« Ce livre raconte l'histoire d'une femme (1891-1942) qu'on a tour à tour nommée Edith dans sa famille, Fraulein Edith Stein au lycée, Doktor Edith Stein à l'université, sœur Thérèse au Carmel, matricule 44 074 à Auschwitz, et sainte Thérèse Bénédicte de la Croix au ciel. »
... si l'on évitera sans peine les cris d'orfraies à l'idée de voir Edith Stein racontée par un type capable d'avoir envie de faire de l'humour avec une biographie ne prêtant pas à la plus franche rigolade, il faut bien reconnaître qu'on ouvre le dernier Yann Moix en arrondissant les yeux, pas vraiment affligé mais plutôt interloqué (d'ailleurs si on y fait bien gaffe on notera que lesdits yeux formulent quelque chose comme Non mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?). A plus forte raison quand on apprécie l'auteur de ce roman d'amour fou (ou de ce roman fou d'amour, peut-être) qu'était Anissa Corto... et qu'on sait, donc, que le bonhomme est capable de choses grandissimes... autant que de prodigieux ratages comme ce Partouz de sinistre mémoire qui, en son temps, résonna comme un avertissement à l'oreille des plus fervents admirateurs de l'écrivain.
Les premières pages confirment ce sentiment même pas désagréable - juste d'extrême perplexité. Car plus on avance dans Mort et vie d'Edith Stein plus on a l'impression curieuse d'être confronté à une espèce d'excroissance de Panthéon, livre remarquable et incroyablement mésestimé qui (c'est bien ça le problème) ressemblait tellement à une œuvre somme qu'on voyait mal comment Moix aurait pu lui donner un digne successeur. Dont acte : Mort et vie d'Edith Stein n'en est que le successeur indigne, un peu comme si le narrateur dudit Panthéon s'était souvenu un an et demi plus tard qu'il a-do-rait Edith Stein et avait malencontreusement oublié de la mentionner dans son panthéon personnel TM. Or, les panthéons personnels ont ceci d'emmerdant qu'une fois gravés ils le sont pour l'Eternité... alors quoi ? Un numéro de Panthéon : spécial Edith Stein - histoire de compenser ?
L'hypothèse peut faire sourire et l'on espère évidemment pour l'auteur qu'il a envisagé son livre comme un peu plus qu'une simple chute de studio du précédent. Il n'empêche que c'est tout de même la sensation tenace qu'on retire de la première moitié de Mort et vie d'Edith Stein. Jusqu'à ce que tout s'éclaire et qu'on comprenne enfin de quoi il s'agit réellement : pas du tout d'une biographie (on s'en douterait), encore moins d'un essai (comme l'ont écrit quelques uns). Mais tout simplement d'un... roman. Qui ressemble d'ailleurs beaucoup à Anissa Corto, quoiqu'il n'obéisse à aucune véritable dynamique romanesque. Un roman en creux, en quelque sorte, racontant non pas tant l'histoire d'Edith Stein que celle d'un narrateur maniaque obsessionnel tombé fou amoureux d'elle, tout entier empli d'elle, au point d'avoir pour seul et unique désir l'envie d'être elle. Un edithsteinomaniaque pur et dur - rien que ça...
