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Ma relation avec Jon Spencer a quelque chose de très particulier. Pas du tout au sens affectif - bien au contraire. Au sens strictement professionnel. Parce que de toute ma vie, le cultissime fondateur de Pussy Galore, Boss Hog et Blues Explosion est sans aucun doute l'artiste que j'ai le plus suivi, chroniqué, rencontré... durant ma relativement longue période « journalistico-radiophonique » - et presque exclusivement durant cette période. Or lorsque j'ai rompu avec cet aspect-là de mon existence (en septembre 2004)... j'ai rompu sans m'en rendre compte avec The Jon Spencer Blues Explosion. Le fait est que j'étais épuisé de recevoir autant de disques et d'assister à autant de concerts. Ça fait un peu problème de riche (j'en ai bien conscience, et une part de moi a un peu honte d'écrire un truc pareil) mais à force d'écouter trop de trucs j'ai fini par avoir l'oreille de moins en moins fraîche et par perdre toute notion de plaisir dans l'histoire - un comble lorsqu'on sait à quel point les prestations scéniques du trio new-yorkais sont fondées sur cette seule et unique notion.
De septembre 2004 à septembre 2005 (environ) je me suis retrouvé du coup complètement déconnecté de toutes les nouveautés. Durant un an je n'ai quasiment rien écouté de ce qui sortait mis à une poignée de trucs triés sur le volet. J'ai vaguement entendu dire que Nick Cave, PJ Harvey et les Libertines avaient publié de bons disques cette année-là... mais globalement j'étais franchement en dehors du circuit - lequel ne me manquait pas spécialement. C'est d'ailleurs la seule année depuis mes douze ans durant laquelle je n'ai pas tenu le moindre classement de mes disques favoris du moment. Je faisais tout simplement autre chose, ne me mêlant plus de musique que par pur plaisir. Certains albums ayant fait les unes de tous les journaux à l'époque sont pour moi complètement passés à la trappe, notamment le second Interpol, le troisième Hives... ou le dernier Blues Explosion (que j'ai découvert seulement en 2006, c'est vous dire : j'ai carrément ignoré son existence durant deux ans !)
Quatre ans après cette démission je m'aperçois avec une relative incrédulité que je n'ai quasiment plus jamais écouté d'album du JSBX (pour les intimes). C'est en fait un Rékapituléidoscope avorté qui m'y a ramené, exercice durant lequel je me suis rendu compte (absolument consterné) que finalement... je ne l'aimais pas tant que ça - cet artiste que j'avais littéralement encensé à longueur de chroniques durant six longues années. Hormis le prodigieux Acme (qui reste un de mes disques favoris de tous les temps - mais pour combien d'années encore ?), le classique Mo' Width et (à la rigueur) le live Controversial Negro... les autres albums m'ont pour la plupart laissé complètement froid, ce qui ne choquera peut-être que moi d'ailleurs... c'est pourquoi je tenais vraiment à cette longue intro - afin de bien souligner à quel point j'adorais Spencer jusqu'à il y a quelques années. J'en suis arrivé à me demander si je n'avais pas été pré-conditionné pour aimer ses disques. Influencé par mon entourage de l'époque - mes collègues.
A vrai dire, c'est une fausse question. Le fait est que c'est sans doute précisément pour cette raison que le Blues Explosion n'est jamais devenu aussi énorme que les White Stripes. Pour avoir longtemps tenu seul (ou quasiment) la flamme du rock'n'roll au format good old power trio, à une époque il devenait fort peu hype d'en jouer, il semble avec le recul que Jon Spencer ait longtemps bénéficié d'une aura largement supérieure à ce que valait réellement sa musique. Pour ceux qui ne connaitraient pas le bonhomme, en plus d'être charismatique et cultivé, il su faire preuve d'une intégrité incontestable, ne vécu que pour la musique et fut dans les années 90 une espèce de symbole. Le rocker authentique, crédible... une espèce de statue du commandeur finalement très consensuelle et appliquée. Une icône underground sur laquelle les critiques ont projeté tous leurs fantasmes, allant jusqu'à qualifier de sauvages et primitifs des albums souvent surproduits et parfois franchement lisses (m'est avis qu'ils devaient confondre avec les concerts - effectivement sauvages si ce n'était carrément torrides). Las... retirée de son contexte et en dehors des passions de l'époque, son œuvre reste intéressante mais n'a plus grand chose de fascinant.
