vendredi 30 mai 2008

Therapy? - Born Too Late

La chronique à chaud (juin 1998) :

Après trois ans d'absence, et un changement de line-up (nouveau bassiste + arrivée d'un violoncelliste), Therapy? revient avec un cinquième album, plus mélodique mais toujours inclassable. Ca commence à la Green Day (avec « Church of Noirse »), ça se referme sur un genre de metal planant, et entre les deux, les irlandais auront fait dans tous les registres du rock énergique. Les fans seront peut-être surpris de ne pas retrouver, sur Semi-detached, l'agressivité d'Infernal Love. Mais le groupe a décidé de ne pas se répéter, et Andy Cairns se montre très à l'aise dans son nouveau registre plus pop. A écouter en priorité : « Stay Happy » et « Lonely, Cryin' Only », deux chansons énergiques et joyeuses, qui donnent une bonne idée de cette nouvelle direction musicale. Très convaincant !


Dix ans plus tard, sur Le Golb :

Dans The Dirt, Nikki Sixx (je crois) raconte comment en l'espace de cinq ans son groupe est passé de concerts dantesques dans des stadiums à des prestations presqu' anonymes dans des petits clubs à moitié vides. Therapy?, trio puis quatuor irlandais de grand talent, a connu peu ou prou la même mésaventure - à la différence près que ses membres ne sont jamais parvenus à trouver la rédemption en se confiant à un journaliste.

Souvenez-vous, c'était il y a pas si longtemps... 1994, pour être exact. Le single déjanté « Nowhere » devenait un tube planétaire et Therapy? passait du statut du combo underground prometteur à celui de stars en devenir. Une paire d'album (Troublegum et Infernal Love) et de tournées plus tard il n'était quasiment plus rien, et cinq ans après un passage triomphal par Bercy les irlandais livraient une prestation incendiaire devant cent personnes personne plus votre serviteur tassées dans le Club Dunois. Une histoire vieille comme le rock, peut-être. Une histoire bien triste néanmoins.

Car Therapy?, on l'a un peu vite oublié, était alors (est toujours, d'ailleurs) un groupe de tout premier plan, parmi les plus singuliers et les plus inventifs que nous aient offerts les années 90 (ce qui n'est pas peu dire vue la qualité de l'offre de l'époque). Le seul peut-être qui ait jamais su proposer une fusion rock-punk-metal probante (en tout cas ce n'est certainement pas Offspring qui lui aura fait de l'ombre). Las : il est arrivé au pire moment qui soit. 1994. L'explosion du revival punk californien. Peu importe que Troublegum ait été (comme son excellent prédécesseur Nurse) un disque abrasif et sévèrement charpenté, peu importe même que le groupe ait été irlandais... le simple fait que son single ait tapé dans le punk bondissant suffit à faire jeter Therapy? dans le même sac (poubelle) que les Smash Mouth et consorts - quand on pense que six mois plus tôt la presse les comparait (à raison) à Faith No More... ça laisse songeur...

Aussi quand paraît Semi-detached le groupe l'ignore encore mais il vient d'entrer dans un creux de vague dont il ne sortira pour tout dire plus jamais. Premier de ses opus à ne plus paraître aux Etats-Unis ni dans une partie de l'Europe (A&M estime que la mode est passée et qu'il vaut mieux miser sur le neo-metal), il n'en demeure pas moins un disque tout à fait réussi renfermant deux de leurs meilleures chansons (« Tightrope Walker » et « Lonely, Cryin' Only »). Soit : ce n'est plus vraiment le groupe d'Infernal Love, ces Buzzcocks heavy qui étaient parvenus à mettre critiques et public à genoux. Y perdait-on vraiment au change ? Fulgurante et singulière, la musique du Therapy? première période versait aussi parfois dans le bourrinage gratuit et gagne ici en aération et épaisseur (à l'image du final, « Boy's asleep », premier titre du groupe à pouvoir être qualifié d'émouvant).

Si l'on entend pas vraiment le violoncelle de Martin McCarrick, il serait cependant malvenu d'en minimiser l'apport. On connaît le goût de l'ex-This Mortal Coil pour les expérimentations ; sans aller jusqu'à métamorphoser Therapy? en Sonic Youth (auquel on pensera toutefois le temps de l'étrange « Tramline ») il a à l'évidence entraîné le groupe sur des terres qu'il n'aurait sans doute jamais eu l'idée de visiter (« Safe ») et fourni le travail sur les arrangements qui lui manquait jusqu'alors pour être autre chose qu'un petit combo brillant. Oui, « Church of Noise », premier single punchy, verse dans la pop-punk récemment démodée à l'époque. Néanmoins ce n'est pas le premier morceau pop-punk venu - la voix y est bien plus rêche et les breaks au piano rendent a priori plus hommage à Jerry Lee Lewis qu'à Green Day. Même constat sur « Don't Expect Roses » ou « Straight Life » : sur Semi-detached les titres les plus classiques ont toujours quelque chose en plus par rapport à ceux de la concurrence.

Du coup le cinquième album de Therapy? réussira l'étonnante performance d'être à la fois leur plus mélodique et leur plus travaillé... ce qui ne l'empêchera pas au demeurant d'être plutôt inégal. Faute d'avoir fait appel à un vrai producteur (notez qu'un teenager américain lambda pourrait sans aucun doute considérer Chris Sheldon comme un vrai producteur - quel dommage que le disque ne soit pas sorti USA !) le groupe a lui même tressé la corde pour se pendre, et si pris individuellement chaque titre est tout à fait réussi... on cherche la cohérence de l'ensemble. Ce n'est pas le tout de sauter sans vergogne du bubble-punk à la space pop puis du rock rétro ou grunge... encore faut-il savoir s'entourer de gens capables de faire cohabiter ces genres ensemble.

Dont acte : moins d'un an plus tard, Therapy? confiait son disque suivant à l'excellent Head (fidèle et rugueux ingé son de PJ Harvey). Comme de juste, le très sombre Suicide Pact - You First ! sera leur meilleur album. Et, comme de juste, personne ne l'achètera.


👍👍 Semi-detached 
Therapy? | A&M, 1998