vendredi 21 mars 2008

François Bégaudeau - Entres les lignes... le mépris

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Terreau inépuisable de réflexions, l'enseignement a cette particularité d'avoir paradoxalement débouché sur peu de littérature, et encore moins de la bonne. Pourtant le milieu scolaire, à l'instar de tout microcosme, gagnerait à être étudié en profondeur. Puis à être littératurisé. Or bizarrement, rares sont les romanciers à avoir pris le sujet à bras le corps. Je crois en soupçonner le pourquoi : d'une certaine manière je crois que tous, dans une plus ou moins grande mesure, respectent trop cette vocation pour la soumettre à une telle épreuve. Manque de recul probable, mais comment ne pas noter que même le plus illustre de tous les profs-écrivains, Monsieur Pennac en personne, n'a finalement jamais évoqué le milieu scolaire que de manière détournée (Comme un roman a beau être comme un roman, ça n'en demeure pas moins un essai) ?
 
Bref : la France attend encore son grand roman sur l'enseignement. En ce sens, Entre les murs ne pouvait que m'intriguer. Rarement j'ai empoigné un livre avec aussi peu d'a priori, dans la mesure où je ne connaissais strictement rien de l'auteur. Mis à part sa chronique de livres dans La Matinale de Canal, moment où en général j'allume ma première cigarette en baillant et me disant que si d'aventure on me confiait dix minutes hebdos pour parler bouquins... je ne perdrai sans doute pas ce précieux temps à évoquer des petits essais à la con et des livres ovnis dénués du moindre intérêt littéraire. Enfin je dis ça : paraît que le mec est agrégé. Doit donc s'y connaître (boutade - voire double boutade).


Dans Entre les murs, François Bégaudeau évoque donc son expérience de professeur de lettres dans un collège sensible. J'insiste sur le mot expérience - ça ne signifie pas nécessairement que son texte soit autobiographique (et à vrai dire on ne le lui souhaite pas). Peut-être l'est-il, d'ailleurs. Mais on n'en sait rien. En revanche on peut raisonnablement supposer qu'après des années d'exercice de ce métier l'auteur ne s'est pas tapé en prime trois ans de documentation pour sortir du cadre de son expérience sur un sujet qu'il était supposé maîtriser. Il aurait peut-être dû. Car aujourd'hui ma pire crainte est que ce livre tombe entre les mains de parents d'élèves non-informés qui se prendraient à croire que les enseignants sont tous comme ceux décrits dans le livre de Bégaudeau. A savoir des gens n'ayant globalement rien à foutre de leur job et bossant plus ou moins en dilettantes, passant leur vie à boire du café et n'ayant aucune vocation profonde sinon celle de survivre en milieu hostile. L'enseignement en collège, en ZEP de surcroît, est sans doute frustrant à plus d'un titre. On osera pourtant croire qu'on peut y vivre aussi de bons moments, des choses fortes, des choses qui ont un sens. Rien de tout cela ici. Les profs sont des gens qui viennent bêtement pointer, ne font preuve ni de passion ni d'espoir - limite des machines. Caricature tout à fait répandue, on en conviendra. Venant d'un ancien enseignant, cela dit... c'est tout de même un peu plus fâcheux. Pour ne pas dire carrément révoltant. Car bien entendu il est probable que ce soit sa propre image d'enseignant que Bégaudeau inflige à l'intégralité des profs du pays. Et cette manière de voir les choses par le petit bout de sa lorgnette personnelle est confondante de médiocrité ; le nombrilisme en soi est agaçant. Le nombrilisme se parant des oripeaux de l'analyse sociétale ouverte sur les autres est à la limite du supportable. Sans doute Bégaudeau voulait-il faire de l'humour, mais alors si c'est le cas autant qu'il arrête tout de suite ce créneau pour se reconvertir à temps plein dans la chronique de livres inintéressants sur Canal +. Parce que non seulement Entre les murs n'est quasiment jamais drôle, mais en plus le grand livre encensé par France Culture et Télérama s'avère-t-il, littérairement et esthétiquement parlant, du niveau d'une sitcom AB Productions. Mal joué, mal construit, mal mis en scène.

