vendredi 18 juillet 2008

Everybody's Got His Own Dylan

[Mes Disque à moi (et rien qu'à moi) - N°84]  
The Freewheelin' Bob Dylan - Bob Dylan (1963)

Everybody's Got His Own Dylan.

Vous ne trouvez pas que cela ferait un excellent titre de chanson ?

Chacun a son Dylan, donc ; son Dylan personnel, son Dylan à lui, et celui-ci sans doute en vaut bien un autre. Le choix est à la fois discutable et incontestable, quoi de plus normal ? Sur neuf albums dans les années soixante Dylan a publié huit chefs-d'œuvre. Voilà qui invite à la tolérance vis à vis de la subjectivité de chacun. A plus forte raison parce que passé 1970 Dylan publiera encore une demi douzaine d'albums indispensables et que beaucoup de ses disques considérés comme « mineurs » seraient qualifiés de chefs-d'œuvre s'ils étaient publiés par n'importe qui d'autre aujourd'hui. A encore plus forte raison parce que je ne compte pas, ici, la B.O. de Pat Garrett & Billy the Kid, les Basement Tapes (avec le Band) et les lives dantesques que sont Before the Flood et Hard Rain.

Qu'importe dès lors que votre Dylan électrifie insolemment sa guitare ou cultive le mystère, qu'il foire son autoportrait ou se convertisse au catholicisme, qu'il reprenne des vieux standards du blues ou se la raconte country, qu'il soit rongé par l'angoisse du temps qui passe ou se remémore sa jeunesse perdue sur les bords d'un Mississipi (forcément) de fantasme. Sachez que votre Dylan est respectable, vous avez de toute façon de quoi en être fiers. Je vous assure.

Quant au mien le voici, encore jeune mais déjà plus vraiment timoré. Il est tout seul avec sa guitare et son harmonica, fait le fou avec ce dernier (« Honey, Just Allow Me One More ») et égrène des perles dont on se demande comment elles ne sont pas devenues des classiques. Il est sans doute moins couru qu'un autre ; il est peut-être bien moins bon que celui du voisin. Mais c'est le mien et je le garde, pour son incandescence et sa rugosité, pour sa verve pamphlétaire (« Master of War ») et pour sa tendresse déguisée en mépris (« Dont Think Twice, It's Alright »).

Sans doute a-t-il fait, à un moment ou un autre, souffler un vent de révolte quelque part. Sans doute devrais-je en parler puisqu'il en parle lui-même, puisqu'il scande « A Hard Rain's A-gonna fall » et que je l'imagine volontiers le poing levé ce faisant (en tout cas, moi, il me donne chaque fois envie de lever le poing). Mais à vrai dire je ne sais plus, je ne me rappelle plus trop de quelle révolte il s'agit - pour être tout à fait honnête je m'en fous. Dylan n'est pas devenu intemporel le jour où il a rencontré Daniel Lanois ; il l'était déjà en 1963 et peu importe dans le fond quelle était cette révolution qu'il voulait annoncer il y a quarante-cinq ans - ce sera toujours et encore la prochaine. On commet trop souvent ce contresens fâcheux voulant quà son propos il faille rappeler le contexte, évoquer la puissance des paroles, l'impact de « Blowin' in the Wind » sur son temps. Oh bien sûr, c'est vrai. Ça n'en est pas moins un admirable chapelet de fadaises oubliant de dire l'essentiel : « A Hard Rain's A-gonna fall » exsude le danger et « Girl from the North Country » la mélancolie ; inutile de savoir ce que cela raconte ni à qui cela s'adresse pour en ressentir la pulsion binaire, presque primitive par instants (« I Shall Be Free »)... pour en capter l'essence et le message. Sur The Freewheelin' Bob Dylan écrit l'avenir et fait table-rase du passé. Oubliées les influences (quelles influences ?) et oubliés ses prédécesseurs. Qu'on n'essaie surtout pas de me faire gober qu'il y a des protest-songs avant cela, et qu'on ne me raconte pas non plus qu'il y en a eu après. J'ignore d'ailleurs ce qu'une protest-song, tiens : encore un lieu commun qu'on devrait rayer du vocabulaire musical. « Blowin' in the Wind » proteste peut-être... il n'empêche qu'elle me fait surtout monter les larmes. Allez comprendre pourquoi ? Après elle le déluge (pourtant « Hard Rain » n'arrive que cinq pistes plus tard), tout comme après Dylan ne restera de la folk que quelques aimables plaisantins - au mieux des sous-Springsteen.

Voilà ce qu'est un disque intemporel et voilà qui est mon Dylan : ce type qui arrive, qui se pose là et qui chante et peu importe le reste. Jamais il ne me viendrait à l'idée de le rapprocher d'un autre (type... ou Dylan) : il se suffit à lui-même et continue, année après année, de me plonger dans la même transe étrange, de concentrer toute mon attention et de trôner bien en vue dans ma discothèque. Aucune histoire personnelle ne nous lie pourtant, aucune valeur sentimentale, rien ne peut expliquer de manière rationnelle (ni esthétique, ni objective) pourquoi le Dylan en roue-libre est mon Dylan, celui que jamais je n'accepterais de prêter à quiconque. Sinon peut-être qu'il est tout ce qu'ado je rêvais d'être (et ne suis pas devenu en dépit d'efforts sincères) : simple, désinvolte, élégant et avec une jolie fille collée à ses basques.


Trois autres disques pour découvrir Dylan (le vôtre est peut-être dedans) :

Another Side Of Bob Dylan (1964)
John Wesley Harding (1967)
Time Out Of Mind (1997)


(que personne ne s'affole... c'est bien entendu volontairement que j'ai écarté Highway 61 et Blonde On Blonde, préférant nommer les trois que je préfère vraiment plutôt que me forcer à rabâcher les titres de ces deux « chefs-d'œuvre objectifs »)

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