vendredi 16 mai 2008

Daniel Darc - N'écoute pas les idoles...

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A vous je ne mentirai pas : le second anniversaire de ce blog m'a plongé dans des abymes de mélancolie. Le premier s'était fait dans la liesse. Le second, bizarrement, a été l'occasion d'une espèce de rétrospection aussi nécessaire que désagréable. Arrivé à un certain stade de sa vie bloguienne vient l'heure des bilans...et le Top of the Flops ne fait pas exception à la règle. Rubrique phare du Golb au moment de sa création, restée chère au cœur des lecteurs les plus anciens...cette dernière est de loin celle des catégories golbiennes à avoir le plus souffert de l'épreuve du temps. C'est même peut-être l'aspect de ce blog qui témoigne le plus de mon évolution personnelle. Autrefois je tirais à boulets rouges sur tout et n'importe quoi. Aujourd'hui entre le moment où j'ai l'idée d'un TOTF et celui où je l'écris il se passe plusieurs mois, et on ne tire plus vraiment sur les ambulances. Seuls les artistes bénéficiant d'une hype raisonnable y ont désormais droit, ceux qui réussissent encore à fédérer quelques fans sans s'attirer les moqueries des esthètes. Bref : hier c'était Jean-Louis Murat plutôt que Madonna. Aujourd'hui c'est Daniel Darc plutôt que... Madonna, aussi (enfin : non plus).
 
Mais le plus triste dans cette histoire c'est qu'après un bref retour en arrière je me suis aperçu que les TOTF n'étaient jamais aussi réussis (c'est à dire vengeurs et teigneux) que lorsque je cognais sur des gens que j'aimais bien. Ca, ça m'a vraiment beaucoup angoissé...à tel point que j'ai presque été tenté, durant un bref mais interminable instant, de chroniquer le dernier Darc en faisant preuve de bonne foi. Idée allant évidemment à l'encontre du concept même de cette rubrique. C'est à peu près à ce moment-là que j'ai songé à mettre la clé sous la porte : ma rock'n'roll attitude s'en était définitivement allée. Et là... un miracle a eu lieu. Rien moins. Figurez-vous que mon lecteur MP3 en shuffle a eu l'idée folle (mais salvatrice) de passer « Aussi belle qu'une balle » (classique taxigirlien de 1986). En entendant ce titre irréprochable... j'ai tout simplement, comme Daniel avant moi, retrouvé la foi. Sauf que la mienne était mauvaise. Pas de bol pour Daniel.
 

La Foi justement ne serait-elle pas le principal problème de Daniel Darc ? A l'instar de son idole Johnny Cash, l'ex-leader de Taxi Girl a retrouvé la sienne en cessant de se droguer. On est ravi pour lui. Fallait-il en faire toute une discographie pour autant ?... la question mérite d'être posée. Plus de vingt ans après son premier opus en solo (adorable Sous influence divine) Darc n'a toujours pas compris qu'il ne suffisait pas d'écrire les mots Paradis, Enfer, et Dieu quatorze fois par album pour que l'auditeur ressente sa Foi la plus profonde. On ira même jusqu'à avancer sans trop se découvrir que ce serait plutôt l'inverse : la Foi inébranlable n'a guère besoin d'être scandée à longueur de chansons. Elle est là, elle se sent et ne se discute pas. L'indicible requiert un minimum de subtilité lorsqu'on souhaite l'exprimer, non ? Nick Cave n'a jamais eu besoin de parler d'Enfer de Paradis ni de Purgatoire pour que se dégage de son œuvre un mysticisme poignant, complètement barré à ses débuts et d'une sobre élégance depuis une dizaine d'années. A l'inverse de celles de Darc et de tant d'autres, ses chansons les plus profondément mystiques (« Into My Arms », « God is in the House ») sont construites contre les clichés, colifichets, et images d'Épinal - allant jusqu'à détourner le langage biblique traditionnel pour bâtir tout un univers dessus. C'est infiniment plus touchant que quand Darc cite la Bible au milieu d'une chanson (très bien) arrangée par Jacno (« Sous influence divine ») ou met en musique le « Psaume 23 » (sur Crève-cœur). Dans le fond (et c'est quelqu'un qui a retrouvé la Foi il y a peu qui vous le demande) que penser d'un type qui au bout de vingt ans a encore besoin de raconter à la terre entière qu'il croit en Dieu ? De la part de n'importe quel chanteur de variété on trouverait sans doute ça absolument grotesque ou vulgairement prosélyte. Dans le meilleur des cas on se dirait que ça commence à salement sentir la méthode Coué, un peu comme un gosse qui réciterait chaque soir le Notre Père en espérant qu'un truc va se produire qui n'arriverait jamais - mais va continuer quand même, hein... dans le doute. La vérité c'est que si Obispo adaptait le « Psaume 23 » avec un clavier Bontempi tout le monde serait d'accord pour dire que c'est de la merde. Quand cela vient de Daniel Darc, artiste censé être crédible... c'est profondément émouvant, c'est merveilleux, c'est Crève-cœur, album vendu par palettes entières qui fit découvrir l'ex leader de Taxi Girl à toute la génération Cali (la double peine en somme). L'expression vaste fumisterie ne semblera pas déplacée dans ce cas précis.
 