De fait, Jon Spencer ne mobilise désormais plus vraiment les foules (mis à part sur scène, domaine où il reste difficile à égaler), ce qui finalement n'est pas plus juste que lorsqu'il déchainait les passions du côté de Rock & Folk (et des autres). Il est probable qu'au bout du compte, le revival RNR entamé en 2001 lui ait fait plus de mal que de bien. Patrick Eudeline s'étonnait alors qu'au moment des précédentes vagues du genre (punk ou grunge) les glorieux aînés aient été redécouverts par le public... alors que Spencer, début 2000, non. Cela en dit sur la déconnexion d'une partie de la critique. Spencer, c'est assez fou de devoir le souligner, n'est ni Iggy Pop ni Neil Young ni Lou Reed. C'est bien cela son drame. Il n'est dans le fond qu'un habile faiseur dont le talent a été au final violemment relativisé par l'émergence de jeunes surdoués.
Ceci posé rien d'étonnant à ce que mon opinion quant à Plastic Fang ait été violemment revue à la baisse. A vrai dire à la première réécoute j'ai été aussi enchanté par les deux premiers titres (le fulgurant « Sweet'n'Sour » et le tubesque « She Said ») que profondément bassiné par le reste de l'album. Relativisé - disais-je ? Exactement. Comparer Plastic Fang aux meilleures salves revival RNR de 2001-02 ne peut que lui faire beaucoup, beaucoup de mal. On n'y trouvera ni l'inventivité des Liars! de They Threw Us All... (quelques mois plus tard), ni (quelques mois plus tôt) la noirceur destroy et la puissance mélodique du White Blood Cells des White Stripes. Pas même la concision pop du premier Strokes. Et par pudeur on n'essaiera même pas de le comparer au terrifiant Ultraglide in Black des Dirtbombs - ce serait pure mesquinerie de notre part. Au regard de ces disques même pas majeurs, Plastic Fang fait figure de petite œuvre artisanale sans prétention aucune... le problème étant qu'elle est censée être tout l'inverse : le grand retour au rock'n'roll du vétéran Spencer, bien décidé à en découdre avec une époque s'intéressant de nouveau à toute la musique qu'il aime (et qui ne vient pas de-là-du-blues - il n'y aucune influence BLUES dans le BLUES explosion). L'album censé le faire exploser après des années de relatif anonymat, assez opportuniste dans sa forme, d'ailleurs, ce que peut on voulu voir à l'époque : ne s'agit-il pas là de l'album le plus électrique et seventies d'un artiste dont quasiment tous les opus studios étaient mâtinés de lo-fi, de post-punk et d'electro ? Dans le fond, Plastic Fang n'est rien de plus que le Rock'n'Roll Heart de Spencer. Ou bien son American Cæsar. Ou son Ragged Glory. Le disque sur lequel un futur papi du rock (qui Lou Reed, qui Iggy Pop, qui Neil Young) essaie de raccrocher les wagons avec une nouvelle génération en passe de le has-beener précocement et oubliant même (quelle bande de petits cons) de lui payer son tribute. Las : si Jack White (au hasard) ne tire pas son chapeau à Jon, c'est sans doute tout simplement parce qu'il ne lui doit rien. Kurt Cobain ou Eddie Vedder s'étaient construits en écoutant Neil Young ou les Stooges... Les jeunes pousses (on les appelait alors encore groupes en THE) d'aujourd'hui n'ont sans doute jamais posé une oreille sur un disque de Spencer... pourquoi le remercieraient-ils ?
On réécoute donc, et l'on a bien du mal à rentrer dedans. Pourtant Plastic Fang est un bon disque, vraiment. Mais un bon disque revêche, pas du tout immédiat et pas du tout fulgurant comme le rock'n'roll qu'il est censé incarner. Le groupe a eu beau revenir à une musique plus organique, ses compos n'en restent pas moins particulièrement tordues et difficiles à appréhender, très mélodiques - sauf que les mélodies ne se retiennent pas. On est plus en face d'un disque d'ambiance que d'un disque de grands morceaux RNR (seul « She Said » peut prétendre à ce titre).
