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Benchetrit est un poseur. Certains linguistes mondialement réputés sont absolument convaincus (sans toutefois pouvoir en apporter la preuve) que le mot a été inventé pour lui. Il le sait très bien : son premier roman s'appelait Récit d'un branleur et on n'en a pas vu beaucoup depuis qui aient si bien porté leur nom. C'est vous dire si l'idée de lire ce bouquin offert par une personne j'imagine bien intentionnée ne m'enthousiasmait pas. J'ai quand même mis six mois à me décider à l'ouvrir. J'ai alors lu la première phrase et me suis dit : putain, quel poseur. Quelle surprise.
Attention cependant : nous ne parlons pas ici du poseur génial et élégamment artistocratique. Du génie désinvolte et volontiers provocateur. Du "Sex Pistols de la littérature" (selon un critique probablement raide bourré ce jour-là - ou bien alors qui n'avait pas réécouté Never mind the bollocks depuis 1977). Non, Benchetrit, c'est le poseur dans son acceptation la plus banale possible - c'est-à-dire le mec qui n'a franchement pas les moyens de se la péter. Quiconque a lu son premier livre ou subi son pitoyable Janis & John au ciné sait très bien que ce brave gars ne vaut pas grand chose. Chacune de mes rencontres avec son travail m'a fait me poser la même sempiternelle question : pourquoi on en parle ?
Ce premier volet des Chroniques de l'asphalte n'a pas, vous vous en doutez, violemment inversé la tendance. Principalement à cause d'une arrogance dans le ton inversement proportionnelle à la qualité de l'écriture. Un type se réclamant de Bukowski ou de Brautigan (influences criantes dans certaines chroniques) d'un côté et proposant une écriture aussi aseptisée de l'autre mériterait le goudron et les plumes. En plus... ce mode du vouvoiement, de l'interpellation de lecteur... c'est un gimmick absolument insupportable. Genre Et vous, vous en pensez quoi ? Moi je me dis souvent que... non, quoi. La chronique (si tant est que c'en soit vraiment) est certes un format bâtard autorisant certaines libertés. Néanmoins on rappellera gentiment à Bench qu'il écrit un livre, là - pas un blog.
A priori et craintes confirmés, donc... et pourtant je n'ai pas ressenti le violent sentiment de rejet attendu.
Tout n'est pas à jeter dans ce livre. Certains portraits sont touchants (Dédé), le récit de l'enfance en banlieue à l'époque où elle n'était pas encore complètement devenue un ghetto est plutôt sympathique - voire même attachant par moment. Rien de très original en soi (Chroniques de l'apshalte n'est qu'un pendant pseudo-rock'n'roll et eighties du Champ de personne - la tendresse et la modestie en moins), mais l'univers n'est pas complètement désagréable et certains passages font sourire sans qu'on ait besoin de se forcer. Reste qu'à côté des deux livres de Magyd Cherfi, qui évoluent dans le même registre, celui de Benchetrit fait franchement poids plume, faute d'avoir une plume digne de ce nom. Ne lui jetons pas l'anathème néanmoins : pour un peu qu'il accepte de rompre avec la superficialité inhérente à ses réflexions parfois involontairement comiques sur la vie et la société, et s'initie à l'art délicat de l'humilité... le p'tit Bench devenu grand pourrait bien sortir un de ces quatre un livre franchement réussi. Dans ses meilleurs moments, Chroniques de l'asphalte laisse entendre qu'il en serait tout à fait capable.
Alors au boulot, Samuel : il n'est jamais trop tard pour mûrir. Même à trente-cinq ans.
👎 Chroniques de l'asphalte 1/5
Samuel Benchetrit | Julliard, 2005
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