Johnny Cash ! Répondront alors en chœur les (forcément) fervents supporters du damné du rock français. Ah bah oui alors : Johnny Cash. Il a bon dos, le pauvre Homme en Noir. Sous prétexte que la Statue du Commandeur a chanté sa Foi en long en large et travers il faudrait donc se coltiner sans broncher tous les caprices de rockstars récemment converties au Christianisme comme d'autres se mettent au Bouddhisme ? Loin de moi l'idée d'accuser Darc de ne pas être sincère dans sa Foi (on admettra qu'il y a sans doute plus hype et vendeur que la Foi inébranlable en notre Seigneur). Néanmoins, on frôle le révisionnisme musical dans la mesure où les albums les plus mystiques de Cash sont sans doute ses plus mauvais et de très loin. Pas parce qu'ils sont mystiques, mais parce qu'on y retrouve absolument rien de ce qu'on aime chez lui - à savoir sa rage et son ironie souvent cruelle. A Believer Sings the Truth pourra sembler attachant à quelqu'un de plus tolérant que son auteur, ça n'en reste pas moins un album affreusement médiocre dans lequel Cash interprète principalement des niaiseries sans intérêt mis à part pour quelques grenouilles de bénitier. Bien sûr il est sincère... mais depuis quand la sincérité permet-elle d'évaluer la qualité d'une œuvre ? Non, les morceaux mystiques de Cash qui vont droit au cœur sont ceux (pas si nombreux) qu'on retrouve au gré des compiles des années 60, et bien sûr ceux qu'il a enregistré sur le tard, dans les années 90 et 2000... et une demi-seconde d'écoute de « Spiritual » suffit à souligner que même si le texte est simplissime on est à des années lumières de ce que le même Cash pouvait produire vingt ans plus tôt sur le même sujet. A croire que la Foi, comme tout dans ce bas monde, gagne à être mûrie et domptée.
 