Ambiance, donc : cool et groovy ici (« Killer's Wolf », « Hold on »), sexy là (« Down in the Beast »). Sur deux titres, le Blues Explosion parvient à toucher de prêt LE truc : « Mother Nature » et « Point of View » évoquent une rencontre hybride entre Nick Cave et les Stones, quelque part au fin fond du Bayou. Et lorsqu'il saupoudre le tout d'un zest de Hound Dog Taylor on se dit que voilà, on y est : c'est sans doute dans cette direction (tout à fait raccord avec la superbe pochette) que le groupe aurait voulu aller.
Faute d'y être parvenu, il a laissé derrière lui un disque sympa, efficace et pêchu... mais complètement anecdotique, comme est vraisemblablement destiné à le devenir l'ensemble de son œuvre.
De septembre 2004 à septembre 2005 (environ) je me suis retrouvé du coup complètement déconnecté de toutes les nouveautés. Durant un an je n'ai quasiment rien écouté de ce qui sortait mis à une poignée de trucs triés sur le volet. J'ai vaguement entendu dire que Nick Cave, PJ Harvey et les Libertines avaient publié de bons disques cette année-là... mais globalement j'étais franchement en dehors du circuit - lequel ne me manquait pas spécialement. C'est d'ailleurs la seule année depuis mes douze ans durant laquelle je n'ai pas tenu le moindre classement de mes disques favoris du moment. Je faisais tout simplement autre chose, ne me mêlant plus de musique que par pur plaisir. Certains albums ayant fait les unes de tous les journaux à l'époque sont pour moi complètement passés à la trappe, notamment le second Interpol, le troisième Hives... ou le dernier Blues Explosion (que j'ai découvert seulement en 2006, c'est vous dire : j'ai carrément ignoré son existence durant deux ans !)
Quatre ans après cette démission je m'aperçois avec une relative incrédulité que je n'ai quasiment plus jamais écouté d'album du JSBX (pour les intimes). C'est en fait un Rékapituléidoscope avorté qui m'y a ramené, exercice durant lequel je me suis rendu compte (absolument consterné) que finalement... je ne l'aimais pas tant que ça - cet artiste que j'avais littéralement encensé à longueur de chroniques durant six longues années. Hormis le prodigieux Acme (qui reste un de mes disques favoris de tous les temps - mais pour combien d'années encore ?), le classique Mo' Width et (à la rigueur) le live Controversial Negro... les autres albums m'ont pour la plupart laissé complètement froid, ce qui ne choquera peut-être que moi d'ailleurs... c'est pourquoi je tenais vraiment à cette longue intro - afin de bien souligner à quel point j'adorais Spencer jusqu'à il y a quelques années. J'en suis arrivé à me demander si je n'avais pas été pré-conditionné pour aimer ses disques. Influencé par mon entourage de l'époque - mes collègues.
A vrai dire, c'est une fausse question. Le fait est que c'est sans doute précisément pour cette raison que le Blues Explosion n'est jamais devenu aussi énorme que les White Stripes. Pour avoir longtemps tenu seul (ou quasiment) la flamme du rock'n'roll au format good old power trio, à une époque il devenait fort peu hype d'en jouer, il semble avec le recul que Jon Spencer ait longtemps bénéficié d'une aura largement supérieure à ce que valait réellement sa musique. Pour ceux qui ne connaitraient pas le bonhomme, en plus d'être charismatique et cultivé, il su faire preuve d'une intégrité incontestable, ne vécu que pour la musique et fut dans les années 90 une espèce de symbole. Le rocker authentique, crédible... une espèce de statue du commandeur finalement très consensuelle et appliquée. Une icône underground sur laquelle les critiques ont projeté tous leurs fantasmes, allant jusqu'à qualifier de sauvages et primitifs des albums souvent surproduits et parfois franchement lisses (m'est avis qu'ils devaient confondre avec les concerts - effectivement sauvages si ce n'était carrément torrides). Las... retirée de son contexte et en dehors des passions de l'époque, son œuvre reste intéressante mais n'a plus grand chose de fascinant.
