je sais… ça fait peur, dit comme ça), en live il se métamorphose en un véritable groupe de rock portant à merveille l’étendard de son micro-tube : « Le Son, l’Image et l'Électricité ». Tout un programme. Car en la matière, les gaillards s’y entendent : la tension est permanente, comment dire les choses autrement que par un enthousiaste y a de l’électricité dans l’air ? Peu de respirations entre les morceaux, une énergie brute tranchant avec la finesse des compositions, un mélange parfait de hargne et de second degré : tout est dans « Ma Femme me trompe », hymne goguenard à l’ennui marital et à la lose absolue – pas étonnant qu’on le retrouve dans ces pages.

Brutes, les compos n’en sont pas mois travaillés, évoquant beaucoup… Bowie, justement. Réminiscences heavy rock de « The Width of a Circle » (« Sarah »), résidus jungle-rock évadés d’Earthling sur « Le Son, l’Image et l'Électricité », rythmiques en escalators pour l’imparable « Ton éternel petit groupe »… le fantôme du Duke le plus abrasif plane au-dessus de cette prestation intense et tout à fait singulière, incarnant enfin de manière décente le néologisme flou chanson-rock. « Le Petit Ramoneur », texte prolo réaliste sur basse énorme explosant à mi-chemin en agression cyber-punk, incarne cela à merveille. On pense à une rencontre improbable entre un Souchon qui tacherait, le No One Is Innocent de la période Utopia, Noir Désir et Filter (dont on reconnaît la brutalité indus-pop sur « Les Prénoms »). De saines références parfaitement digérées pour donner naissance à un ensemble cohérent, personnel et remarquablement pertinent. Le concert s’achève au bout d’une quarantaine de minutes sur une pépite new-wave de premier ordre (« Devant tout le monde ») et déjà on en redemande… quoi ? Sur les albums studios ? Malheureusement 12h33, dont Live n’était censé être que le support promotionnel, n’a persévéré que partiellement dans cette voie. Volonté de réserver cette facette surpuissante à la scène ou manque de moyens relevant de la partie remise ? Impossible à dire pour l’heure (Jeronimo n'a publié que deux albums, en 2001 et 2005). Mais ce live, en tout cas, est de très haute volée.


👍👍 Live 
Jeronimo | autoprod, 2005