Cette question évacuée (et vous noterez avec quelle délicatesse j'a évité de souligner que les disques de Dylan que Darc préfère sont Saved et Shot of Love - je ne voudrais pas le charger) revenons à Crève-cœur, ce disque si émouvant de Darc le survivant qui a enfin trouvé la Rédemption avec un grand R. Enfin c'est ce qu'on a cru à l'époque, parce que force est d'admettre que la rédemption par la médiocrité n'a quand même rien de très excitant. Attention : je ne dis pas que Crève-cœur est un disque médiocre. Ce serait pousser la mauvaise foi à un degré tel que ça n'en serait plus crédible. C'est assurément un bon album, son problème est juste d'avoir été atrocement surestimé à sa sortie. Faut-il ne pas l'avoir écouté longtemps pour ne pas se rendre compte que l'ouvrage, effectivement poignant par moment, est aussi long que répétitif, manque de nerf autant que de compositions ambitieuses, et qu'après avoir eu pendant toutes les années 80-90 la sensation que Darc était en train de crever... on avait désormais la sensation qu'il chantait depuis son cher Paradis - c'est à dire de manière absolument désincarnée. D'ailleurs il ne chantait plus vraiment, syndrome dit du Survivant Renaud oblige - à la différence notable que si Renaud a toujours très mal chanté, Darc fut quant à lui un chanteur au talent indéniable. Le voir sombrer dans un talk-over de plus en plus envahissant pour faire mode avait en 2004 quelque chose d'un peu triste, ça ne s'est pas arrangé depuis puisqu'en 2008, Darc ne chante carrément plus du tout - il ne fait même plus grand chose sur son album (on y vient). Bref ce Crève-cœur, l'histoire en retiendra assurément quelques fulgurances (« La Pluie qui tombe », « Rouge rose ») mais en faire la pierre angulaire de la nouvelle chanson française (dixit un journaliste a priori drogué avec qui j'ai interviewé un jour ledit Darc en conférence de presse)... ça relève carrément de l'escroquerie. Surtout si l'on considère que « Mes amis », n'en déplaise aux Rock&Folk, Inrocks et autres prosélytes (hum...) de la néo-darcomania, est avant tout un titre variétoche des plus putassiers. Sans vouloir être méchant on a quand même du mal à croire que quiconque ayant déjà posé une oreille sur Nijinsky ou Seppuku soit capable de qualifier le mignon Crève-cœur de disque magnifique (notez que magnifique est, ceci étant, un terme foutrement galvaudé de nos jours).


Or donc on espérait pas vraiment que Daniel Darc inverserait violemment la tendance pour ce nouvel album... on avait raison. Amours suprêmes n'est ni plus ni moins que la copie conforme de son prédécesseur, à tel point qu'on pourrait graver un CD-R avec les titres de l'un et de l'autre dans le désordre... quelqu'un ne les connaissant pas serait bien incapable de les différencier. Une seule écoute des « Remords » suffit à s'en convaincre : on est toujours dans une espèce d'electro-pop assemblée de bric et de broc, avec des synthés dissonants juste ce qu'il faut pour ne pas choquer l'auditeur et une scansion laissant supposer que le chanteur a été pris surpris au saut du lit (commentaire presque trop gentil : à vrai dire on a presque toujours la désagréable impression que Darc se fout complètement de ce qu'il chante). Si l'argument de l'artiste qui se répète est toujours un peu bébête (l'artiste par définition ne fait que se répéter),  force est de reconnaître le cas échéant que ce qui pouvait charmer il y a quatre ans est juste absolument bassinant aujourd'hui. Mais bon : c'est Daniel Darc. Alors on y revient, on s'accroche quand n'importe quel autre album de ce niveau aurait été revendu au bout d'une semaine. On essaie de deviner le concept, la couleur, les ambitions... Darc a la spécificité d'avoir jusqu'alors enregistré quatre disques solos totalement différents les uns des autres. Chacun avait sa propre couleur, son son caractéristique, chacun de ces quatre premiers albums apportait quelque chose à l'univers du chanteur. On était en droit d'attendre cela d'Amours suprêmes... et on dira gentiment qu'on est tous en droit de se tromper de temps en temps. Car plus le disque tourne plus le constat est limpide, évident, cruel mais indéniable : le péché (décidément...) d'Amours suprêmes n'est pas tant d'être une copie carbone de Crève-cœur... que d'en être une copie foirée quasiment du début à la fin. A vrai dire on a plus souvent l'impression d'avoir affaire à quelqu'un imitant Darc plutôt qu'à Darc en personne. Un peu à la manière de Robert Smith lorsque Cure a publié Wish, l'ex-alter ego de Mirwais se retrouve-t-il sur son nouvel album à sonner comme ses clones. C'est flagrant sur « Serais-je perdu ? », morceau usant qui donne une définition merveilleuse du terme auto-parodie.
 