Ceci posé rien d'étonnant à ce que mon opinion quant à Plastic Fang ait été violemment revue à la baisse. A vrai dire à la première réécoute j'ai été aussi enchanté par les deux premiers titres (le fulgurant « Sweet'n'Sour » et le tubesque « She Said ») que profondément bassiné par le reste de l'album. Relativisé - disais-je ? Exactement. Comparer Plastic Fang aux meilleures salves revival RNR de 2001-02 ne peut que lui faire beaucoup, beaucoup de mal. On n'y trouvera ni l'inventivité des Liars! de They Threw Us All... (quelques mois plus tard), ni (quelques mois plus tôt) la noirceur destroy et la puissance mélodique du White Blood Cells des White Stripes. Pas même la concision pop du premier Strokes. Et par pudeur on n'essaiera même pas de le comparer au terrifiant Ultraglide in Black des Dirtbombs - ce serait pure mesquinerie de notre part. Au regard de ces disques même pas majeurs, Plastic Fang fait figure de petite œuvre artisanale sans prétention aucune... le problème étant qu'elle est censée être tout l'inverse : le grand retour au rock'n'roll du vétéran Spencer, bien décidé à en découdre avec une époque s'intéressant de nouveau à toute la musique qu'il aime (et qui ne vient pas de-là-du-blues - il n'y aucune influence BLUES dans le BLUES explosion). L'album censé le faire exploser après des années de relatif anonymat, assez opportuniste dans sa forme, d'ailleurs, ce que peut on voulu voir à l'époque : ne s'agit-il pas là de l'album le plus électrique et seventies d'un artiste dont quasiment tous les opus studios étaient mâtinés de lo-fi, de post-punk et d'electro ? Dans le fond, Plastic Fang n'est rien de plus que le Rock'n'Roll Heart de Spencer. Ou bien son American Cæsar. Ou son Ragged Glory. Le disque sur lequel un futur papi du rock (qui Lou Reed, qui Iggy Pop, qui Neil Young) essaie de raccrocher les wagons avec une nouvelle génération en passe de le has-beener précocement et oubliant même (quelle bande de petits cons) de lui payer son tribute. Las : si Jack White (au hasard) ne tire pas son chapeau à Jon, c'est sans doute tout simplement parce qu'il ne lui doit rien. Kurt Cobain ou Eddie Vedder s'étaient construits en écoutant Neil Young ou les Stooges... Les jeunes pousses (on les appelait alors encore groupes en THE) d'aujourd'hui n'ont sans doute jamais posé une oreille sur un disque de Spencer... pourquoi le remercieraient-ils ?
On réécoute donc, et l'on a bien du mal à rentrer dedans. Pourtant Plastic Fang est un bon disque, vraiment. Mais un bon disque revêche, pas du tout immédiat et pas du tout fulgurant comme le rock'n'roll qu'il est censé incarner. Le groupe a eu beau revenir à une musique plus organique, ses compos n'en restent pas moins particulièrement tordues et difficiles à appréhender, très mélodiques - sauf que les mélodies ne se retiennent pas. On est plus en face d'un disque d'ambiance que d'un disque de grands morceaux RNR (seul « She Said » peut prétendre à ce titre).
Ambiance, donc : cool et groovy ici (« Killer's Wolf », « Hold on »), sexy là (« Down in the Beast »). Sur deux titres, le Blues Explosion parvient à toucher de prêt LE truc : « Mother Nature » et « Point of View » évoquent une rencontre hybride entre Nick Cave et les Stones, quelque part au fin fond du Bayou. Et lorsqu'il saupoudre le tout d'un zest de Hound Dog Taylor on se dit que voilà, on y est : c'est sans doute dans cette direction (tout à fait raccord avec la superbe pochette) que le groupe aurait voulu aller.
Faute d'y être parvenu, il a laissé derrière lui un disque sympa, efficace et pêchu... mais complètement anecdotique, comme est vraisemblablement destiné à le devenir l'ensemble de son œuvre.
✋ Plastic Fang
The Jon Spencer Blues Explosion | Matador, 2002