Tout ceci n'est évidemment pas dans le livre - c'est ce qui le rend si étonnant. En revanche tout ceci est bel et bien... dans les autres livres de Yann Moix. C'est peu ou prou le « pitch » d'Anissa Corto ; c'est déjà en filigranes dans la dernière (et angoissante - sinon malsaine) partie des Cimetières sont des champs de fleurs ; c'est évidemment le centre névralgique de Podium. C'est peut-être même le cœur de l'œuvre moixienne (enfin : moaksienne - pour les intimes et les psys)... en abordant Mort et vie d'Edith Stein sous cet angle, c'est un tout autre livre qui commence, pas forcément plus réussi mais en tout cas beaucoup moins dérangeant et beaucoup plus lisible. Le narrateur de ce roman devenant désormais le véritable cœur du texte, on comprend soudain sa manière irritante d'interpeller ponctuellement le lecteur, comme s'il enrageait de ne pouvoir cette fois être un personnage et faisait tout pour péter l'incruste dans la biographie de la femme (pardon : de la sainte) qu'il aime (qu'il vénère). Il y parvient d'ailleurs de manière troublante (et, là aussi, en creux) puisque dans le fond... il est inifiniement plus un personnage que cette Edith Stein aux airs de gravure de musée, qui ne prend pas plus vie que corps, et vaut plus pour les thématiques qu'elle traîne dans son sillage et pour l'amour qu'elle suscite chez le narrateur... que pour ce qu'elle est ou a été. Même pas matière romanesque, la sainte est réduite au simple rang de vecteur d'un déferlement littéraire à la limite du suffocant.
On ne s'étonnera donc pas qu'il soit si peu question d'Edith Stein dans cet article : voici un livre qui ne parle que d'Edtih Stein de la première à la dernière page, mais qui finalement ne se veut en rien un livre sur Edith Stein. Ce pourrait être un livre sur n'importe quelle femme suscitant l'amour déjanté du narrateur, qui nous expliquerait sans doute avec la même rigueur documentaire et le même effrayant souci du détail la vie d'Yvonne Leclerc - pour un peu que cette dernière l'ait jamais fasciné. Au mieux, c'est un livre pour Edith Stein - ce qui est à la fois nettement plus original... et absolument angoissant ! Ce qui, surtout, en fait un objet un peu vain, pas désagréable à lire (rien dans ce livre ne justifie les critiques ultra violentes qu'il a suscitées) mais dont on peine à comprendre la réelle utilité... sinon de faire s'interroger quant à ce qui se passe dans la tête de son auteur. Notez que si c'était ça le but, c'est absolument réussi : à chaque nouveau livre, la bibliographie de Yann Moix s'impose un peu plus comme une formidable et vertigineuse mise en abyme du concept de psyché. Volontairement ?
... si l'on évitera sans peine les cris d'orfraies à l'idée de voir Edith Stein racontée par un type capable d'avoir envie de faire de l'humour avec une biographie ne prêtant pas à la plus franche rigolade, il faut bien reconnaître qu'on ouvre le dernier Yann Moix en arrondissant les yeux, pas vraiment affligé mais plutôt interloqué (d'ailleurs si on y fait bien gaffe on notera que lesdits yeux formulent quelque chose comme Non mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?). A plus forte raison quand on apprécie l'auteur de ce roman d'amour fou (ou de ce roman fou d'amour, peut-être) qu'était Anissa Corto... et qu'on sait, donc, que le bonhomme est capable de choses grandissimes... autant que de prodigieux ratages comme ce Partouz de sinistre mémoire qui, en son temps, résonna comme un avertissement à l'oreille des plus fervents admirateurs de l'écrivain.
Les premières pages confirment ce sentiment même pas désagréable - juste d'extrême perplexité. Car plus on avance dans Mort et vie d'Edith Stein plus on a l'impression curieuse d'être confronté à une espèce d'excroissance de Panthéon, livre remarquable et incroyablement mésestimé qui (c'est bien ça le problème) ressemblait tellement à une œuvre somme qu'on voyait mal comment Moix aurait pu lui donner un digne successeur. Dont acte : Mort et vie d'Edith Stein n'en est que le successeur indigne, un peu comme si le narrateur dudit Panthéon s'était souvenu un an et demi plus tard qu'il a-do-rait Edith Stein et avait malencontreusement oublié de la mentionner dans son panthéon personnel TM. Or, les panthéons personnels ont ceci d'emmerdant qu'une fois gravés ils le sont pour l'Eternité... alors quoi ? Un numéro de Panthéon : spécial Edith Stein - histoire de compenser ?