Car l'autre problème majeur d'Amours suprêmes c'est que ce qui devait arriver est arrivé : Daniel Darc est bloqué. Coincé en mode résurrection. Non pas uniquement musicalement... mais à tout point de vue. Lui dont on a vu la musique évoluer parallèlement à son cheminement personnel (vers la rédemption, donc) s'avère ici tout aussi incapable de se réinventer dans le fond comme dans la forme. Crève-cœur paraissait dix ans après Nijisky. Qu'on aime ou pas ce terme, il s'agissait bel et bien d'une résurrection, d'un retour en grâce. Daniel Darc ne jouait pas au survivant : il en était bel et bien un. En 2008 la donne n'est évidemment plus la même et la suite logique aurait été un album peut-être proche dans la forme (pourquoi pas ?) mais a priori plus apaisé - sinon lumineux. Alors quand Darc nous refait le coup du blasé qui a survécu à tout, cette fois, ça ne passe pas. La seule chose à laquelle il ait survécu ces quatre dernières années c'est la gloire, l'amour du public et la druckérisation de sa carrière. Désormais quand il nous chante que « La Vie est mortelle » on a juste l'impression qu'il se fout de notre gueule. On n'y croit plus. On ne peut plus y croire parce que ça sonne faux, et que rien n'est fait pour nous donner envie de suivre le sympathique Daniel. Ni la production clinquante ni le duo jet-set pitoyable avec Bashung - deux mythes brisés pour le prix d'un. On se demande franchement ce que Robert Wyatt est venu faire dans cette galère, à vrai dire sa contribution est juste insipide (« Ça ne sert à rien », oui - en effet) et tape dans un registre sous-Radiohead qui à l'heure du Jugement Dernier risque de peser lourd dans la balance de cet artiste monumental. Difficile de comprendre comment la critique a pu recevoir si complaisamment un disque aussi faiblard parfaitement résumé par son premier single : "Quand je mourrai j'irai au Paradis / C'est en Enfer que j'ai passé ma vie". A seize ans on sourit et l'on excuse. A presque cinquante... on s'inquiète. L'album entier pourrait vraiment tenir dans ce morceau : mélodie éculée et texte d'une naïveté confinant à la niaiserie. Daniel joue les midinettes torturées du début à la fin, parodie (involontairement) le Gainsbourg de Melody Nelson comme mille autres avant lui (« Amours suprêmes » - Coltrane est mort, rassurez-moi ?)... combien de temps encore avant le duo avec Indochine ?
 
Triste cocktail, vraiment, que cet album décousu et décourageant. On devine l'idée : Darc a décidé qu'il était le Cash français. Le survivant. Il n'en finit plus de revenir et, après avoir été miraculeusement remit en scelle par une rencontre (Frédéric Lo pour Rick Rubin - chacun sa croix) s'est lancé dans ses French Recordings. Il y en aura d'autres des comme ça, n'en doutons pas. Ça ne fait que commencer. Dommage hélas que la seule vraie légende dont on puisse le rapprocher soit Iggy Pop, avec qui il partage la particularité fâcheuse de n'avoir finalement jamais été foutu de composer une seule bonne chanson tout seul. Lorsque ses comparses s'appellent Mirwais, Jacno ou Betzounis (moins connu soit, mais on ne saurait que trop recommander le superbe album de Delaney Blue, paru il y a déjà deux ans) le résultat est grandiose. Lorsque c'est un gentil décorateur d'intérieur comme Lo... c'est au mieux sympa. Au pire cela s'appelle Amours Suprêmes et c'est... lourd, trop lourd. Sauf sur un titre lumineux placé en milieu d'album : « La Seule fille sur terre ». Référence au « Seul garçon sur terre » de 1987, tant pour son titre que pour son swing. Là, dans ce petit interstice rapidement noyé par le reste, Darc retrouve la Grâce. La vraie. Tout n'est peut-être pas perdu pour lui. Ça pourrait peut-être même le remotiver de savoir qu'une rédemption est toujours possible. Il aime tellement ça, les rédemptions... 


👎👎 Amours suprêmes 
Daniel Darc | Mercury, 2008

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