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« On ne soupçonne pas le pouvoir d'une chanson parce qu'on ne lui en prête aucun. On se gargarise de grands classiques littéraires, picturaux, cinématographiques, pas de chansons. Pourtant, c'est le seul véhicule à sentiments qui nous désarme. Quand on ne se remémore un livre, une peinture, un film, on se rappelle de l'oeuvre de quelqu'un. Quand on se souvient d'une chanson, on se rappelle de soi : telle chanson, le premier flirt, telle autre des vacances, une saison heureuse, un coup dur ou, plus largement, la mélancolie, le courage, l'insouciance... »
Rien que pour ces mots, simples et justes, on a envie d'adorer Vibrato. En plus, ce n'est pas n'importe quel roman : c'est celui de Kent. Tout de même. L'un des rares artistes français à avoir compris ce qu'était la pop. L'auteur d'albums fous, légers, irrésistibles : Tous les hommes, Nouba... L'homme de Starshooter, nos Jam à nous, le plus kinksien de tous les groupes punk hexagonaux.
Oui, on a envie d'adorer Vibrato.
Seulement voilà : on ne peut pas. Même avec le plus positif des a priori, même avec la meilleure volonté du monde. Même en aimant Kent et même en voulant être sympa - car l'individu est l'incarnation parfaite du mec sympa par excellence (nom sympa, tête sympa...le genre d'artiste dont on n'arrive jamais complètement à dire du mal). On ne peut pas parce que Vibrato n'est pas ce qu'on peut appeler un bon livre. Ce n'est même pas un livre correct. Soit : ce n'est pas non plus le bouquin le plus atroce de tous les temps. Mais le niveau est au ras des pâquerettes, l'honnêteté oblige à le reconnaître. L'intrigue, déjà, est d'une platitude consternante. Déjà vu cent fois, ce portrait faussement grinçant du milieu du disque. Déjà vu mille fois, ce loser au cœur tendre (Jacky, tiens donc...) qui sert d'antihéros au roman. Déjà vu un milliard six millions sept-cent-cinquante mille fois cette quête qui verra le héros sur le retour atteindre la rédemption. Quel intérêt d'écrire pareille histoire ? Le quatrième de couverture, pourtant, était fascinant. Quel dommage qu'il ne soit en rien représentatif du livre...
Quel dommage, surtout, que l'écriture de Kent soit si terne - elle aussi. Dépourvue de la moindre aspérité, incapable de dicter le moindre rythme au roman. Le mot narration semblant quant à lui complètement rayé du vocabulaire du chanteur. Encore une pièce à charge dans notre dossier Les paroliers ne sont pas des poètes. On peut être un auteur de chansons brillantissime (c'est le cas de notre homme) et un écrivain plus que mineur. Kent le prouve en un seul livre où, dans le meilleur des cas, il parodie maladroitement Audiard. Il souligne aussi - bien involontairement - ce qu'on a beaucoup de mal à intégrer en France : la littérature est un art à part entière et écrivain, un vrai métier. Vibrato aura au moins servi à ça.
Un ami me confiait récemment qu'il n'y avait pas de public, en France, pour les livres sur la musique - et moins encore pour les livres rock. J'ignore si c'est vrai. Mais avec une offre pareille, on ne s'en offusquera pas.
👎 Vibrato
Kent | JC Lattès, 2007
Kent | JC Lattès, 2007