lundi 19 mai 2008

Julien Parme - Douce adolescence

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Je n'aime pas Florian Zeller. Comme tout le monde.
 
Et, comme tout le monde, je ne l'ai bien sûr jamais lu. Je ne l'aime pas pour le principe, je ne saurais même pas vous expliquer pourquoi - c'est comme ça. Notez que j'ai eu à mon actif des trucs bien moins défendables dans ma vie, par exemple me moquer allègrement de Beigbeder alors que dans le fond j'aimais bien ses bouquins (ou tout du moins ne les détestais-je pas). Florian Zeller, c'est un peu pareil. Pour moi, comme pour une grande majorité de gens qui préfèrera crever plutôt que de l'avouer, ce mec n'est pas un écrivain - c'est une vanne. Facile, puisque préfabriquée, mais qui fait toujours mouche. Un peu de ce que les BB Brunes et autres Naast sont au rock français. C'est pas le premier Florian Zeller venu qui serait capable de ça ! Pouaaaaah ! Et tout le monde d'approuver joyeusement - ça ne mange pas de pain.
 
Pourtant ce week-end j'ai été pris d'une des ces crises consciences comme on en a tous parfois...vous savez ce que c'est : on doute, on se remet en cause, dans l'espoir de se transcender (non ? Vous ne savez pas ce que c'est...? Bah écoutez...c'est con pour vous). Et j'ai donc eu l'idée dingue de lire un livre de Florian Zeller. Histoire de savoir (enfin) pourquoi je ne l'aimais pas. Un juste retour des choses, il m'est arrivé de faire des trucs bien pires, des trucs infiniment plus glissants comme par exemple lire du Sulitzer. Et combien sommes-nous vraiment, dites-moi, à pouvoir nous moquer des livres de Pascal Sevran en les ayant vraiment lus ?
 
(aucun : ceux qui ont lu Le Passé supplémentaire savent que c'est loin d'être aussi mauvais que ce que laisse supposer le nom de l'auteur sur la couverture)
 
Et donc voici qu'à ma grande surprise je me retrouve séduit par les premières pages du roman. Merde alors... c'était pas prévu au programme : en général quand je m'adonne à ce genre d'expérience limite je ne fais que confirmer un a priori. Je ne me dis pas : Hé, cet incipit ne manque pas de panache. Là... oui. Et à vrai dire ç'a continué jusqu'à la fin. J'en étais estomaqué. Mais pourquoi tout le monde lui veut-il tant de mal, à ce garçon ? M'est avis que ce doit être pour des raisons n'ayant pas trop à voir avec ses romans (que les rieurs dans mon genre ne lisent pas). Parce qu'il est jeune ? Parce qu'il est beau ? Non non... impossible : il y a plein de jeunes et beaux auteurs dont on ne se moque pas (ne me demandez pas de noms, s'il vous plait, je n'ai rien qui me vient). Une question de coiffure, alors ? Peut-être... là, ok, il y a des choses à dire. On peut légitimement se demander comment un mec arborant une coiffure pareille peut être un écrivain de talent. Ça, c'est un argument recevable (même si on me permettra de dire que je ne vois pas en quoi un chanteur aurait le droit d'être looké tip top et pas un écrivain).


Julien Parme. Donc. Qu'il est agaçant, ce garçon. Et qu'il est attachant, ce livre. Qui n'est finalement que ça : la caricature pleine de tendresse d'un ado ordinaire (ou presque), enfant un peu déphasé dans un monde d'adultes, lucide par intermittence et cocasse presqu'à chaque réflexion. Un vrai beau personnage de littérature comme on en voit trop peu de nos jours, c'est à dire tout la fois criant de vérité mais suffisamment singulier et fantasque pour qu'on prenne du plaisir à l'accompagner dans des pérégrinations qui elles, pour le coup, sont on ne peut plus convenues. Blablateur de première catégorie, mythomane en puissance (« Ce qui est embêtant, avec les gens, c'est qu'ils vous poussent toujours à inventer n'importe quoi. »), outré par l'illogisme régissant l'univers et persuadé qu'un destin de grand écrivain l'attend, là, quelque part - on ne sait pas trop où mais sans doute pas loin (d'ailleurs il aura le Nobel à vingt ans, c'est dit !). Son père est mort depuis un moment, sa mère s'est recasée avec un homme à particule et il a hérité d'une sœur adoptive qui dans ses meilleurs jours est juste une fayotte (dans les pires elle est à flinguer, pensez donc : elle fait du cheval le dimanche !).
 
Alors son esprit divague à qui-mieux-mieux, et la manière dont il donne l'impression de mettre en scène le moindre petit événement s'avère assez jouissive : il n'est pas un simple ado, mais le héros du roman de sa vie, qu'il scénarise à outrance dans un exercice de mise en abyme d'autant plus efficace qu'il n'en a pas du tout conscience. En revanche l'auteur, lui, a conscience qu'il en réalise une belle (quasiment une double) et il la tient en équilibre le long de presque trois-cents pages. Il y a bien quelques accros par moment, quelques lourdeurs - erreurs de jeunesse sans doute (je ne crois pas que Zeller ait eu beaucoup plus de vingt-cinq ans au moment de rédiger ce livre). On objectera que la plume est parfois un brin maniérée, mais ce serait un procès pour le moins injuste dans la mesure où c'est l'exercice dit du narrateur ado qui veut ça. Porté par un autre narrateur le texte échapperait sans doute totalement à ce côté un peu hérissant de temps à autres, soit - il perdrait surtout tout son charme et s'effondrerait pitoyablement. On excusera donc aussi cela, sous réserve que le ton ne soit pas rigoureusement identique chez tous les narrateurs de l'auteur (auquel cas vous pourrez compter sur moi pour lui tailler la prochaine fois un costard à la hauteur de ma méprise). L'essentiel est que cela s'insère correctement dans cet édifice-là - c'est bel et bien le cas. Ça se lit d'une traite, c'est plutôt bien écrit, bien rythmé et l'on sourit plus d'une fois. Faut-il en demander tellement plus ? Julien Parme est un roman populaire selon l'acceptation la plus noble de cette expression, ce qui devient de moins en moins courant de nos jours. Le mélange de candeur et de lucidité parfois loufoque dont fait preuve son héros y sont pour beaucoup, qui refuse obstinément l'insupportable cynisme de l'ère du temps - rien que pour ça il méritait qu'on en parle. D'autant que le ton général n'est pas assez naïf pour qu'on confonde de sitôt Zeller avec Jardin.
 
Alors évidemment cette critique la fout mal. Dans un pays où tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un auteur parisien est immédiatement cloué au pilori. Où un auteur passant à la télé pue des pieds jusqu'à la fin des temps. Où toute personne recevant un prix littéraire est fatalement suspecte - sinon coupable (de quoi ? Dans le meilleur des cas d'avoir sucé le frère de ce juré qui a reçu un gros chèque de cet éditeur connu pour être marié à cette journaliste... mais si voyons - vous voyez bien de qui je parle). Manque de bol (enfin... surtout pour lui !) Florian Zeller est un bon écrivain ; et Julien Parme, un bon livre. Fermez le ban.


👍 Julien Parme 
Florian Zeller | Flammarion, 2006