Mais encore ? Eh bien... Entre les murs se révèle être un livre particulièrement irritant, ce dès les premières pages. Rarement aurais-je ressenti un sentiment de rejet si viscéral dès les premières phrases d'un bouquin (d'ailleurs j'ai failli ne pas le finir). Ce passage de pré-rentrée est pathétique - au sens littéral du mot : il tire des larmes. La fin des vacances n'est jamais drôle, soit. De là à en faire une tragédie grecque ou pas loin, avec des enseignants qui avant même d'avoir vu poindre le début du commencement d'un gosse avancent comme des poules vers l'abattoir... n'exagérons rien ! Reconnaissons néanmoins à ce passage d'être un excellent incipit : il donne le ton du roman à venir avec une rare justesse. De fait, durant les deux-cents-soixante pages à venir Bégaudeau va en faire des caisses et des caisses et des caisses... quitte à réduire en bouillie l'argument pseudo-réaliste dont il se sert pour nous fourguer sa daube.
 
Car le mot daube, qu'on emploie pourtant rarement par ici, est en l'occurrence plus qu'approprié. Entre les murs daube dans tous les sens du terme, idéologiquement comme littérairement parlant. Écriture sèche faussement désinvolte (et au demeurant d'une démagogie à pleurer dans sa volonté jeuniste de verser dans le langage parlé le plus superficiel), propos prétendument tragicomique (selon le quatrième de couv') mais suintant surtout le mépris et la condescendance - pour les enseignants comme pour leurs élèves. Au bout d'un moment un des gamins demande au narrateur pourquoi il passe son temps à les vanner. Autant vous dire qu'il m'a ôté les mots de la bouche - ça faisait en effet quelque temps déjà que je ne pouvais plus supporter cette obsession de la formule facile particulièrement improbable (un prof en ZEP qui passerait la moitié des ses cours à casser méchamment ses élèves ? on y croit !), et qui plus est puante (voici donc un type qui, parce qu'il manie le langage mieux que les enfants qu'il a en face de lui, utilise ce dernier afin de bien leur faire sentir sa supériorité... no comment...)
 
Le plus bel exemple de ce mépris étant sans doute cette manie curieuse de désigner les élèves par leurs fringues. Une citation ? Tenez :
 
« Hadia qu'est-ce que tu nous proposes ?
        Boucles d'oreilles en plastique noir tachetées de cœurs roses. »
 
En voici une au pif. Il y en a plus d'une quarantaine sur l'ensemble du livre. Le simple gimmick est en lui-même épuisant. Ce qu'il provoque plus ou moins volontairement est intolérable dans un tel contexte. On appelle cela la déshumanisation, et c'est juste à vomir. Notez que de ce point de vue le titre est plutôt bien choisi : on ne sort effectivement jamais de l'enceinte du collège. C'est tout le problème : dans cette succession de saynètes dépourvues du moindre liant narratif aucun personnage ne se démarque réellement, les élèves sont interchangeables, les profs aussi, et à vrai dire la plupart du temps seuls les prénoms (à consonance forcément étrangère pour les premiers, bien français pour les seconds) permettent de différencier les uns des autres - dans la mesure où ils parlent tous de la même manière pour dire des trucs d'un égal inintérêt.
 
Alors bien sûr il y a quelques passages où l'on pourra sourire... comme par exemple celui où le narrateur passe une demi-heure à essayer d'expliquer la règle d'après que... + indicatif avant d'abandonner en admettant que personne ne la connaît et que finalement ce n'est pas très important. Grand moment de solitude à essayer d'expliquer une règle de grammaire absolument illogique à des élèves s'en rendant compte assez vite. Est-ce assez pour faire un livre ? Certainement pas. C'est plutôt marrant (le mot drôle serait trop fort) ; c'est surtout très facile. Du reste ça n'amusera guère que des profs, et c'est là tout le paradoxe du livre : il est terriblement ciblé sur une catégorie socio-professionnelle qu'il insulte quasiment du début à la fin. On admettra que le procédé n'est pas courant.
 
Qu'en conclure ? Rien. Parce que de toute façon, que ce soit dans le fond ou dans la forme, Entre les murs n'est pas loin du néant absolu. Au mieux il s'agit du livre bien intentionné d'un paresseux confondant détachement et superficialité. Au pire d'un ouvrage qui, en ces temps de remise en cause permanente des enseignants, mériterait de subir le même sort que le fameux bouquin de Ferry adressé aux profs. Dans un cas comme dans l'autre... c'est non seulement à fuir, mais carrément à bannir de toute LAL.


👎👎 Entre les murs 
François Bégaudeau | Verticales, 2006