L'hypothèse peut faire sourire et l'on espère évidemment pour l'auteur qu'il a envisagé son livre comme un peu plus qu'une simple chute de studio du précédent. Il n'empêche que c'est tout de même la sensation tenace qu'on retire de la première moitié de Mort et vie d'Edith Stein. Jusqu'à ce que tout s'éclaire et qu'on comprenne enfin de quoi il s'agit réellement : pas du tout d'une biographie (on s'en douterait), encore moins d'un essai (comme l'ont écrit quelques uns). Mais tout simplement d'un... roman. Qui ressemble d'ailleurs beaucoup à Anissa Corto, quoiqu'il n'obéisse à aucune véritable dynamique romanesque. Un roman en creux, en quelque sorte, racontant non pas tant l'histoire d'Edith Stein que celle d'un narrateur maniaque obsessionnel tombé fou amoureux d'elle, tout entier empli d'elle, au point d'avoir pour seul et unique désir l'envie d'être elle. Un edithsteinomaniaque pur et dur - rien que ça...
Tout ceci n'est évidemment pas dans le livre - c'est ce qui le rend si étonnant. En revanche tout ceci est bel et bien... dans les autres livres de Yann Moix. C'est peu ou prou le « pitch » d'Anissa Corto ; c'est déjà en filigranes dans la dernière (et angoissante - sinon malsaine) partie des Cimetières sont des champs de fleurs ; c'est évidemment le centre névralgique de Podium. C'est peut-être même le cœur de l'œuvre moixienne (enfin : moaksienne - pour les intimes et les psys)... en abordant Mort et vie d'Edith Stein sous cet angle, c'est un tout autre livre qui commence, pas forcément plus réussi mais en tout cas beaucoup moins dérangeant et beaucoup plus lisible. Le narrateur de ce roman devenant désormais le véritable cœur du texte, on comprend soudain sa manière irritante d'interpeller ponctuellement le lecteur, comme s'il enrageait de ne pouvoir cette fois être un personnage et faisait tout pour péter l'incruste dans la biographie de la femme (pardon : de la sainte) qu'il aime (qu'il vénère). Il y parvient d'ailleurs de manière troublante (et, là aussi, en creux) puisque dans le fond... il est inifiniement plus un personnage que cette Edith Stein aux airs de gravure de musée, qui ne prend pas plus vie que corps, et vaut plus pour les thématiques qu'elle traîne dans son sillage et pour l'amour qu'elle suscite chez le narrateur... que pour ce qu'elle est ou a été. Même pas matière romanesque, la sainte est réduite au simple rang de vecteur d'un déferlement littéraire à la limite du suffocant.
On ne s'étonnera donc pas qu'il soit si peu question d'Edith Stein dans cet article : voici un livre qui ne parle que d'Edtih Stein de la première à la dernière page, mais qui finalement ne se veut en rien un livre sur Edith Stein. Ce pourrait être un livre sur n'importe quelle femme suscitant l'amour déjanté du narrateur, qui nous expliquerait sans doute avec la même rigueur documentaire et le même effrayant souci du détail la vie d'Yvonne Leclerc - pour un peu que cette dernière l'ait jamais fasciné. Au mieux, c'est un livre pour Edith Stein - ce qui est à la fois nettement plus original... et absolument angoissant ! Ce qui, surtout, en fait un objet un peu vain, pas désagréable à lire (rien dans ce livre ne justifie les critiques ultra violentes qu'il a suscitées) mais dont on peine à comprendre la réelle utilité... sinon de faire s'interroger quant à ce qui se passe dans la tête de son auteur. Notez que si c'était ça le but, c'est absolument réussi : à chaque nouveau livre, la bibliographie de Yann Moix s'impose un peu plus comme une formidable et vertigineuse mise en abyme du concept de psyché. Volontairement ?
✋ Mort et Vie d'Edith Stein
Yann Moix | Grasset, 2008
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